Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
3,8/5
Je me souviens de cette frénésie qui avait secoué le monde cinéphile à l’été 1999 après l’exploitation en salles du 13e Guerrier : comment un film du réalisateur de Predator et de Piège de cristal, doté d’autant d’arguments que le contexte historique, un acteur charismatique et une histoire originale de Crichton, pouvait autant échouer à convaincre ? C’est que McTiernan avait proprement impressionné par les œuvres précitées, et démontré avec une rare maestria ses capacités de metteur en scène de l’action – et le 13e Guerrier était loin des espérances. On a très vite invoqué les contraintes de production, un cahier des charges trop serré, des mésententes entre Crichton et le réalisateur : le fait est que les premières projections-tests se sont avérées si désastreuses qu’il avait fallu modifier en catastrophe certaines séquences, en retourner d’autres (c’est là qu’est intervenu Crichton en personne) et même remplacer la partition entière par un score commandé à Jerry Goldsmith (comme Nico le signalait sur Skype, on y reconnaît d’ailleurs certains accents de celle de la Momie sorti le même été…).
Il n’en fallait pas plus pour ressusciter le spectre du director ‘s cut, histoire de redorer le blason du metteur en scène dont on pardonnerait définitivement le faux pas tout en vouant copieusement aux gémonies la tyrannie habituelle des méchants studios. Un jour, McTiernan mettrait tout le monde d’accord et prouverait qu’il n’avait rien perdu de sa superbe. Car il était difficile de croire alors que le créateur de Last action Hero, d’Une journée en enfer et de A la poursuite d’Octobre rouge ait pu se fourvoyer. Même s’il ne faisait plus l’unanimité, d’autant que Medicine Man et Thomas Crown avaient laissé songeurs nombre de ses fans.
Un spectre qui hantera les vidéo-clubs pendant longtemps, jusqu’à ce qu’une annonce récente révèle que, malgré les exigences de production, les rallonges de budget et le désaccord du metteur en scène, le 13e Guerrier est bel et bien une version définitive.
Autant donc se contenter de celle-ci. Et cesser d’y voir le film maudit, le chef-d’œuvre contrarié ou incompris.
Car il a ses qualités, et elles sont nombreuses. Le récit de Crichton mettait en scène un personnage ayant réellement existé, envoyé du calife dans les régions septentrionales de l’empire, dans le premier quart du Xe siècle, entre la Mer Noire et la Volga, alors que l’Europe se remettait doucement de la chute de l’Empire romain et voyait s’installer ou disparaître de nombreux royaumes barbares. C’est l’ère de la seconde vague d’invasion, dont celles venues du Nord : à l’Ouest, Rollon le Normand obienait du roi Charles le Simple (au traité de St-Clair-sur-Epte) la concession de territoires vassaux qui deviendront le duché de Normandie. L’ancien monde s’effondrait, le nouveau tardait à se construire – et malgré le processus systématique d’évangélisation, de très nombreux peuples européens continuaient à survivre au rythme de vieilles croyances…
On n’est pas loin des Chevaliers de la Table ronde et le basculement chaotique d’un royaume vers la loi chrétienne, imposant ses propres symboles ou modifiant ceux préexistants. D’ailleurs le roman avoue sa parenté avec la légende de Beowulf (la parenté des noms et des lieux est évidente) : Grendel, le dragon endormi, y est juste remplacé par une horde mystérieuse d’êtres bestiaux. Des démons ? Des sous-hommes ? Ils viennent avec la brume et emportent les corps, décapitant ceux qu’ils affrontent – et ne laissent aucune trace de leur passage, hormis le sang, les larmes et la destruction. Quant à l’histoire de cette troupe de guerriers venue en renfort, à l’appel du seigneur viking, on peut évoquer les Sept Samouraïs/Mercenaires : le combat semble désespéré et ils périront tous pour la cause.
Très vite, McTiernan impose son style, lisible et tout en fluidité. Pourtant, certains choix narratifs étonnent et laissent songeurs : le choc des cultures entre le notable arabe, issu d’une civilisation brillante et raffinée (quoique sur le déclin), et les brutes barbares ne donne lieu qu’à quelques scènes amusantes mais assez vaines. Et l’apprentissage de la langue (par la juxtaposition en fondu de scènes répétitives) ne convainc guère – à moins que la réalisation ne choisisse l’option du mythe à celle du récit historique ? C’est une des pierres d’achoppement des discussions : l’ensemble oscille constamment entre le légendaire, le merveilleux et le réalisme brutal.
