Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Lorsqu’on le voit pour la première fois, le Dracula de Coppola impressionne et rebute à la fois par ses outrances visuelles et ses choix esthétiques et artistiques. Pour qui connaît le mythe instauré définitivement par Bram Stoker, il y a de quoi être agacé, voire profondément choqué par l’adaptation : des personnages au caractère fortement marqué (sauf le très transparent Harker qui ne sert que d’intermédiaire), une sensualité exacerbée (notamment incarnée par une Monica Bellucci peu vêtue, les actrices révélant régulièrement leurs courbes par le jeu des voiles translucides et des contre-jours coquins), des maquillages et des décors semblant issus de l’opéra, cadrant avec le choix d’une partition musicale hypnotique.
Dans cette version, on a la surprise d'entendre d'abord la voix d'Anthony Hopkins qui y interprète ensuite plusieurs rôles (chasseur de vampire, bien sûr, mais aussi prêtre médiéval et capitaine de vaisseau) et nous campe un Van Helsing tellement obsédé par sa quête qu’il en perd la raison : facétieux et bon vivant, il redoute et admire e
n même temps la créature qu'il a passé sa vie netière à pourchasser. Et ne comptons par sur le polymorphe Gary Oldman pour stabiliser l’ensemble, entre un dandy au charme envoûtant et un vieillard iconique au rire grinçant et à l'ombre autonome. Comme certaines critiques l’affirmaient : il fallait une certaine audace pour intituler cette œuvre Bram Stoker’s Dracula !
A l’aune des autres adaptations du roman déjà visionnées, la version de Coppola offre une alternative finalement réjouissante. Moins sombre, moins dense, moins mystérieuse et gothique que le choix de Murnau, moins immédiatement élégante que les films de la Hammer, cette extrapolation osée a le culot de puiser dans toute la grammaire cinématographique (en fait, un peu à la manière de Dreyer, avec de nombreux effets de transparence et de superposition ainsi que par le biais de raccords assez stupéfiants) afin d'en tirer des artifices de narration jubilatoires. Qu’il plaise ou non, le film ne peut que déclencher les passions, à l’instar de ces sensations et sentiments exacerbés qui lui confèrent un air d’opéra lyrique à mi-chemin de Verdi et de Wagner. Car tout y est bigger than life, à commencer par les douleurs et les chagrins qui orientent et balisent le film. Ceux qui souffrent, le font avec la manière, et toujours ostensiblement – le monde entier doit être mis au courant, et le manque de sobriété de la musique y concourt. C’est sans doute ce qui le rend parfois insupportable à ses détracteurs. En cela, la bande-son est régulièrement enrichie, empesée même, par des bruitages indistincts, des échos ténus, des borborygmes, des froissements et des grincements. Comme si le réalisateur voulait faire partager au spectateur l'ouverture à une conscience des choses supérieures que rapporte Lucy après sa première rencontre avec la bête (elle entend les murmures des serviteurs et les souris au plafond lui font l'effet d'éléphants).
Pourtant, à bien y regarder, on s’aperçoit que le parti pris de Francis Ford Coppola est bien l’amour éternel – pas cette petite romance sucrée à la Twilight, mais ce sentiment puissant et dévastateur qui peut repousser les limites même du monde humain, défiant la mort et le temps et conférant un sens à l’existence. Il peut déplacer des montagnes, dit-on : eh bien, par cette œuvre, on en a l’impression. Si tant est qu’on adhère aux choix de réalisation, on ne peut qu’être séduit par ce flot de sentiments passionnés qui unit Mina, Vlad et Lucy dans une folle sarabande dantesque : le temps n’a plus de prises sur ces amants maudits, damnés et inconsolables.
Dracula est de ces films dont on ressort lessivé, exténué – mais qu’on peut très bien quitter au bout d’une demi-heure. Il n’en est pas moins devenu une référence, tant dans le VIIe Art que dans le mythe vampirique. Le comte maudit dispose d’une palette de pouvoirs impressionnante (métamorphoses, maîtrise des éléments et des animaux) dont il use avec parcimonie mais finesse. Quant à ses faiblesses avérées (comme la lumière du soleil ou le besoin de reposer dans la terre de ses ancêtres) ne sont rien devant ce qui le perdra définitivement : un amour fou et ravageur.
Le blu-ray Gaumont TriStar n'est pas, loin s'en faut, un modèle du genre. Conspué chez les blogueurs à cause d'un master âgé et d'une définition chaotique, il offre cependant une image satisfaisante la plupart du temps et fait la part belle à la bande son, surtout en PCM (non compressé) qui développe une palette de graves impressionnante.
Titre original | Bram Stoker’s Dracula |
Date de sortie en salles | 13 janvier 1993 avec Columbia TriStar |
Date de sortie en vidéo | 2 juin 1999 avec Columbia TriStar |
Photographie | Wolciech Kilar |
Musique | Michael Ballhaus |
Support & durée | Blu-ray UHD 4K Sony (2017) region ALL en 2.35 :1 / 154 min |