Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Devenez sorciers, devenez savants
Un livre de Georges Charpak & Henri Broch, éditions Odile Jacob 2002
Lorsqu’un physicien émérite, prix Nobel 1992, et un directeur du laboratoire de Zététique de l’Université de Sophia Antipolis s’associent pour un ouvrage, il y a dans l’air autre chose que la simple volonté de se faire
connaître. C’est particulièrement vrai pour Charpak, éminent homme de sciences, qui a su marier inventivité et prévoyance tout en se vouant à la
rénovation de l’enseignement des sciences à l’école depuis 1996 et le mouvement la Main à la Pâte.
On peut dire de lui qu’il n’avait rien à prouver. Sans doute le fait qu’il soit spécialiste de physique nucléaire – et défenseur de l’énergie nucléaire – a-t-il contribué à le faire sortir du bois pour cette entreprise pour le moins curieuse. A la
lecture de la bibliographie de son collègue et compère, on se rend compte qu’il s’agit avant tout d’un essai de démystification prenant la forme d’un pamphlet contre les croyances absurdes, le
paranormal, les préjugés.
Un livre censé ouvrir l’esprit, et non défendre l’obscurantisme et la stagnation de la pensée.
Voici comment les auteurs le présentent :
Nous ne prétendons nullement dans ce livre renverser le cours des choses. Nous espérons seulement, en proposant quelques expériences de sorcellerie banales, montrer comment un certain nombre de sorciers modernes abusent le pauvre monde !
En apprenant à berner les autres, vous serez mieux préparés à déceler les boniments des marchands d’illusions qui cherchent à vous persuader de leurs connaissances hors du commun[…].
Nous ne voulons en aucun cas imposer une pensée unique, nous militons au contraire pour le doute, le scepticisme, la curiosité et la science.
Restez savants, devenez sorciers !
Or, la lecture de l’ouvrage suscite de nombreuses questions, dès lors qu’on parvient à prendre un tant soit peu de recul. S’il est parfois enthousiasmant dans sa charge (plutôt virulente) contre les astrologues, amusant dans son analyse de certains « miracles » célèbres ou tours de magie (la plupart ayant été depuis longtemps décryptés puis repris par des prestidigitateurs malins, l’explication étant tombée dans l’oubli, comme la lévitation), le livre peine à passionner. On ne sait où il va, ni quel est son véritable objectif. Dès le début, on sent bien la volonté de nous mettre en garde contre les jugements hâtifs – notamment sur l’irradiation – qui nous exposent à être les victimes inconscientes de manipulations : en nous donnant les clefs de quelques « trucs », en nous invitant à les reproduire pour ébaubir l’assistance et passer pour un devin, un mage ou un télépathe, il cherche à nous prémunir contre les illusionnistes de tous poils, qu’ils soient adeptes d’une branche de la parapsychologie ou mass media. Ainsi, de TF1 à Arte (malgré tout le respect qu’ils affichent pour cette chaîne « culturelle »), les réseaux d’information en prennent pour leur grade lorsqu’ils diffusent à des heures de grande écoute des pseudo-reportages sur des miracles qui n’en sont pas.
Le problème est que ces bonnes intentions se retrouvent assez vite noyées sous des réflexions parallèles parfois brouillonnes, des démonstrations inutiles et même quelquefois étonnamment naïves (comment un fakir se transperce la langue) et une analyse des coïncidences sous un angle statistique pleine de bon sens. Ce sont d’ailleurs les statistiques, bien davantage que la physique, qui permettent de démystifier nombre de faits inexpliqués. Les statistiques et les probabilités.
On saura donc que l’eau miraculeuse coulant d’un sarcophage n’est que le résultat de l’infiltration d’eau de pluie, qu’aucun sourcier n’a pu prouver que son pouvoir fonctionnait bel et bien et relever ainsi un défi à 200 000 €, que tout le monde peut marcher sur des braises (mais pas courir !) ou dormir sur une planche à clous. Mais aussi, incidemment, que le discours ambiant sur les radiations est inepte puisqu’il omet de préciser que tous les corps sont baignés, en permanence, du fruit de la désintégration atomique de particules et qu’il faut réapprendre à mesurer les risques d’exposition à un danger nucléaire.
Au final, on ressort avec des certitudes un peu ébranlées, plein de chiffres en tête et l’impression d’avoir assisté à un discours plutôt que d’avoir lu un ouvrage de fond. S’il a eu un certain succès populaire, ce livre a été également violemment critiqué, voire attaqué, d’un côté par certains de ceux qui s’y voyaient présentés sous un visage peu amène (mais Elisabeth Teyssier ne semble pas s’être sentie diffamée – il y avait pourtant de quoi !), de l’autre par des scientifiques consternés par l’amateurisme et la véhémence de l’ouvrage et désireux de rétablir quelques vérités, quitte à dénoncer une sorte d’obscurantisme scientifique qui serait le pendant du goût immodéré des gens du XXIe siècle pour la parapsychologie.
Intéressant, mais confus.
Citation :
(En exergue du chapitre 1, p. 7) Albert EINSTEIN : Deux choses sont
infinies : l’univers et la sottise humaine. Mais je ne suis pas sûr de ce que j’affirme quant à l’Univers.
Merci à Gribouille pour le prêt.