Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Dépositions, plaidoiries, expertises et autres pièces à conviction : nous sommes bien devant un film de procès. Ca commence par une mise en accusation, ça se termine par un verdict. Malgré le caractère ronflant voire pédant du terme "exorcisme", le film de Scott Derrickson propose une alternative intéressante à la vague nauséeuse d'ersatz du chef-d'oeuvre de Friedkin.
Le ballet des médecins interrogés au titre d’experts laisse à penser que tout indique un cas d'épilepsie doublée d'une névrose. Mais entre-temps, les premiers témoignages de proches (le compagnon de la victime, son père) apportent enfin leur lot de visions macabres et séquences bouleversantes – après tout, la plupart des spectateurs avaient payé pour ça. On apprend que « quelque chose » s’en est pris à Emily, quelque chose d'invisible mais de terriblement malfaisant. Et les séquences qui suivent sont saisissantes : membres tordus, corps arqué jusqu’à la limite de la rupture, yeux révulsés alternent avec des moments où la pauvre jeune fille perçoit une réalité de plus en plus cauchemardesque. De fait, on ne verra de la victime que de très rares images où elle est en pleine possession de ses moyens. L’effet est stupéfiant, savamment entretenu par une mise en scène parfois inspirée du futur réalisateur de Docteur Strange, avec une caméra parfois extrêmement mobile, voire nerveuse (on a parfois l'impression d'assister à un film d'Aronofsky) ou plus calme et contemplative, nous permettant de reprendre notre souffle. La bande sonore est à l’unisson : sans être révolutionnaire, elle sait à merveille utiliser les pizzicati des violons pour instiller l’angoisse et la peur. Les images, délavées, ne sont pas en reste, avec un réalisateur jouant parfois la carte du ton sur ton (l’avocate jouée par une toujours juste Laura Linney en blanc dans la neige) ou encore du contraste chargé de sens (les murs rouges) dans un film étonnamment cohérent qui évite (presque) le piège de la dispersion.
L’exorcisme annoncé rappelle l’incontournable film de Friedkin : on a là deux filles meurtries dans leur chair et dans leur esprit, pour lesquelles on ne peut que compatir. Le parallèle, volontaire ou non, est flagrant (le rituel est désormais connu), mais les subtiles différences contribuent à en renforcer l’aspect glauque : il est le point d’orgue attendu du métrage et les hurlements de la fille ainsi que ses déclamations en plusieurs langues hanteront longtemps les spectateurs. A côté de cela, le débat attendu et la lente évolution de l’attitude de l’avocate apparaissent bien ternes.
Pourtant, le film n’est pas fini : procès il y a, il faut donc un verdict. Et une sentence. Du coup, dans la dernière demi-heure, la tension retombe doucement avec un dernier témoignage insistant (un peu maladroitement) sur le spirituel. Le jugement n’a, en soi, pas vraiment d’importance, on se surprend à ne pas s’y passionner : le but était surtout de nous faire douter. Et c’est là que l’œil avisé se souvient de la première image du film, un premier plan apparemment anodin et qui prend soudain tout son sens. Là où on croyait que le réalisateur avait adopté une position, le doute rejaillit. Malin.
Au final, ce sont bien les séquences liées à Emily qu’on retiendra, ainsi qu'un jeu très élégant dans sa
distanciation de l'impeccable Tom Wilkinson. Les scènes horrifiques montrent que l’on peut encore faire peur au cinéma (ou du moins mettre mal à l'aise, car faire sursauter est à la portée du premier tâcheron venu) tout en utilisant des pratiques éprouvées : il suffit de creuser là où ça fait mal, de réveiller ce qui est enfoui en nous, cette angoisse liée au sacré, à la mort.
Les démons ont encore de beaux restes, et de beaux jours au cinéma.
Titre original |
The Exorcism of Emily Rose |
Date de sortie en salles |
7 décembre 2005 avec Gaumont Columbia TriStar Pictures |
Date de sortie en vidéo |
7 juin 2006 avec Sony Pictures |
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Photographie |
Tom Stern |
Musique |
Christopher Young |
Support & durée |
DVD Sony (2006) zone 2 en 2.40:1 / 119 min |