Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Comme les grands corpus cinématographiques qui l'ont inspiré, BSS fonctionne comme un leurre, un immense trompe-l’œil. C'est valable tant pour la veine "auteuriste" d'un Antonioni (Blow Up) que pour la veine plus "genrée" d'un De Palma (Blow Out) ou bien évidemment d'un Dario Argento (ici, Suspiria, Profundo Rosso et le Syndrome de Stendhal). Notons déjà que ce corpus, bien que varié, n'est pas sans rapports : deux italiens qui travaillent des thématiques parfois proches de manière assez contemporaine, et De Palma fut souvent montré comme le rival d'Argento et un disciple d'Hitchcock et aussi d'Antonioni (de Blow Out à Redacted par exemple).
C'est fort de cette innutrition que Peter Strickland concocte son deuxième film. J'avoue que même si le résultat est réussi, fascinant et d'une richesse étonnante, on sent par moments la jeunesse de ce cinéma : l'idée de départ est excellente, elle est travaillée, variée tout du long, mais le film souffre de deux défauts mineurs. Une trop grande maîtrise et une trop grande perfection qui sonnent presque scolaires (du genre, film d'étudiant en cinéma qui veut trop montrer qu'il sait appliquer tout ce qu'il a appris), et l'absence d'un vrai nœud scénaristique et narratif, qui semblait pourtant appelé par un tel sujet et un tel hommage. Mais ces défauts sont réversibles : le premier signifie rien de moins qu'une grande beauté plastique (la photo est sublime, la mise en scène particulièrement inventive, virtuose et cohérente) et une maîtrise technique irréprochable (c'est peut-être banal de le souligner, mais le travail sur le son dans ce film est tout simplement prodigieux). Le second implique probablement une forme d'originalité et de prise de recul par rapport au grand modèle du film.
Soit un film-in-process présenté uniquement par son univers sonore et son générique de début, petit régal d'hommage cinéphilique au cinéma italien des années 70. Le film dans le film dont on ne verra donc rien mais dont tout sera entendu est une sorte de mélange entre Evil Dead, Blair Witch et le pitch-type de n'importe quel giallo de Dario Argento, une sorte de version forestière et médiévale de Suspiria donc. Du son, BBS nous dit qu'il a un pouvoir d'évocation immense par toutes ces scènes truculentes de bruitages (les fruits et légumes sont une source inépuisable pour l'imagination), il nous dit aussi que cette évocation suscite un désir inouï de voir ce que l'on entend. Mais il nous dit surtout que le son, puisqu'il est manipulable aussi facilement, permet la manipulation du spectateur. Elle est totale, permanente, dans BSS. Le récit ne cesse de glisser, de se transmuter, de nous échapper. C'est à la fois frustrant et enrichissant, puisque l'intérêt, l'étonnement, est sans cesse relancé : Gilderoy débarque dans un studio d'enregistrement où tout semble indiquer une histoire extrêmement louche. Personnages trop amicaux ou au contraire trop froids, mise en scène qui se focalise sur des petits détails baroques (les Silenzio lynchéens qui rythment le film, les légumes laissés à pourrir dans une benne), toute l'ambiance est méphistophélique, jusqu'au sommet malsain lorsque Santini force Gilderoy à manger un grain de raisin et à avaler les pépins (Perséphone est tout de suite moins sexy). Mais pourtant cette veine, indéniable, n'est pas exploitée et ne mène à rien. Le film choisit un entre-deux, où l'ambiance délétère du studio et l'étrangeté (au sens fort) dans laquelle est plongé le personnage le rendent peu à peu fou, perdu. Le montage opère des glissants sémantiques toujours brillants qui font le lien entre les séquences au domicile et au travail, qui peu à peu deviennent de plus en plus oniriques et inquiétants : Gilderoy rêve qu'on le tue et se retrouve dans le studio, seul, un couteau à la main, devant le film de sa propre mort. Sommet d'ambiguïté (ou de flemmardise ?), la fin du film, mutique et suspendue.
Difficile de garder un "message" à tirer de ce film, des cordes sont tirées, des codes repris et travaillés, on s'amuse beaucoup pendant une heure et demie et on admire le brio avec lequel tout ce petit cirque s'agite. L'hommage est intelligent et subtil, la réflexion sur le son passionnante et certaines scènes vous coupent le sifflet. Mais on ne peut s'empêcher de penser que tout cela est un peu vain, qu'il manque quelque chose à ce film pour lui donner une réelle profondeur. C'est idiot, mais c'était le pitch rêvé pour y ajouter un bon meurtre sanglant, très malsain et inexplicable, et de chercher justement dans le son la clé de tout le problème. Eviter cet écueil est un choix prudent et malin, mais forcément frustrant.
Ma note (sur 5) : |
4,5 |
Note moyenne au Palmarès (sur 5 notes) : |
3,50 |
Titre original |
Berberian Sound Studio |
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Mise en scène |
Peter Strickland |
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Production |
Illuminations Films & Warp X |
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Distribué en France par |
Wild Side/Le Pacte |
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Date de sortie France |
3 avril 2013 |
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Scénario |
Peter Strickland |
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Distribution |
Toby Jones, Cosimo Fusco & Hilda Peter |
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Durée |
92 min |
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Musique |
Broadcast |
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Photographie |
Nicholas D. Knowland |
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Support |
35 mm |
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Image |
1.85:1 ; 16/9 |
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Son |
VOst DD 5.1 |
Synopsis : 1976 : Berberian Sound Studio est l'un des studios de postproduction les moins chers et les plus miteux d'Italie. Seuls les films d'horreur les plus sordides y font appel pour le montage et le mixage de leur bande sonore. Gilderoy, un ingénieur du son naïf et introverti tout droit débarqué d'Angleterre, est chargé d'orchestrer le mixage du dernier film de Santini, le maestro de l'horreur. Laissant derrière lui l'atmosphère bon enfant du documentaire britannique, Gilderoy se retrouve plongé dans l'univers inconnu des films d'exploitation, pris dans un milieu hostile, entre actrices grinçantes, techniciens capricieux et bureaucrates récalcitrants. À mesure que les actrices se succèdent pour enregistrer une litanie de hurlements stridents, et que d'innocents légumes périssent sous les coups répétés de couteaux et de machettes destinés aux bruitages, Gilderoy doit affronter ses propres démons afin de ne pas sombrer…