Une disharmonie qui disparaît néanmoins dès les premières passes d’armes de la troupe des 13 : l’approche d’un village dévasté, avec cette caméra qui passe d’un groupe de guerriers à un autre, rendant l’ensemble de la scène parfaitement intelligible, rappelle les meilleurs moments de Predator. On demeurera d’ailleurs longtemps dans cet état d’esprit, avec également cette faculté à caractériser les personnages sans qu’il soit besoin d’en rappeler le background. Le côté faussement nonchalant des Vikings renvoie aux Marines forts en gueule mais redoutables le moment venu. Et on se délecte de cette formidable gestion de l’espace par des panoramiques vertigineux et un sens rare de la profondeur de champ.
Reste que les transitions posent problème, on y sent souvent des lacunes gênantes qui donnent un aspect éthéré au script : on évoque le destin, on dénote les éléments de la quête initiatique et les symboles pullulent – pourtant on reste la plupart du temps dans une succession de combats effrénés et de sièges désespérés. Les séquences, prises séparément, sont des morceaux d’anthologie (l’attaque de la caverne des Mangeurs de morts est une petite merveille) : elles peinent pourtant à s’achever (le face-à-face entre la Mère des Wendol et Buliwyf n’est clairement pas à la hauteur). L’ajout de certains plans sur la fin devient vite évident, et on regrettera d’avoir gâché la somptueuse image de Buliwyf en guerrier triomphant sur un ersatz de trône (une référence majestueuse au finale de Conan) par un gros plan supplémentaire et dispensable.
La copie en blu-ray est plutôt bonne, même si elle souffre parfois dans les basses lumières ; on remarquera une tendance (pas trop prononcée, heureusement) au lissage des textures. Le son manque d’ampleur, et le mixage met souvent en avant une musique pompeuse aux accents orientaux parfois décalés. Les comédiens sont étonnants : tous ces Vikings, brutes viriles pour qui la camaraderie et l’esprit de corps ne sont pas des vains mots, sont parfaitement interprétés, avec une mention pour le troublant Tony Curran et l’imposant Vladimir Kulich. En face d’eux, le jeu très latin de Banderas fait un parfait contrepoint, à tel point qu’on aurait souhaité voir plus longtemps la présence d’un excellent Omar Sharif (le conseiller polyglotte), qui retrouve l’élégance de son rôle dans Lawrence d’Arabie.
Un film bancal, donc, parfois légèrement frustrant dans son agencement et son refus de donner des explications, mais dont l’impression générale demeure largement positive. Ce qu’il aurait pu être, on ne le saura donc sans doute jamais (d’autant que McTiernan doit d’abord se dépatouiller avec la Justice), mais ce qu’il offre reste un très grand spectacle.
The 13th Warrior
Mise en scène |
John McTiernan & Michael Crichton |
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Genre |
Action historique |
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Production |
Walt Disney Pictures & Touchstone Pictures ; distribué en France par Metropolitan Filmexport |
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Date de sortie France |
18 août 1999 |
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Scénario |
Warren Lewis & William Wisher d’après le roman de Michael Crichton |
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Distribution |
Antonio Banderas, Tony Curran, Vladimir Kulich & Omar Sharif |
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Durée |
112 min |
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Musique |
Jerry Goldsmith |
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Support |
Blu-ray collector Metropolitan region B (2012) |
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Image |
2.35 :1 ; 16/9 |
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Son |
VF DTS HD-MA 5.1 |
Synopsis : Contraint à l'exil par son calife, pour avoir séduit la femme d'un autre, Ahmed Ibn Fahdlan est envoyé comme ambassadeur en Asie mineure. Une prophétie l'oblige à devenir le "13e Guerrier" d'un groupe de Vikings partant porter secours au seigneur Rothgar, dont le village est régulièrement attaqué par une horde de démons, mi-humains mi-animaux. Au cours de ce long périple vers le nord de l'Europe, Ahmed apprend la langue de ses compagnons et le maniement des armes. Sur place, il devra affronter ses propres peurs.