Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Depuis la disparition du frère de Ridley Scott, on a tendance à reconsidérer sa filmographie, trop rapidement et trop souvent cataloguée à l'époque comme des manèges à sensation dont la forme chaotique prime sur un fond décevant. Or, si le réalisateur de Top Gun avait effectivement tendance à charger ses plans de filtres surabondants et à privilégier un montage épileptique à une mise en scène fluide, il savait souvent construire une histoire sur de solides acteurs afin de transcender le matériau de base.
Du coup, en les revoyant, on est souvent agréablement surpris.
Man on fire, sans les tics visuels un peu trop systématiques du réalisateur et certains thèmes musicaux trop consensuels, malgré un scénario éprouvé et une trame vue et revue, fait partie de ces oeuvres qui méritent une seconde vision.
Car la technique ostentatoire du metteur en scène ne voile pas l'excellence de l'interprétation et surtout l'affinité patente qui se dégage de la relation entre la petite gosse de riche malicieuse et désarmante et cet homme qui a connu l'enfer des missions à haut risque, qui ne sait que tuer et se détruire : cette affinité illumine le film dans sa première partie et permet de tenir en haleine durant la "traque", dans l'espoir de revivre quelques minutes ces instants magiques où les regards se croisent, les dialogues fusent et les sourires naissent.
Etonnamment, cette relation fonctionne à plein, elle progresse lentement, Tony Scott semblant s'être donné la peine de la décrire du mieux qu'il pouvait, sans la sacrifier à la tuerie attendue. En ce sens, Man on Fire n'est pas un énième film d'action axé sur la vengeance implacable d'un homme seul et brisé, qui n'aurait plus rien à perdre. C'est bien pourtant ce qu'est ce Creasy, une sorte d'armure humaine vide de toute émotion, usé et abusé par ce qu'il a fait et vu dans une vie antérieure. Jusqu'à la rencontre de la petite Pita, il ne trouvait le réconfort qu'aux côtés d'un ami (Christopher Walken, formidable – ce mec a-t-il un jour été médiocre dans son rôle ? Il a ce magnétisme particulier, bien à lui, qui imprime la pellicule bien longtemps après son passage.).
Ainsi la jeune fille va non seulement l'intriguer suffisamment pour qu'il ne commette pas l'irréparable mais aussi éveiller en lui, comme en feedback, des sensations réprimées, oubliées, éteintes, ou peut-être jamais exprimées.
On comprend dès lors mieux, lorsque cet homme qui avait enfin de quoi redonner un sens à sa vie perd le contact avec elle, pour quelle raison il décide de faire ce qu'il sait faire de mieux : les buter tous, tous ceux qui ont profité de près ou de loin de ce crime odieux. La mère, qui dès le début manifestait une attirance toute en retenue pour le garde du corps (enfin, c'est une interprétation de quelques regards et gestes qu'elle a eus à l'égard de Creasy), ne peut que l'y encourager : ils partagent la même couleur, le même sentiment de perte irréparable.
Il est singulier de remarquer qu'on n'entre dans la chambre de la jeune fille qu'après sa disparition, pour constater à quel point elle est pleine de vie, de couleurs (à dominante bleue), d'objets ou de jouets ayant pour un enfant de cet âge autant de valeur et de signification qu'un héritage. Quel contraste avec la pauvre chambre aménagée pour Creasy, sombre, vide, qu'il ne songe aucunement à meubler, s'y contentant d'enfiler soir après soir du Jack Daniel's quand sa seule lecture - la Bible - ne vient pas l'en détourner.
A partir de cet instant, Creasy, meurtri, amoindri, devient un ange de la mort inéluctable. Il n'en a pas moins besoin d'aide et son ami ainsi qu'une journaliste ayant des relations plus ou moins intimes avec le contre-espionnage vont lui apporter le soutien logistique et les informations dont il a besoin. Les autorités, conscientes de ses actes, vont le laisser faire : il lavera avec un peu de chance le linge sale qu'elles étaient incapables de nettoyer elles-mêmes.
De traque en tortures, d'indices en témoignages, il se rapproche du cerveau de l'opération qui lui a enlevé sa seule raison de vivre, découvrant les dessous d'une affaire bien scabreuse. Dès lors, les codes sont respectés, Scott sort l'artillerie lourde avec un montage très cut des séquences et des effets sonores appuyés. Toutefois, pas de surenchère, pas de gunfights interminables. De temps en temps, ainsi qu'une litanie, des images de la petite viennent marteler notre regard comme la mémoire du tueur. Les révélations tombent, vite, et la volonté de Creasy se fait d'heure en heure plus implacable. Jusqu'au moment où il comprendra que tout ce qu'il croyait s'avérait erroné...
Au final, le film s'avère un excellent divertissement, qui sait même arracher quelques larmes : sans doute inattendu de la part d'un Tony Scott. Mais Denzel Washington est impeccable, commençant à bâtir une carrière de vigilante sur pellicule (il y a très peu de différence avec Equalizer) et la petite, interprétée par la surdouée Dakota Fanning, est proprement adorable.
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Titre original |
Man on fire |
Mise en scène |
Tony Scott |
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Date de sortie France |
13 octobre 2004 avec UFD |
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Scénario |
Brian Helgeland d'après le roman de A. J. Quinnell |
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Distribution |
Denzel Washington, Christopher Walken, Giancarlo Giannini, Radha Mitchell, Rachel Ticotin, Mickey Rourke & Dakota Fanning |
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Musique |
Harry Gregson-Williams |
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Photographie |
Paul Cameron & Cesar Charlone |
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Support & durée |
Blu-ray Fox (2010) en 2.40:1 / 146 min |
Synopsis : Ex-agent de la CIA devenu alcoolique, Creasy est engagé comme garde du corps de la jeune Pita. A son contact, il revit. Lorsque celle-ci est enlevée, Creasy prend les armes.