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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

[critique] Gran Torino : No hero

[critique] Gran Torino : No hero

Simple.
Confortable.
Clair.
Sans surprise.


Mais c'est Clint aux commandes, et c'en est bouleversant.

L’histoire est banale. Si l’on ne se prenait pas au jeu, si l’on n’était pas autant pétri d’admiration pour la dégaine fatiguée et pourtant si pleine de dignité de ce grand bonhomme, on saurait bien longtemps à l’avance comment cela va se terminer. A vrai dire, on s’en doute. Mais là où l’aura du personnage se manifeste, c’est que ce drame doux-amer au scénario vu des centaines de fois parvient encore à nous émouvoir. Parce que Walt, c’est Clint, c’est Harry, c’est Josey Wales, Thomas Highway, Frankie Dunn et toutes ces autres icônes eastwoodiennes (merci à Mojo pour les références !) : un condensé affiché, transparent et dense de caractères entiers, dépeints avec une exquise brutalité par ce réalisateur décidément passionnant au cours de sa longue carrière. On peut parler de point d’orgue. Voire de testament, si on part du principe qu’il s’agissait ici, selon l’aveu même de l’intéressé (à l'époque, il était en train de mettre au point Invictus), de la dernière apparition de Clint à l’écran. Le pire, c’est que c’en est tellement évident qu’on se fourvoierait presque, tant ce discours a été repris. L’écrire maintenant, c’est risquer la redondance.

Tant pis. Gran Torino était bon, diablement bon même. Sur une bande son précieuse s’achevant par la sublime chanson éponyme de Jamie Cullum & Don Runner, les images défilent comme un album-photo sans âge, avec ce même côté rassurant et suranné, mais aussi solide et stupéfiant. Walt est vieux, très vieux même : ses déplacements sont malaisés, sa respiration fluctue, sa peau parcheminée laisse transparaître son âge au travers des fanons sillonnant son cou fatigué. Il a pourtant cette rigueur dans la tenue, cette dignité presque futile qui le maintient raide et encore élégant à l’enterrement de sa femme, et incontestablement cool quand il en vient à affronter quelques voyous de bas étage, ou à siroter sa bière favorite sur sa petite terrasse. Un vieillard qui ne peut même pas penser à l’éventualité d’une maison de retraite, lui qui se rend encore si utile à la communauté, mais sait moins bien parler de sa vie que de la mort qu’il a côtoyée.

Un mal le ronge, un cancer spirituel qui l’empêche de donner un peu de l’amour que ses proches auraient mérité : raide comme la Justice, il attend l’implacable, l’inéluctable tout en le niant. Par rétro-action, on en vient à détester ses enfants et petits-enfants si futiles, niais et hypocrites, présentés avec tant de naïveté que c’en est tragiquement comique. Parce que Eastwood, c’et aussi cela, cette façon de montrer les bons et les méchants avec une aisance évidente tout en se contentant de grands traits parfois un peu appuyés. On repense alors à l’insupportable famille de Maggie, la boxeuse de Million Dollar Baby, qui s’était payée un séjour à Disneyland avant de passer la voir sur son lit de mort…

Une aisance évidente.

Tout le métrage se déroule ainsi, de manière évidente, naturelle, satisfaisant notre besoin de confort et de solidité éprouvée : l’histoire est sur des rails, écrite de toute éternité. Walt/Clint induit l’action, la précède, lui donne du sens : son être transfigure le rôle, son personnage illumine et bouleverse, emplissant l’écran, s’installant durablement dans nos mémoires. Il est sur le déclin, la corde raide. Régulièrement, comme un ressac lancinant, ce désespérant mais pourtant sympathique petit curé rouquin revient, le harcèle de questions insidieuses, le prie sans cesse de se confesser, tel l’Annonciateur de la faucheuse, un Ange de la mort christique. Or Walt a déjà accompli son chemin de croix, a déjà et depuis longtemps cuvé sa pénitence : ne reste que le passage à l’acte, à l’état supérieur, qui nécessitera une énergie sacrificielle et une volonté inébranlables. Pas besoin de courage pour celui qui a traversé les guerres. Juste encore un peu de temps, et de méthode.

Niant sa douleur, il trouvera la rédemption d’une vie où il a oublié de se livrer. Il trouvera la voie à arpenter. Au passage, il se fera des amis, réapprendra le goût du partage et des bonnes choses, les meilleures, celles qui sont données avec le cœur. Il peuplera ses derniers jours d’une chaleur qui a manqué à toute une existence emplie de néant.

Le film s’achève. Clint me manque déjà.

 

 

 

Titre original

Gran Torino

Mise en scène 

Clint Eastwood

Date de sortie France 

25 février 2009 avec Warner Bros.

