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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

Little Buddha

Little Buddha

Trente ans après sa sortie, Rimini Éditions propose de revoir le dernier film de la « trilogie orientale » de Bertolucci dans une copie entièrement restaurée en 4K et supervisée par le chef-opérateur lui-même.

RÉSUMÉ : Jesse Conrad, neuf ans, vit à Seattle avec ses parents. Un jour, ils reçoivent la visite surprise d'une délégation de moines bouddhistes venus du cœur de l’Himalaya. Ils sont persuadés que Jesse pourrait être la réincarnation d'un de leurs plus éminents chefs spirituels, mort 9 ans plus tôt, et souhaitent alors convier l’enfant au monastère pour lui faire passer des tests…

Ainsi que l’explique le critique Piero Spila dans un long entretien inclus dans le blu-ray, Bertolucci se trouvait au début des années 90 dans une période assez exaltante pour lui, bien qu’elle soit issue de la sensation de n’être plus à son aise dans son pays natal. Les différentes pressions qui s’exerçaient sur lui ne lui permettaient pas d’envisager d’y filmer sereinement, et il a donc choisi une forme d’exil culturel, puisant dans ses voyages une nouvelle force, de nouvelles motivations et sources d’inspiration.

Little Buddha

Bien lui en prit, donc, puisqu’il accoucha du Dernier Empereur, qui rafla 8 Oscars dont ceux du meilleur film et du meilleur scénario, et quantité d’autres prix de par le monde. Puis il filma la déliquescence d’un couple cherchant dans l’exotisme de quoi se ressourcer dans Un thé au Sahara, une oeuvre plutôt appréciée par la critique, avant de repartir en Extrême-Orient pour une histoire empreinte de mysticisme, de mythologie et de foi.

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Parfaitement entouré par des artistes de renom (Ryuichi Sakamoto, le compositeur récompensé du Dernier Empereur et de Furyo ; Vittorio Storaro, le directeur de la photo d’Apocalypse now), il se lance dans l’écriture d’une histoire ambitieuse qui commence par la mort d’un lama et la recherche de sa réincarnation. Les lecteurs de Lobsang Rampa (le Troisième Œil) n’auront aucune peine à assimiler les explications patientes des moines du Bhutan (rappelons que le Tibet ayant été envahi, une grande partie du clergé a émigré dans les pays voisins, dont le Népal), arrivés chez un couple de Seattle pour leur annoncer que le jeune Jesse pourrait abriter l’âme de leur ancien et vénéré maître.

Little Buddha

Commence alors une valse-hésitation entre l’architecte désabusé, sa femme plus ouverte d’esprit (elle est pourtant prof de maths) et le Lama Norbu qui, en attendant, offre au jeune garçon une version illustrée de l’histoire de Siddharta (le prince qui deviendrait Bouddha). Le récit s’engage alors dans un montage alterné, abruptement marqué par des choix de palettes de couleurs drastiques : aux tons froids et bleutés du présent américain s’opposent les teintes chaudes et chamarrées du Népal antique, magnifiquement mises en valeur par un sens aigu du cadrage et d’habiles mouvements de caméra. Les palais aux sculptures dentelées et aux colonnes ciselées succèdent aux forêts verdoyantes, et les soies et broderies des tenues repoussent les limites des encodages vidéo : le blu-ray qui nous a été prêté rend à merveille ce foisonnement de mille couleurs, l’UHD qui sort en même temps doit être encore plus radieux, et permettre sans doute un meilleur contraste en basses lumières (les scènes dans la pénombre, saturées de rouge, manquent de définition).

Little Buddha

Lorsqu’il aborde la vie du prince adoré qui finira par découvrir les souffrances de son peuple et choisira la voie qui le conduira à l’Illumination, Bertolucci opte pour une forme de version imagée des récits traditionnels, de sa naissance mythique à son Éveil après la longue période de méditation sur la Voie moyenne (entre l’ascèse et les excès). Le ton est volontairement didactique, les phrases ampoulées et le jeu des acteurs s’accorde à cette vision, avec notamment un Keanu Reeves en lévitation, plein de cette candeur qui lui valut une volée de bois vert de la part de nombreux spectateurs (nommé aux Razzies Awards pour une prestation que plusieurs mettent en parallèle avec celle dans Dracula). Difficile de dire où est la part du comédien et celle du metteur en scène, toujours est-il que le futur Neo prit son rôle au sérieux et perdit plusieurs kilos afin de coller à l’image du Bouddha émacié après des semaines d’ascétisme extrême. Il y a toutefois dans ces récits légendaires une forme de brutalité primale assez dérangeante, similaire à ce qu’on peut trouver dans des films comme Tale of tales.

Little Buddha

Néanmoins, impossible de ne pas savourer le travail imposant de la direction artistique, mélodieusement accompagnée par de somptueux airs de Sakamoto, dont certains rappellent le Maurice Jarre de Lawrence d’Arabie.

Reste la trame principale, celle de Jesse, de ses parents d’abord réticents et des autres candidats à la réincarnation. Malgré le naturel du jeune Alex Wiesendanger, la sauce ne prend quasiment jamais avec des scènes manquant de liant et de rythme. Seule la bonhomie de l’interprète du Lama Norbu, dont l’attitude, le sourire permanent et la sagesse laissent un peu transparaître les principes du bouddhisme, permet de conserver un peu d’attrait pour une intrigue qui n’en est pas une.

Little Buddha

Le film a clairement dérouté une partie du public, et s’il séduit par la beauté de ses images et la chaleur de sa partition, finit par ennuyer par son ton entre niaiserie et complaisance, et sa cruelle absence de suspense. C’est sur ces points que les suppléments inédits peuvent apporter un nouvel éclairage : ainsi, outre l’entretien susdit avec Spila, on pourra regarder celui avec Gianni Giovagnoni, « le Vrai du Faux », bourré d’anecdotes sur la manière de construire des décors à partir du réel (par exemple en cachant une partie de la cité par de faux murs mais en mettant en valeur les trésors architecturaux). « Être payé pour étudier » s’adresse directement au directeur artistique pour bon nombre d’autres histoires savoureuses.

 

Sorti en coffret combo UHD+blu-ray le 12 septembre 2024 chez Rimini Éditions, Little Buddha n’attend plus que vous pour que vous vous fassiez une séance de ciné-club avec un film controversé.

Titre original

Little Buddha

Date de sortie en salles

1er décembre 1993 avec AMLF

Date de sortie en vidéo

1er juillet 2011 2007 avec TF1

Réalisation

Bernardo Bertolucci

Distribution

Keanu Reeves, Bridget Fonda & Chris Isaak

Scénario

Bernardo Bertolucci, Rudy Wurlitzer & Mark Peploe

Photographie

Vittorio Storaro

Musique

Ryuichi Sakamoto

Support & durée

Blu-ray Rimini (2024) en 1.85 :1 / 105 min

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