Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Les dialectes, les noms propres d’hommes et de lieux me semblent des mines presque intactes et dont il est possible de tirer de grandes richesses.
Joseph de MAISTRE
Le comte Joseph de Maistre est un homme particulier, une de ces figures qui illuminent un siècle, qu’on oublie sur le moment mais qui ressurgissent au travers de citations et de références postérieures, et qu’on redécouvre presque avidement. Ce lettré qui aurait également pu faire sienne cette exclamation de Napoléon : Quel roman que ma vie ! Magistrat savoyard élevé au rang de sénateur, il a vu d’un très mauvais œil les progrès révolutionnaires et fut contraint de s’exiler temporairement avant de travailler pour le comte du roi de Sardaigne en tant qu’ambassadeur et, parfois, espion ! Mais entretemps, Joseph de Maistre s’était affilié à une Loge maçonnique dans laquelle il progressa avant de fonder la sienne propre – c’est sans doute la raison pour laquelle il est fréquemment cité par des occultistes alors qu’il passe plutôt pour un philosophe.
C’est d’ailleurs à ce titre que je l’ai retrouvé cité à l’occasion d’une étude menée sur l’ouvrage singulier de l’abbé Henri Boudet, curé de Rennes-les-Bains et auteur d’un ouvrage encore plus singulier nommé la Vraie Langue celtique & le Cromleck de Rennes-les-Bains, publié à Carcassonne en 1886. Boudet cite en effet l’écrivain savoyard afin d’encourager ses lecteurs à voir au-delà des noms de lieux tant il apparaît que son livre semble codé, fondé sur d’innombrables jeux de mots et calembours demandant pour les déchiffrer de réelles connaissances en Histoire comme en sémiologie. « Semble » car une première lecture nous livre un traité d’où ressort une absurdité certaine malgré d’immenses références littéraires. C’est pourquoi des auteurs comme Gérard de Sède, dans ses livres sur le mystère de Rennes-le-Château (la fameuse bourgade voisine, dans l’Aude, où le curé Béranger Saunière aurait dépensé des fortunes colossales venues d’on ne sait où, si ce n’est d’un trésor qui attise aujourd’hui encore les convoitises), ont tenu à se pencher dessus, sachant qu’Henri Boudet, connu pour son érudition, était un ami de Saunière (les lecteurs et spectateurs du Da Vinci Code auront en outre reconnu l’emprunt grossier du nom de famille pour baptiser l’un des personnages).
Pour en revenir à ce livre mystérieux, bourré d’erreurs et d’approximations sans doute volontaires, Gérard de Sède s’est penché sur un passage dans lequel il pense avoir trouvé la clef de déchiffrement : il concerne la « langue punique » laquelle, « par ses jeux de mots, savait créer les noms propres d’hommes. » Or, notre investigateur estime qu’il s’agit moins du langage parlé chez les Carthaginois (auxquels on associe normalement l’adjectif punique) que d’un langage codé emprunté à Jonathan Swift, grand écrivain et ecclésiastique qui, outre le fameux Voyages de Gulliver, a publié en 1719 l’Ars punica/the Art of punning or the Flower of languages in 79 rules, c’est à dire « l’Art du Calembour ».
Le livre de Boudet serait donc un livre codé, sans doute un traité de crypto-géographie si l’on en croit la carte truquée qui s’y trouve, dont le déchiffrement de la toponymie fait appel aux jeux de mots sous le double patronage de Swift et de Maistre.
Encore une fois, le mystère du trésor de Rennes-le-Château, quand bien même on en aurait trouvé la source concrète, nous entraîne dans le sillage d’érudits qui savent enflammer l’imagination. Souvent, le trésor est dans la quête, non le but de cette quête.