Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Jiro, jeune ingénieur ambitieux, n'a pas les pieds sur terre et rêve de concevoir les plus beaux avions jamais imaginés.
Plus qu'un thème récurrent dans l'œuvre de Miyazaki, l'aéronautique est cette fois-ci le sujet central. Le cadre est plus adulte qu'à l'accoutumée : dans le Japon des années 30, vivant mais démuni, la technologie aéronavale est en berne et l'ombre de la guerre approche à grands pas.
Le Vent se lève nous parle de rêves et d'opportunités, d'engins volants et d'amours éphémères, toujours avec poésie et philosophie. La fin parait insignifiante mais sonne très juste, et laisse ce sentiment doux-amer à l'effet garanti.
Le maitre japonais est de retour et allie l'élégance de Porco Rosso et l'émotion du Tombeau des Lucioles.
Magnifique. Mais prévoyez un mouchoir, juste au cas où.
Assez étrange que j'aie attendu aussi longtemps pour visionner ce film. Comme si, par crainte de provoquer le sort, en regardant enfin la dernière réalisation d'Hayao Miyazaki, je le condamnais à l'oubli. Car le bougre est l'un des très rares cinéastes dont chacune des oeuvres a su me toucher, frôlant ou touchant la perfection dans cet équilibre si subtil entre l'émotion et la technique. Même si j'ai été moins convaincu par Arrietty (par son manque d'originalité brute, sans doute), je n'ai jamais été déçu.
Celui-ci était annoncé dans une soirée thématique sur Arte, pour une fois que j'étais au courant du programme, je ne pouvais guère me défiler.
L'entame est déroutante, puisque on commence par entrer dans le rêve d'un garçon d'une gentillesse infinie qui se projette dans les cieux, tout en sachant que sa vue basse ne l'autorisera jamais à piloter. Qu'à cela ne tienne, comme le lui explique Caproni, ingénieur en aéronautique italien, qu'il côtoie régulièrement dans ses fugues oniriques : au lieu de voler, Jiro les concevra. Et il y mettra toute sa vie, et tout son coeur, au point de passer (presque) à côté de celle qui illuminera une partie de son existence, la douce Naoko qui rattrapa un jour son chapeau emporté par une bourrasque.
Pour un habitué des productions des studios Ghibli, on a très vite l'impression d'assister à un passage en revue. Les premières séquences, parfois vues du ciel, souvent d'un moyen de locomotion (vieille guimbarde ou train à vapeur), nous offrent à admirer une campagne verdoyante, paisible, où la vie semble ralentie et les malheurs moins lourds à porter. Du Totoro tout craché, quoi ! Soudain le premier rêve s'achève sur une vision sombre (et prémonitoire) : celle d'engins monstrueux surgissant des cieux et porteurs de mort sous la forme de bobmes gémissantes. Le côté steampunk notable dans le Château dans le ciel ou le Château ambulant resurgit ici, le temps d'une séquence menaçante qui nous permet également de profiter d'une volonté surprenante de Miyazaki de faire la majeure partie des bruitages "à la bouche" : les moteurs, le souffle du vent, les incendies et même le tremblement de terre sonnent comme des choeurs antiques, apportant une touche discrètement décalée à cette oeuvre presque biographique (l'ingénieur a réellement existé, puisqu'il est le concepteur du fameux chasseur-bombardier "Zéro" de Mitsubishi qui permit à l'empire nippon de faire renaître son industrie aéronautique). C'est aussi dans le Château ambulant qu'on puise une image de cet amour éthéré, défiant le temps et l'espace, entre Jiro et cette inconnue qu'il aida lors du séisme précité - et qu'il devait retrouver des années plus tard. Un amour comme toujours traité par touches légères et délicates, sans excès, mais chargées d'une émotion pure.
On est donc en terrain connu - sauf que l'on a affaire à des adultes, chose rare chez Miyazaki et qui donc nous met parfois mal à l'aise. Certes, Porco Rosso proposait également des premiers rôles à des adultes, mais il était nettement plus orienté "comédie". Ici, malgré quelques petits moments où l'on esquissera un sourire, on est davantage face à une chronique optimiste assombrie par de terribles perspectives : la guerre qui se profile, la pauvreté qui afflige le Japon après la crise de Wall Street, la crainte de perdre leur identité... et la maladie. Jiro, coeur pur et tête dans les nuages, traverse ces crises sans perdre sa gouverne, arqué sur son objectif qui est de concevoir le plus bel avion qui soit. Le Vent se lève n'est pas une oeuvre facile et l'on sent chez son réalisateur les tiraillements qui ont été les siens lors de plusieurs réécritures du script : il hésite à condamner mais se refuse à trop d'ellipses. Jiro est un concepteur d'avions, mais il sait parfaitement - il est tout à fait lucide à ce propos - qu'ils serviront d'armes de destruction massive, qu'ils seront la mort venue du ciel pour des populations apeurées. Qu'à cela ne tienne, il ira jusqu'au bout.
Douloureusement beau, le Vent se lève arbore dignement les stigmates d'un réalisateur marqué par les âges, se posant plus de questions que d'habitude mais conservant un cap idéal. La vie y est une aventure qui vaut la peine d'être vécue malgré la douleur de la perte, la souffrance et la mort. L'extrait du poème de Paul Valéry (cité en français dans le film) es tun leitmotiv aussi poignant et édifiant que le Carpe diem du Cercle des poètes disparus. Il nous happe et nous entraîne, toutes larmes dehors et le coeur allégé.
Le vent se lève, il faut tenter de vivre !
Titre original |
Kaze Tachinu |
Mise en scène |
Hayao Miyazaki |
Date de sortie |
22 janvier 2014 avec Walt Disney France |
Scénario |
Hayao Miyazaki d’après le roman le Vent se lève de Tatsuo Hori |
Distribution |
Les voix en VO de Hideaki Anno & Miori Takimoto |
Photographie |
Atsushi Okui |
Musique |
Joe Hisaishi & Werner R. Heymann |
Support & durée |
35 mm en 2.35 :1 / 126 minutes |
Synopsis : Inspiré par le fameux concepteur d’avions Giovanni Caproni, Jiro rêve de voler et de dessiner de magnifiques avions. Mais sa mauvaise vue l’empêche de devenir pilote, et il se fait engager dans le département aéronautique d’une importante entreprise d’ingénierie en 1927. Son génie l’impose rapidement comme l’un des plus grands ingénieurs du monde.
Le Vent se lève raconte une grande partie de sa vie et dépeint les événements historiques clés qui ont profondément influencé le cours de son existence, dont le séisme de Kanto en 1923, la Grande Dépression, l’épidémie de tuberculose et l’entrée en guerre du Japon. Jiro connaîtra l’amour avec Nahoko et l’amitié avec son collègue Honjo. Inventeur extraordinaire, il fera entrer l’aviation dans une ère nouvelle.