Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Abominable
Collection 100% Marvel : Hulk #04
5 épisodes de la mini-série Dark Mind, Dark Hearts par Bruce Jones & Mike Deodato Jr
Pourchassé à la fois par l’armée américaine et par une mystérieuse
organisation qui en veut à ses cellules, Bruce Banner continue plus que jamais à errer seul, ruminant les circonstances atroces de la mort de son épouse, Betty, irradiée par l’un de ses ennemis
de toujours, l’Abomination. Il a connu le pire mais grâce à une discipline mentale régulière et l’appui d’un étrange allié qui se fait appeler Mister
Blue et ne communique que par courriels, Banner voit la vie sous un angle un peu moins fataliste. Il n’empêche que, s’il parvient de mieux en mieux à contrôler sa rage – et donc sa
transformation, la solitude lui pèse.
Etrange impression. J’ai commencé cette chronique avant de visionner le film de Leterrier produit par les flambants neufs Marvel Studios et à présent que je la poursuis, je m’aperçois combien
ces épisodes de la série classique (volume 2), donc mainstream comme disent les aficionados, ont pesé
dans l’écriture du scénario. C’est que Bruce Jones, nettement plus connu pour ses travaux d’illustrateur spécialisé dans l’horreur et la SF (il a
travaillé pour Amazing Stories avant d’opérer un virage comics avec notamment des épisodes pour
Red Sonja et Conan), a su parfaitement retrouver cette atmosphère qui plaisait aux amateurs des
premières histoires du colosse de jade avec en point de mire deux conditions : la fuite permanente
et la solitude forcée. Et, du coup, bon an mal an, ceux qui ne connaissaient du Hulk que la série TV avec Bill Bixby et Lou Ferrigno, peuvent s’y retrouver. Toutefois, Jones demeure dans l’air du
temps et accompagne ces préceptes de base d’intrigues solides, emberlificotées juste ce qu’il faut pour tenir un rythme feuilletonnesque, ponctuées de combats monstrueux où la puissance de Hulk
redevient le maître-mot. Et tout est là, dans cette rage contenue qui, à l’image de la personnalité complexe de Banner, sous-tend les meilleures histoires de la série : ce qui fascine chez ce héros particulier (qui, rappelons-le, a quand même sauvé le monde une
bonne dizaine de fois tout en étant pourchassé sans relâche par l’Armée ou le Leader, quand ce n’étaient pas d’autres super-héros avides de gloire et
de reconnaissance), c’est justement ce caractère incontrôlable, ce pouvoir qui frise l’Absolu, mais dont, contrairement aux personnages les plus puissant de DC ou de Marvel, il ne dispose pas dans l’instant. Hulk est potentiellement l’être vivant le plus puissant sur
Terre, sa colère lui donnant accès à une réserve d’énergie illimitée : la manière cavalière avec laquelle il a balayé les Illuminati dans
World War Hulk (ni Flèche Noire des Inhumains, ni les Fantastiques, ni même l’ingénieux Iron Man n’ont pesé lourd dans leurs affrontements) ne doit pas révolter le
lecteur moyen, car elle illustre ce à quoi pouvait prétendre Banner/Hulk s’il parvenait à discipliner son esprit et canaliser sa rage (un fait déjà sensible dans Planète Hulk que j’ai chroniqué).
Ici, nous n’en sommes pas encore à cet instant : Banner est toujours la cible de personnes mal intentionnées et fuit perpétuellement, ne comptant que sur les informations distillées par ce mystérieux Mr Blue pour éviter ou déjouer les pièges qu’on lui tend. Ce n’est plus l’Armée des Etats-Unis et le Général Ross qui en ont après lui, mais une organisation dont le caractère secret augmente encore l’intérêt de la course-poursuite. Car si Hulk est un béhémoth dévastateur, le « faible » Banner dispose d’un atout non négligeable : son cerveau. Curieux tout de même que les premiers et les plus célèbres super-héros de la planète Marvel aient en commun d’être des personnages supérieurement intelligents, non ? Bref, Bruce Banner occupe ici le devant de la scène : son expérience de la fuite, son intellect et (c’est nouveau) un certain détachement presque cynique lui permettent d’aller de l’avant sans être continuellement sur la défensive. On n’a plus affaire au larmoyant professeur qui redoutait par dessus tout de se mettre en colère, mais à un savant brillant qui sait gérer les situations, même les plus critiques. Lorsque des malfrats s’en prennent à une serveuse et qu’il décide d’intervenir, il ne choisit pas de se transformer : il leur dit, posément, de la laisser puis de faire gaffe car « Elle n’a plus de pansements. » Et si ses yeux se mettent alors à s’illuminer de vert (comme dans la série télévisée), il n’a plus cet afflux massif d’énergie gamma qui doublait, triplait ou quadruplait de volume chacun de ses muscles : c’est Banner qui, calmement, leur fout la pâtée et les met en pièces. La discipline mentale qu’il pratique fonctionne. Seulement, mais il ne le devine pas, le piège se referme sur lui : ses ennemis sont plus retors qu’il ne le pensait – et comment attirer dans ses rets un homme solitaire qui pleure sa bien-aimée ? Avec une femme seule, bien entendu.
L’album se lit vite, mais c’est avant tout parce qu’il est passionnant et ne présente aucun temps mort. L’action se partage la plupart du temps en trois endroits : Banner et Nadia, dans un café improbable perdu dans le désert (du Nevada ?) ; deux membres de l’Organisation qui s’introduisent dans un complexe secret où est détenu l’Abomination (Emil Blonsky, faut-il vous le dire, a également été « victime » d’un rayonnement gamma massif, mais cela l’a transformé en quelque chose de bien moins agréable à voir que Hulk), dans le but de le persuader d’affronter, une énième fois, sa Némésis verte ; une petite ville perdue dans laquelle un agent s’efforce de trouver un document qui permettrait de révéler l’identité de cet insaisissable Mr Blue. Evidemment, tout se recoupe, tout s’agence avec bonheur jusqu’au combat attendu (espéré) et à la révélation finale. L’organisation qui traque Banner ne reculera devant rien pour l’appréhender et notre homme se retrouvera isolé, coupé même de son contact : ne devra-t-il son salut qu’à Hulk ou Bruce a-t-il encore quelques atouts dans sa manche ?
Un mot sur la réalisation. Deodato signe ici une œuvre remarquable. On le connaissait pour sa façon spectaculaire de représenter les héroïnes (il a illustré Wonder Woman notamment, avec maestria et beaucoup de glamour), il livre un travail plus fouillé, plus affirmé, sans doute plus mûr. Les personnages, moins allongés, cèdent moins à la tendance (on n’assiste plus à un défilé de mannequins aux proportions improbables) et l’accent est placé sur la représentation des expressions du visage. Si le découpage est somme toute classique, il y a une réelle recherche du cadrage idéal, qui lui permet de nous gratifier de quelques planches pleine page magnifiant les paysages ou développant la silhouette imposante de nos deux mastodontes. Terminons par la reproduction (comme toujours dans cette collection) des couvertures originales : elles sont signées Kaare Andrews et sont de vrais petits bijoux de graphisme. Je rêve d’un T-shirt où l’une d’elles serait imprimée !
Pour les fans de Hulk, et les autres, un excellent album. Et pour ceux qui iront voir le film (qui mérite d’être vu même si, comme Neault, on est réfractaire à toute idée d’adaptation), c’est un très bon prélude.