Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Zach Braff s’est fait connaître grâce au succès inattendu de Scrubs, une série loufoque dans le monde hospitalier qui fait la nique à Chicago Hospital, Urgences voire Grey’s Anatomy. Son visage lunaire et impassible est présent en permanence tout au long de ce petit film financé par un banquier enthousiaste avant le rachat par Miramax et Fox Searchlight après qu’il a été projeté au festival de Sundance. Faut croire que nombreux, avant même son exploitation, avaient été sensibles au climat particulier baignant cette histoire pourtant assez banale. Un garçon incapable de ressentir une véritable émotion, inexpressif et blasé à la suite d’un traumatisme dont on ne sait rien (au départ) promène sa placidité et sa bonhomie dans un univers dont il ne comprend plus les codes : déconnecté d’une réalité qu’il a fuie, il ne parvient pas à s’intégrer et trompe les vides de sa non-vie par des leurres existentiels. Il lui manque une étincelle, un souffle divin capable de rallumer les braises qu’on pressent rougeoyer encore au fond de son âme tourmentée mais hermétiquement (s)cel(l)ée : alors le garçon revivra, rira et pleurera enfin. Sur le papier, ça semble plat, sans saveur, à l'image du héros. Ca paraît surtout incommensurablement ennuyeux : un film sur le mal-être, par les temps qui courent, mais enfin, ça n'a pas de sens !
Ca n'en a pas, en effet.
Sauf que.
Sauf que ce film m'a été fort bien vendu. J'ai la chance de pouvoir lire (assez souvent) de très agréables et intéressants billets publiés par des collègues blogueurs mille fois plus stimulants et pertinents que la plupart des critiques pro que je parcourais d'un œil avachi jusque lors, et les coups de cœur qui fleurissent sur la toile ne ressemblent pas à des coups de pubs : on s'y étonne, on s'y émeut et on a envie de partager l'expérience. Mieux : on va jusqu'à redonner sa chance à un film qu'on avait détesté naguère, parce que quelqu'un dont on sait la sûreté de jugement l'a apprécié et encensé. Garden State avait parmi mes pairs cette aura indéfinissable qui engendre les œuvres cultes. Et puis, il était aussi le film préféré de Cachou (enfin, l'ex !).
Et surtout il y a dans la distribution Natalie Portman. Que dire sinon que bien peu d'actrices sont capables (à mes yeux, bien sûr) d'autant illuminer la pellicule par leur simple présence. Natalie joue Sam, une fille inconstante, variable et mythomane, complètement à fleur de peau, totalement touchante, subtilement ingénue et définitivement craquante. Fragile et forte à la fois, elle a ce sourire incomparable qui vous transperce et vous caresse simultanément : dévastateur et rassurant. On ne la cerne pas : vêtue comme une ado, ses réflexions ont parfois la fulgurance d'une vie bien remplie, où les heurts ont été au moins aussi nombreux que les joies.
Savamment, Braff nous la garde en réserve dans son film adorable, qui distille harmonieusement de magnifiques petits moments de douceur surréaliste tout au long de son cours sympathique. C'est vrai que le personnage de Andrew Largeman est le point focal du métrage (pas une séquence ne s'en détache) qui s'inspire de la propre vie du réalisateur ; pourtant, dès que Sam apparaît, on sent qu'on est sur le point de départ d'une sorte de renaissance.
Le spectacle peut éventuellement déplaire aux puristes, aux amateurs d'un cinéma formellement maîtrisé : Garden State est en effet constellé de petites maladresses, mais il ne parvient jamais à perdre sa principale qualité, celle d'apporter une certaine vision du bonheur. Un bonheur simple et accessible, qui n'a rien de transcendantal mais implique peine et souffrances, un bonheur patent, conscient et terrestre, fait de compromis douloureux et de plaisirs ineffables. Coquille vide qui permet au spectateur non pas de s'identifier mais de plonger à travers lui dans les dédales de sa vie en miettes, Andrew/Zach arpente un chemin qui ressemble à celui que nous gravissons tous, parfois à reculons, et on s'aperçoit alors que nous passons à côté de tant de choses magnifiques qui nous semblaient pusillanimes ou inutiles. Garden State nous répète avec une délicieuse poésie que le sublime et le beau sont souvent dans ces riens que nous dédaignons.
Je termine par une mention pour Ian Holm qui y est (comme souvent) remarquable bien qu'on le voie fort peu : ce rôle de père qui ne sait comment approcher ce fils qui lui glisse entre les doigts lui va comme un gant et il cultive son silence coupable avec maestria.
Vu en DVD dans un coffret de trois films de Natalie Portman (fabuleuse), avec en suppléments des scènes coupées qui montrent surtout l'amour que Braff a injecté dans cette œuvre au scénario écrit en grande partie au lycée.
J'ai beaucoup aimé.
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Titre original |
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Mise en scène |
Zach Braff |
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Date de sortie France |
20 avril 2005 avec Buena Vista |
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Scénario |
Zach Braff |
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Distribution |
Zach Braff, Ian Holm, Denis O'Hare & Natalie Portman |
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Musique |
Chad Fisher |
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Photographie |
Lawrence Sher |
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Support & durée |
DVD Fox (2006) zone 1 "Natalie Portman Collection" / 102 min |
Résumé : A la suite du décès de sa mère, un jeune acteur raté revient dans le New Jersey qu’il a quitté de nombreuses années auparavant. Il y retrouvera un père amer et distant et des amis un peu barges. Il y fera surtout la connaissance de Sam, une jeune fille qui lui montrera la vie sous un angle nouveau.