Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Récemment, j’ai été amené à travailler sur le film la Grande Illusion, l’un des plus grands films, sinon le plus connu, de Jean Renoir, datant de 1937. Revisionner cette merveille était déjà enrichissant, tant par la composition élaborée que par l’interprétation remarquable. Mais l’œuvre en elle-même a suscité des débats et commentaires intéressants, souvent passionnés, parfois déplacés. Ils permettent de mieux situer le travail exemplaire de ce metteur en scène aujourd’hui reconnu mais qui n’eut pas, en son temps, autant de facilité qu’on l’aurait pensé.
Ci-dessous
une anecdote tirée d’une interview de Henri Jeanson, comédien puis journaliste farouchement pacifiste (plusieurs fois emprisonné pour ses prises de position dans les années 30), auteur,
dialoguiste, réalisateur et compositeur de musique.
Renoir vient me voir : « Imagine-toi qu'on voudrait que je fasse un film qui s'appelle PEPE LE MOKO !
- Eh bien, lui ai-je dit, si le scénario te plaît, il faut le faire !
- Mais le scénario, il faudrait le refaire... le film commence par une plaque dédiée aux policiers morts dans l'accomplissement de leur devoir... Ca me débecte ! Et puis là-dessus on entend un bruit de mitrailleuse et la plaque vole en éclats ! Ça c'est le début du film…Plus loin il y a des poursuites dans la Casbah, en voiture ! Je suis allé dans la Casbah et je peux te dire que les rues sont si étroites qu'il ne peut pas y avoir de poursuite en voiture ! Bref, moi, je ne veux pas refaire SCARFACE ! »
Je lui réponds : « Tu dois faire le film comme tu l'entends. Comme tu n'es pas pressé, que tu n'as pas besoin d'argent, tu n'as qu'à les envoyer se faire foutre ! »
C'est ce qu'il a fait. Mais quand Duvivier est venu me trouver pour écrire PEPE LE MOKO, je me suis souvenu des remarques de Renoir. »