Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Will, accompagné de sa femme enceinte, se rend au chevet de son père Edward qui est sur le point de mourir. Bien qu’il ait rompu le contact trois ans auparavant, il veut profiter des derniers instants de son géniteur pour en apprendre davantage sur sa vie, qu’il ne connaît qu’à travers les récits imagés et extravagants de ce formidable conteur trop souvent absent. Cependant Edward se refuse à ne s’en tenir qu’aux faits. Will se résigne mais, alors que sa femme se délecte des contes fantasmagoriques de son beau-père, il tombe sur des papiers qui le mettent enfin sur la piste de la vérité sur Edward Bloom, représentant de commerce. Mais la vérité sera-t-elle bonne à entendre ?
Le film en lui-même est un pur délice. A chaque vision, l'émotion dégagée est intacte, à peine voilée par l'habitude. Même si les personnages rencontrés au cours des pérégrinations de Ed Bloom sont tous plus extraordinaires les uns que les autres, la magie qui émane du métrage provient davantage de la profondeur des liens unissant un père à son fils que de la féérie de l'univers burtonnien. Ici, le réalisateur s'exprime par métaphores plus ou moins explicites, ce qui par exemple avait rebuté ma fille au cinéma. Le tout est de se laisser bercer par les récits et de n'y prendre que ce qui plaît.
C’est que l’histoire peut lasser et laisser de côté les fanatiques d’un Burton première mouture : ils n’y trouveront pas cette ambiance gothique, ce goût du macabre et cette folie visuelle qui imprégnaient ses principaux succès. Pourtant, en creusant bien, et pour peu qu’on le veuille vraiment, on trouve sous ce conte philosophique les habituels penchants de l’artiste, son amour prononcé pour les freaks et tous ces monstres quotidiens que la société tend à écarter ou montrer du doigt. Bloom (épatant Ewan McGregor et touchant Albert Finney), en magnifiant ses récits qui s’avèreront bien moins banals qu’on aurait pu le penser, cherche à mieux faire passer les émotions qui s’en dégagent : les géants sont gigantesques, les sorcières voient l’avenir, les forêts sont hantées et l’amour vainc tous les obstacles. Ce fil rouge romantique peut également désarçonner les pète-secs habitués à plus d’amertume, pourtant il a toujours été présent dans les précédentes productions du maître. Ici, la vision d’un Edward Bloom clamant ses sentiments pour la femme qu’il aime (sans même la connaître) au milieu d’un parterre de jonquilles peut faire sourire : ce côté mielleux ne doit pourtant pas empêcher quiconque d’apprécier les histoires qui nous sont narrées. C’est que Bloom, au bout du compte (et du conte), était un homme extraordinaire, celui-là même que chantent les Innocents, ne serait-ce que parce qu’il a aimé, et a été aimé en retour. Will, en recherchant la vérité, s’éloigne de ce que ce père trop souvent absent n’a cessé de lui apporter tout au long de son enfance : un peu de rêve, une porte ouverte en permanence sur l’Imaginaire. Pourtant, Will a bien des raisons d’en vouloir à un homme qui paraît ne jamais assumer ses actes, d’autant que tout laisse à penser qu’il aurait eu bien des aventures extraconjugales. Devenu père à son tour, il souffre de devoir à lui seul porter le fardeau des responsabilités sociales, et en accuse ce père puéril et rêveur. Seulement, il en oublie l’essentiel et refuse de reconnaître ce que cet homme lui a donné. Il faudra les témoignages de certains des acteurs (réels) de la vie (imaginaire) d’Edward, mais aussi la fascination de sa propre femme ainsi que l’amour indéfectible de sa mère pour qu’il se mette à son tour à arpenter le chemin qui le conduira auprès de cet être dont il ne sait rien en dehors d’histoires à dormir debout – mais des histoires qui ont forgé et entretenu son image, et surtout qui lui survivront. On n’est pas dans le refus niais et irréaliste des aléas de la réalité, mais dans la volonté d’aller au-delà de ceux-ci, de les réinterpréter en se les appropriant, puis de les transcender en les incorporant dans le cours immortel des légendes. En mettant en scène sa propre vie, l’acteur devient le créateur de celle-ci et touche doublement au sublime. Pourquoi un fils empêcherait-il son père de satisfaire ainsi un désir d’immortalité ?
Le DVD que j'ai pu voir rend plutôt bien justice aux merveilleuses images de Philippe Rousselot. Un film à voir incontestablement en V.O. qui distille quelques moments de pur délice, notamment lorsque Ewan McGregor retrouve son phrasé british, mais aussi la voix sensuelle de Marion Cotillard ou encore la gouaille inimitable de Danny De Vito. LE DVD propose également en bonus un quizz pour les afficionados de Burton ; certaines questions ne sont pas évidentes.
Pour peu qu’on adhère au principe et aux propos, on frissonnera à l'évocation de la scène finale, véritable condensé du film, hommage et requiem touchants, et hymne inoubliable à un père déjà regretté.
Magique et beau.
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Titre original |
Big Fish |
Réalisation |
Tim Burton |
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Date de sortie |
3 mars 2004 avec Columbia |
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Scénario |
John August d'après l'oeuvre de Daniel Wallace |
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Distribution |
Ewan McGregor, Albert Finney, Jessica Lange, Danny DeVito & Marion Cotillard |
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Photographie |
Philippe Rousselot |
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Musique |
Danny Elfman |
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Support & durée |
DVD GCTHV (2004) zone 2 en 1.85:1 / 125 min |
Synopsis : L'histoire à la fois drôle et poignante d'Edward Bloom, un père débordant d'imagination, et de son fils William. Ce dernier retourne au domicile familial après l'avoir quitté longtemps auparavant, pour être au chevet de son père, atteint d'un cancer. Il souhaite mieux le connaître et découvrir ses secrets avant qu'il ne soit trop tard. L'aventure débutera lorsque William tentera de discerner le vrai du faux dans les propos de son père mourant.