Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Chaque film des studios Ghibli naît d’une promesse et d’un devoir : celle de voyager tant dans les contrées les plus pittoresques de notre imaginaire que vers l’époque de notre enfance insouciante. Celui de renouer un pacte avec la Nature et les créatures invisibles qui la peuplent.
Bien que moins connu du grand public que d’autres chefs-d’œuvre de l’animation japonaise, Kiki la petite sorcière est un véritable petit régal. Il peut désorienter dans un premier temps le spectateur profane en ce sens que, à l'instar de Totoro, il narre une tranche de vie loin d'être dramatique. Bien entendu, les thèmes chers à Miyazaki sont présents : l'enfance, le parcours initiatique, les questionnements lors du passage à l'âge adulte, mais aussi une certaine image d'un passé idyllique, un goût prononcé pour
Kiki a treize ans et, selon la tradition ancestrale des sorcières, doit quitter sa maison pour subsister pendant un an. Elle devra trouver une ville, s'y installer et surtout s'y intégrer en trouvant un moyen d'utiliser au mieux ses dons. Mais cela passe aussi par l'acceptation des relations sociales : or, si elle se montre plutôt avenante et polie, toujours souriante, elle est hostile aux relations plus amicales que lui propose un garçon fasciné par elle.
Dans l’absolu, on pourra constater qu’il n'arrive pas à captiver autant que Mononoké ou Chihiro, à émouvoir autant que Totoro ou le Château dans le ciel, mais le métrage est manifestement sensible et touchant. Le cadre est typique chez le réalisateur : une Europe traditionnelle, presque intemporelle, hésitant entre les années 20 et 60 ; on sait qu'il y a
L'une des particularités du film est cet aspect fantastique latent : l'apparition de la jeune sorcière en ville fait tourner les têtes, mais les personnes âgées ne sont pas étonnées outre mesure. C'est un peu comme si, face à la technologie, la magie avait cédé du terrain, mais sans disparaître totalement. Du coup, le propos se rapproche beaucoup plus de celui de Totoro, voire Mononoké . Il s’accompagne d’une forme de nostalgie pour des temps en voie de disparition où les phénomènes surnaturels étaient intégrés dans les mœurs et la pratique de la sorcellerie acceptée par tous.
Sauf qu'ici, c'est dans le cadre de l'apprentissage de la vie : à 13 ans, à part le fait de voler sur un balai, Kiki ne sait rien faire. Mais elle est généreuse, volontaire et souriante. Les cyniques du XXIe siècle que nous sommes pourront trouver cela niais et futile ; c'est pourtant rafraichissant. Comme d'habitude chez le réalisateur, le nœud de l'histoire se situe dans la relation qu'aura Kiki avec un garçon fasciné par elle, relation qu'elle refuse d'abord et qui va influencer sa jeune carrière de livreuse. Kiki se veut forte et indépendante, elle apprendra pourtant qu'elle peut également s'appuyer sur les autres sans pour autant perdre son intégrité morale.
Car, étrangement, Kiki va perdre progressivement ses pouvoirs et ne parviendra plus à voler ou à comprendre le langage des animaux. Elle devra faire un effort sur elle-même et s'ouvrir aux autres pour surmonter cette épreuve. D'autant qu'elle est régulièrement secondée, épaulée, réconfortée : par son chat d'abord, le truculent Jiji, puis par des femmes. Evidemment, cette dégénérescence magique n’est rien moins que la traduction d’un état émotionnel : comme Parker dans Spider-Man 2, l’héroïne devra s’accomplir afin de retrouver son intégrité. Sous peine de disparaître dans le néant.
Le tout aurait pu être cucul et pourtant c'est remarquablement émouvant, élégant et stylé - Kurosawa affirme d'ailleurs avoir pleuré devant le film. La fin procure même une certaine tension, davantage d’ailleurs que dans Totoro. Comme souvent, le générique de fin montre, par quelques séquences supplémentaires et images fixes, ce qui se passera après la conclusion.
Outre une magnifique partition musicale, quoique moins enlevée que dans les précédentes compositions pour les studios Ghibli, Kiki est apparu comme un fort agréable moment de cinéma.
|
Titre original |
Majo no takkyubin |
Mise en scène |
Hayao Miyazaki |
|
Date de sortie France |
31 mars 2004 avec Buena Vista |
|
Scénario |
Hayao Miyazaki d’après l’œuvre d’Eiko Kadono |
|
Distribution |
Voix VO : Mninmi Takayama & Kappei Yamaguchi ; Voix VF : Adeline Chetail & Christophe Lemoine |
|
Musique |
Joe Hisaishi |
|
Photographie |
|
|
Support & durée |
Blu-ray Buena Vista (2013) region B en 1.77:1 / 102 min |