Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Docteur Folamour
Un film de Stanley Kubrick (1964) avec Peter Sellers, George C. Scott & Sterling Hayden.
Titre original : Docteur Strangelove or How I learn to strop worrying and love the bomb.
Un coffret DVD Columbia zone 2 (2004), édition « 40e Anniversaire ».
Résumé : Le général Jack D. Ripper, commandant en chef d’un escadron de B52 – porteurs de bombes nucléaires – décide spontanément d’enclencher le plan d’attaque R contre des objectifs stratégiques en Russie. Saisi de l’affaire, le général Buck Turgidson en informe le Président qui réunit un conseil d’urgence en salle de guerre, en présence d’un ambassadeur de l’URSS et du mystérieux Docteur Folamour : il s’agit de trouver un moyen d’éviter l’holocauste nucléaire…
Une chronique de Vance
Premier film inscrit dans le cadre du Marathon Kubrick lancé par Cachou (cliquez sur son pseudo pour en avoir sa propre version).
Le choix proposé m’a séduit (de toutes manières, je n’avais pas la possibilité matérielle de visionner tous les films de Kubrick, ce qui aurait imposé un ordre chronologique) : Docteur Folamour, que j’avais vu il y a longtemps, ne suscitait pas en moi comme d’autres de ses œuvres des souvenirs imputrescibles, à part la main incontrôlable de Peter Sellers ou surtout l’image finale avec le major Kong chevauchant la bombe (passée à la postérité dans un excellent épisode des Simpson reprenant le thème musical du film Patton dans lequel s’illustra justement George C. Scott qu’on retrouve ici – ouf !). Commencer par celui-ci ne me dérangeait guère, d’autant qu’un très beau coffret DVD 40e Anniversaire attendait d’être déballé.
Ce fut fait avec joie et un peu d’appréhension. D’abord parce que je ne regarde que rarement des films seuls – et que ma compagne ne raffole pas de Kubrick, ses précédentes tentatives s’étant soldées par un ennui profond (2001 : sacrilège !) ou un intérêt poli (Shining). Et puis, parce que je craignais que l’aura de ce cinéaste n’en prenne un coup.
Ne suis-je pas trop partial avec le créateur du plus grand film de tous les temps ? Peut-être un peu, et cela parasitera sans doute mon approche du film. Cependant, je sais que s’il est objectivement raté, je tâcherais de lui trouver des éléments à décharge. Mais comment peut-il en être ainsi ?
Docteur Folamour est étonnant. C’est étonnant de voir Kubrick laisser la part belle à des numéros d’acteurs épatants (mieux : à les laisser plutôt libres d’interpréter des personnages complètement loufoques) : Peter Sellers, comédien prodigieux, nous livre trois rôles en or, dont un ouvertement clownesque que ne renierait pas Mike Myers (le contraste entre le ton docte et la maîtrise de soi du Président Muffley, le flegme britannique absolu du capitaine Mandrake et les accents nazis incontrôlables du Dr Folamour est irrésistible). Mais c’est surtout l’hénaurme George C. Scott qui sidère par ses grimaces accentuées par un sempiternel mâchement de chewing-gum et son attitude si profondément outrancière : ses pitreries sont effectuées avec tant de sincérité qu’elles emportent la décision (à ce propos, il est évocateur de constater que Kubrick était également séduit par l’énergie du bonhomme, au point de conserver une chute imprévue dans la salle de guerre, dont il se relève par une cabriole).
L’encodage du DVD rend hommage à un grain prononcé de la pellicule et nous propose un très beau noir et blanc doté de forts contrastes, accentué par des décadrages abrupts qui renforcent encore le cynisme du propos (les généraux grandiloquents sont systématiquement en contre-plongée tandis que le président est cadré de loin et d’en haut, comme écrasé par les révélations). Comme toujours, Kubrick a choisi avec soin les morceaux musicaux illustrant son œuvre, comme la chanson de Vera Lynn (We’ll meet again) sur fond de champignons atomiques ou cet air lancinant de la Guerre de Sécession qu’on retrouve aussi dans Die Hard. On savourera aussi le choix des noms des protagonistes : le Premier Ministre russe s’appelle Kissoff, le général parano se nomme Jack D. Ripper, le major pilote « King » Kong, etc. et la présence du slogan de l’US Air Force autant sur le fronton de la base aérienne que dans le bureau de Ripper : Peace is our profession.
Filmé avec savoir-faire et une rigueur qui laisse toutefois place à de vrais numéros comiques (Sellers parvenait à faire rire Kubrick aux larmes, et certaines scènes montrent que les autres acteurs avaient un mal fou à se retenir de pouffer), ce film s’engage pourtant sur un terrain dangereux en jouant sur la dilatation excessive du temps (l’histoire dure moins d’une heure et se partage essentiellement entre le bureau de Ripper, le cockpit d’un bombardier et la salle de guerre du Pentagone) et la tension relative à l’imminence d’une conflagration totale. Observer les efforts de Muffley pour conserver la tête froide malgré les piques de Turgidson ou les propos avinés de Kissoff ou encore écouter les explications de Folamour quant à la Doomsday Machine alors que le décompte se poursuit renforce l’attention mais démonte un peu le mécanisme. En outre, les séquences avec le B-52 (une maquette reproduite avec soin, mais qui reste malgré tout trop ostensible) demeurent assez faibles, malgré l’accent fortement texan de Slim Pickens. Les petits malins qui se demandent pourquoi la salle de guerre possède une aussi grande table chargée de desserts ne s’étonneront pas d’apprendre qu’à l’origine le film s’achevait par une homérique bataille de tartes à la crème, séquence coupée car ça collait moins au cynisme ambiant.
Visionné en V.O.S.T. 5.1 dts à l’excellent volume sonore, très équilibré.
Prochain film du Marathon : Spartacus.