Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
C'était il y a trente ans, un groupe d'adolescents issus d'une banlieue de Lyon se lançait dans une Marche pacifique à travers toute la France afin de dénoncer un racisme grandissant et de prôner l'égalité. Cette année, un film retraçant cet événement aussi important que complètement oublié sort dans nos salles. Un projet extrêmement ambitieux sur le fond dont le traitement révèle certaines maladresses, mais qui s'avère finalement indispensable.
Mohamed, un jeune de la banlieue des Minguettes, à Lyon, reçoit une balle lors d'une bavure policière. Il choisit de répondre à cet acte par la non-violence. Surnommé Gandhi par ses amis, Mohamed décide de s'inspirer du célèbre long-métrage du réalisateur Richard Attenborough, en ayant une idée bien précise en tête : rassembler un maximum de personnes afin d'entamer une Marche pacifique qui traversera la France de Marseille à Paris, pour combattre le racisme que la plupart subissait en défendant un message de paix et d'égalité.
C'est le réalisateur belge Nabil Ben Yadir - fortement influencé par sa co-scénariste Nadia Lakhdar - qui a eu l'idée de porter cette étonnante histoire vraie à l'écran. Etonnante car il semble aujourd'hui que cette Marche soit oubliée, quand bien même est-elle à l'origine de nombreux changements dans notre pays : reconnaissance des crimes racistes, validité de la carte de séjour revue à 10 ans… Mais elle fête cette année ses trente ans, et il est plus que jamais nécessaire de la raviver.
Si le film de Ben Yadir cherche toujours à faire sens par son aspect militant, il n'en est pas pour autant un film « politique ». N'oubliant jamais le fond et la raison d'être d'un tel long-métrage, le réalisateur tient à garder une certaine proximité avec ses personnages et son histoire afin de nous les rendre de suite attachants. La portée du message véhiculé par toute cette bande reste intacte, mais elle ne nous est jamais montrée à « grande échelle ». Ainsi, on pourrait presque voir La Marche comme un road movie classique, entre drame et comédie. Etrangement, l'atmosphère tantôt lourde et tantôt légère nous a quelques fois rappelé un autre succès sorti en salles l'an dernier, Radiostars. Les deux sujets n'ont strictement rien à voir, pourtant la caractérisation des personnages pourrait presque être similaire dans les deux films. Car à aucun moment, malgré la gravité et l'engagement du projet, le réalisateur ne tombe dans le pathos. Il choisit, par exemple, de ne rien montrer du séjour à l'hôpital du jeune héros, ou de ne pas exposer les actes « physiques » de violence au moment où ceux-ci seraient perpétrés. La violence sous-jacente, celle des paroles, des regards, suffit amplement à choquer. Nabil Ben Yadir préfère mettre en avant la cohésion, la fraternité, l'entraide, qui naissent au sein du groupe. Le film est également très drôle, dans cette volonté de montrer le positif qui ressort en toutes circonstances. Il y a une énorme énergie qui en émane, et celle-ci se paye en outre un très grand luxe : celle d'être communicative. On ressort de la séance avec l'impression d'avoir appris quelque chose, mais avec également l'envie de bouger. Le film n'attise jamais la haine, ne la cultive pas, et la réalisation sert très intelligemment le propos pacifiste de l'histoire.
D'ailleurs, la mise en scène est très habile, avec une utilisation judicieuse du 35 mm et des choix artistiques très intéressants. Toute la direction artistique et la reconstitution des années 80 est formidable, ne tombant jamais dans la caricature ou le mauvais goût. Il y a une certaine modernité dans le traitement de l'univers décrit, décuplant ainsi la force de ce sujet ô combien intemporel. Mais plus que la réalisation, c'est clairement le casting qui joue en la faveur du film. Tous les acteurs, sans exception, sont habités par leur personnage. Ils sont tous d'une justesse incroyable. On prend plaisir à les suivre et certains sont de très belles révélations.
En revanche, le scénario révèle certaines maladresses dans son écriture et dans le traitement qu'il fait d'un sujet aussi important et délicat. S'il évite bien des fausses notes, il se montre assez prudent sur certains aspects. La caractérisation de quelques personnages se montre décevante, et certains n'ont qu'un rôle de « fonction ». On aurait souhaité connaître davantage le ressenti de certains protagonistes, et les changements induits par la Marche. On aurait aimé que le scénario insiste plus sur l'évolution des personnages. La fin semble précipitée, comme si les auteurs ne savaient pas vraiment à quel moment arrêter le film. A ce sujet, les écrans titres qui concluent le long-métrage sont nécessaires à la compréhension du message, peut-être aurait-il fallu développer cet aspect (on comprend que l'idée de cette marche n'a pas eu que des conséquences positives, et que les instigateurs portent peut-être un regard amer sur un projet qui leur a échappé, devenu entretemps le point de départ de la création de l'association SOS Racisme).
Il est assez difficile de donner son ressenti sur un film tel que La Marche. Le sujet est tellement important que la forme est bien souvent occultée. D'un pur point de vue cinématographique, le film est maladroit malgré d'évidentes qualités. Mais si l'on s'en tient à l'énergie parfois un peu brouillonne qui en ressort, alors on pourra apprécier cette belle histoire. Ne vous fiez pas spécialement à la note (qui essaye de tenir compte du fond et de la forme), car La Marche est avant tout un film important à voir, et indispensable.
Le site du film : jemarche.fr
Ma note (sur 5) : |
3,5 |
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Titre original |
La Marche |
Mise en scène |
Nabil Ben Yadir |
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Date de sortie France |
27 novembre 2013 |
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Scénario |
Nabil Ben Yadir & Nadia Lakhdar |
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Distribution |
Olivier Gourmet, Tewfik Jallab, Charlotte Le bon, Philippe Nahon & Jamel Debbouze |
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Musique |
Compositeurs |
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Photographie |
Chef opérateur |
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Support & durée |
Piste sonore |
Synopsis :En 1983, dans une France en proie à l'intolérance et aux actes de violence raciale, trois jeunes adolescents et le curé des Minguettes lancent une grande Marche pacifique pour l'égalité et contre le racisme, de plus de 1000 km entre Marseille et Paris. Malgré les difficultés et les résistances rencontrées, leur mouvement va faire naître un véritable élan d'espoir à la manière de Gandhi et Martin Luther King. Ils uniront à leur arrivée plus de 100 000 personnes venues de tous horizons et donneront à la France son nouveau visage.