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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

Grandeur & décadence des monstres classiques - 02

“Listen to them, the Children of the Night, what music they make…”

 

UNIVERSAL CLASSIC MONSTERS


Un dossier par TWIN

 

Deuxieme volet :

SAGA « FRANKENSTEIN »

 

Frankenstein (1931) **** de James Whale

Une oeuvre qui s’ouvre sur deux hommes armés de pelles et de pioches, tâchant de déterrer au plus vite les corps d’un cimetière hanté par les ombres de ses stèles gothiques, ne peut décidément pas être mauvaise. Et, dans le cas présent, c’est même l’un de ces films dont l’esthétique et le statut de fable morale aura le plus d’influence sur certains des grands cinéastes contemporains. Au-delà des ambiances sublimées par les niveaux de gris d’un vieux château en ruine abritant, une nuit d’orages, les expériences les plus macabres, c’est avant tout le jeu nuancé de Boris Karloff, qui trouve ici le rôle de sa vie, et à l’opposé l’interprétation exacerbée de Colin Clive qui entraînent l’adhésion. D’une efficacité narrative redoutable, l’œuvre enchaîne les séquences devenues cultes—ou, par la suite, stéréotypées, voire immensément parodiées—telles la naissance de la créature ou la chasse du monstre par une horde de villageois en furie se terminant par l’effondrement d’un moulin en flammes. Doté d’un sous texte d’une extrême richesse, Frankenstein est un pamphlet fort sur l’aliénation individuelle, la tension d’une violence rentrée et le droit à la différence.

 

Bride of Frankenstein (1935) ***** de James Whale

C’est le précieux chef-d’oeuvre de l’époque et du genre entier. Si Frankenstein était un monument d’esthétique expressionniste, Bride of Frankenstein se démarque avec contraste de son modèle et se pose comme un vivier créatif, hétéroclite, en pleine ébullition, qui n’hésite pas à virer dans le surréalisme le plus subtil. Le film est un foisonnement de fulgurances narratives—parfois des plus étonnantes et émouvantes, comme lorsque la créature apprend à communiquer auprès d’un vieil ermite aveugle le renvoyant à sa propre condition—et visuelles, tant les compositions optiques étonnent par la magie naïve et l’imaginaire enfantin typiquement hérité de Méliès auxquelles elles renvoient. Bride of Frankenstein est également le premier film féministe du cinéma : les hypnotiques Elsa Lanchester et Valérie Hobson ouvrent et ferment le bal d’une belle fable cruelle, dotée d’un humour constamment sur la corde raide entre innocence et perte de raison. La richesse de Frankenstein et Bride of Frankenstein est telle que j’y reviendrai prochainement via un article croisé mettant en rapport les thématiques, les ambitions narratives et les enjeux esthétiques soulevés avec le travail de Tim Burton sur Batman et Batman returns.

 

Son of Frankenstein (1939) *** de Rowland V. Lee

James Whale, estimant à raison avoir fait le tour de ce qu’il avait à dire sur le personnage, quitte la barre de la réalisation pour ce troisième épisode se posant comme la suite d’une œuvre qui n’en appelait pas forcément. Ce n’est pas non plus la peine de faire la fine bouche tant le résultat, pourtant très éloigné des deux films précédents, s’avère plaisant et divertissant. Malgré des liens un peu nébuleux avec les premières entrées de la franchise, Son of Frankenstein est un honnête spectacle privilégiant l’aventure et le mystère à l’horreur pure, ce qui a pour effet de donner aux rythme global un peps inattendu et rafraîchissant. Sans la profondeur de ses aînés, ce troisième épisode de la trilogie Karloffienne donne à Bela Lugosi l’un de ses plus beaux rôles : celui d’un bossu, Igor, sauvage aigri hourdant une vengeance ignoble contre la communauté qu’il est difficile de ne pas prendre en pitié. Basil Rathbone, dans le rôle du fils venu réclamer avec femme et enfant la propriété du domaine familial, bientôt rattrapé par les démons prométhéens, apporte une élégance et une finesse louables. Son of Frankenstein peut être considéré sans honte comme une conclusion très honnête à un premier cycle d’adaptations cinématographiques du mythe.