Scénario 

Nick Schenk & Dave Johannson

Distribution 

Clint Eastwood, Bee Vang, Ahney Her, Geraldine Hughes & Dreama Walker

Musique

Kyle Eastwood, Michael Stevens & Jamie Cullum

Photographie

Tom Stern

Support & durée

Blu-ray Warner (2015) region All en 2.40:1 / 111 min

 

Résumé du Cinéphile Amateur : Walt Kowalski est un ancien de la guerre de Corée, un homme inflexible, amer et pétri de préjugés surannés. Après des années de travail à la chaîne, il vit replié sur lui-même, occupant ses journées à bricoler, traînasser et siroter des bières. Avant de mourir, sa femme exprima le vœu qu'il aille à confesse, mais Walt n'a rien à avouer, ni personne à qui parler. Hormis sa chienne Daisy, il ne fait confiance qu'à son M-1, toujours propre, toujours prêt à l'usage... […] Son quartier est aujourd'hui peuplé d'immigrants asiatiques qu'il méprise, et Walt ressasse ses haines, innombrables à l'encontre de ses voisins, des ados Hmong, latinos et afro-américains "qui croient faire la loi", de ses propres enfants, devenus pour lui des étrangers. Walt tue le temps comme il peut, en attendant le grand départ, jusqu'au jour où un ado Hmong du quartier tente de lui voler sa précieuse Ford Gran Torino sous la pression d'un gang. Walt fait alors face à la bande, et devient malgré lui le héros du quartier. Sue, la sœur aînée de Thao, insiste pour que ce dernier se rachète en travaillant pour Walt. Surmontant ses réticences, ce dernier confie au garçon des "travaux d'intérêt général" au profit du voisinage. C'est le début d'une amitié inattendue, qui changera le cours de leur vie...

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V
Tu l'as dit, Tina !
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T
un des meilleurs films de l'année !!
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V
Tu as raison, J.B. : il est fondé sur sa filmographie et sur l'expérience de tous ceux qui ont visionné ne serait-ce qu'un seul de ses films.
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J
Bonjour Vance, voilà une très belle critique d'un film qui est pour l'instant mon préféré de ce début d'année. Est-ce que l'on aurait autant aimé si Gran Torino avait été réalisé par quelqu'un d'autre que Clint ? Je crois que non : ce film EST Clint !
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V
Merci Dilbert. Merci doublement. Oui, j'ai effectivement aimé mais on ne peut éviter de se demander si on aurait autant aimé le film réalisé par quelqu'un d'autre que le grand Clint.
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D
Salut, Tout d'abord, très joli article, plein d'onirisme. On sent que tu l'a aimé. Et je te rejoins, sans aucuns efforts.Un film facile, certes, mais poignant. Notamment la fin.Et j'ai retrouvé le Clint Canaghan, et ça fait du bien.
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V
Merci beaucoup Corn-Flakes. J'espère que cela a ensoleillé ta "vie de merde" !
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C
Un excellent film qui méritait une excellente critique, et tu l'as faite, complète et nous redonnant envie d'aller revoir ce vieux Clint une nouvelle fois. :)
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V
Non, tu as raison, le ressenti est moins fort que les réflexions "après coup" - et forcément. Le film, ainsi, n'en ressort guère optimiste car il se focalise sur ce jeune homme qui s'aperçoit un peu tard qu'il s'est peut-être bercé d'illusions, mais, qu'au moins, il ne s'est pas laissé enfermé dans les principes auxquels il ne croyait plus. Le film est âpre et amer et blesse comme une vérité malsaine.
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R
Oh, oh, Vance : je pense quand même que ce jeune homme a été très déçu, sur le moment. Il s'est senti trahi. Bien sûr, l'onction, mais il est quand même mort jeune, et la tradition dit que l'onction favorise la longue vie. Il aurait pu réaliser encore beaucoup de choses, s'il n'avait pas été aussi crédule, sur la qualité intrinsèque de l'Alaska ! Cela dit, peut-être que Mr Penn va dans ton sens. Mais objectivement, surtout quand on apprend que c'est une histoire vraie, c'est difficile à avaler. Et sa copine de 16 ans qu'il aurait pu revoir ? Et le vieux qui voulait être son grand-père ? Lui-même espérait revenir. On l'espérait donc aussi. Les consolations théoriques, à mon avis, restent moins fortes que ce que l'écran directement montre. Si des effets spéciaux l'avaient montré allant au Ciel, ou se réincarnant pour accomplir ce qu'il comptait accomplir, je te suivrais, mais là, je suis sceptique.Mais je vais commenter aussi l'article de Twin. 
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