 

Ghost of Frankenstein (1942) * de Erle C. Kenton

Signé par celui qui deviendra l’artisan le plus prolifique d’Universal dans la mise en images des monstres classiques, Ghost of Frankenstein est un épisode grandement ankylosé par la perte de Karloff dans le rôle du monstre. On peut dire que l’acteur aura laissé durablement sa marque, et Lon Chaney Jr., qui décidément joue d’actes manqués, se veut un remplaçant décevant. Affublé d’une carrure massive très éloignée du corps longiligne de Karloff, Chaney Jr. joue un personnage bouffi à l’expressivité limitée et à la kinésie sonnant le début d’une vision très caricaturale du monstre. Reste que l’histoire n’est pas particulièrement intéressante (même Igor est gâché), avec une tendance à tirer un peu trop sur la ficelle de l’acceptable sur ce genre de production (les excuses narratives liant cet opus au précédent sont à en avaler ses orbites). On retiendra une mise en scène efficace dans sa capacité à emphaser le spectaculaire, et des rebondissements finaux radicaux pour l’avenir de la franchise, malheureusement restés au point mort.

 

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T
J'ai pu voir Gods and monsters sur C+ il y a presque dis ans. Hormis Ian McKellen et une bonne idée de départ, j'en garde le souvenir d'une oeuvre ennuyeuse et mal calibrée. A revoir ?
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V
Merci Robby, c'est noté. Pour le Dracula de Coppola, j'hésite car si j'apprécie une réelle recherche esthétique cherchant à concilier des décennies d'interprétation du mythe, j'ai du mal avec certains personnages caricaturaux et avec certaines outrances. Mais l'expérience est saisissante.
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R
Bonjour,Concernant Frankenstein, je ne peux que conseiller TRES vivement le film Gods and Monsters qui évoque les derniers jours de James Whale et au passage nous apprend beaucoup de choses sur l'inspiration de l'auteur. J'en ai fait récemment la chronique. Autant je suis fanissime de la version de Dracula de Coppola qui reste pour moi la meilleure vision du mythe (et de loin) autant j''ai trouvé la version Frankenstein de Branagh complètement foirée, frisant le comique involontaire parfois. Ce qui m'a pour le moins surpris de la part d'un cinéaste plutôt habitué à des adaptations plus hardues. Robby
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V
Ah, merci pour l'intervention et les remarques toujours pertinentes.
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R
Oui, c'était au bord du Léman. C'est vrai que c'était outré. Je ne me souviens pas s'il y avait la Mer de Glace. Elle était dans la version de Kenneth Branagh, avec De Niro. Un livre a été édité sur les évocations de Chamonix et du mont Blanc par les époux Shelley : c'est intéressant. Les Anglais ont un rapport bien particulier à la nature : ils y imaginent beaucoup de choses, mais presque toujours négatives. En tout cas, lorsqu'il s'agit de lieux qui leur sont étrangers. Quand on étudie la question, on s'aperçoit que la figure du monstre bondissant sur les glaces doit en réalité quelque chose aux traditions historiques et légendaires locales. Mais ce n'est pas présent dans les films de James Whale ! J'en parlerai peut-être quelque jour prochain sur mon blog.
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T
Tiens, je ne l'ai toujours pas visionné celui-ci...
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V
Je crois avoir lu cet article après une précédente discussion, mais je l'ai (re)lu avec plaisir. Cela me refait penser à Gothic, ce film u npeu outré mais fascinant qui retrace les circonstances de la genèse du monstre dans le cerveau de la romancière : les lieux étaient les mêmes.
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T
Bien vue ! L'origine théâtrale est également à trouver chez Dracula. Je vais de ce pas lire ton article.
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R
Des trois, je n'ai bien vu que le premier, dont j'aime effectivement l'atmosphère gothique, qui doit sans doute beaucoup à certains contes d'Edgar Poe, notamment ceux se passant en Europe. Il est à noter que le scénario reprend non Mary W. Shelley directement, mais des adaptations pour la scène qui avaient d'abord été représentées à Londres. L'action est donc concentrée dans un seul lieu, le sud de l'Allemagne, où le savant dans le livre fabrique sa créature. Mais une grande partie de l'action du livre se situe dans la région que j'habite, et je me permets de citer un article où j'en ai parlé : http://www.sfmag.net/article.php3?id_article=2288 . Cela montre que pendant longtemps, le cinéma a été regardé comme du théâtre filmé. Car le théâtre anglais pratique lui aussi l'unité de lieu, bien sûr, même s'il est moins rigide que le théâtre français classique, à cet égard. Les gognements du monstre, dans la version de Whale, restent les paroles les plus parlantes du cinéma parlant, naturellement !
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V
Bah je n'ai pas fait de sondage pour demander vos avis. J'aurais dû ?
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