Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Arthur C. Clarke n’est plus. Il s’est éteint ce mercredi 19 mars 2008 dans un hôpital du Sri-Lanka, territoire où il s’était retiré de nombreuses années auparavant pour s’y consacrer à l’écologie et à la rédaction de suites à ses plus grands succès littéraires. Car Clarke a eu incontestablement du succès : en une demi-douzaine de romans et quelques nouvelles, il s’est hissé au panthéon des plus grands auteurs de SF, ceux du fameux « Age d’or » dont sont issus Robert Heinlein et Isaac Asimov.
Comme ce dernier, dont il était devenu plus qu’un confrère, Clarke est issu du monde scientifique. Astrophysicien de formation, il s’est spécialisé dans les radars pendant la Seconde Guerre Mondiale avant de devenir un théoricien de génie – il est le père du concept des satellites géostationnaires. Jusque vers les années 60, il s’était fait connaître en premier lieu par des textes de vulgarisation, très techniques et parfois rébarbatifs, comme les Iles de l’espace ou Lumière cendrée : il y abordait le sujet de la conquête spatiale avec application et force détails.
Mais il a « explosé » aux yeux des connaisseurs avec deux romans majeurs, les Enfants d’Icare et la Cité & les Astres détaillant avec passion et humanisme les avenirs possibles d’une humanité maladroite et infantile, mais riche de possibilités infinies, qui a besoin pour s’accomplir d’un « nouveau messianisme » (j’emprunte cette expression à Stan Barets). Dans le même temps, il rédigeait des nouvelles où se révélaient une intelligence très vive et une imagination débordante. L’une d’entre elles, qu’on retrouve dans le recueil (devenu un classique indispensable de la SF) Avant l’Eden, s’intitule la Sentinelle : avec elle, Clarke allait passer du statut de grand auteur à celui de référence absolue. Parce que, en la lisant, un certain Stanley Kubrick conçut l’idée d’un film de science-fiction, un film qui serait le meilleur jamais réalisé, mêlant précisions scientifiques et réflexions métaphysiques. 2001, l’Odyssée de l’espace était né de ces deux cerveaux britanniques et allait bouleverser le monde du 7e Art, comme celui de la SF sous ses acceptions les plus larges.
Suite à quelques dissensions avec l’irascible metteur en scène, Clarke écrivit lui-même une adaptation de sa propre nouvelle (et donc du film) en en modifiant certains indices et lieux, développant des sujets de préoccupation qui lui sont chers. Le roman n’est pas très facile à lire, mais il porte le germe de son avenir d’écrivain. Il sera d’ailleurs suivi de 3 séquelles, plus ou moins réussies d’un point de vue formel, mais qui construisent avec audace une vision du futur où l’Humanité devra forcément se faire une place dans l’Univers, sans pour autant oublier sa fragilité et renier une humilité nécessaire.
Mais Clarke ne s’en est pas tenu là et a également écrit deux ouvrages qui ont décroché le prix Hugo (l’Oscar de la SF si vous voulez) : Rendez-vous avec Rama, mélange improbable de space opera et de poésie ésotérique et Terre, planète impériale qui commémore le 500e anniversaire de l’Indépendance des Etats-Unis. Je conseille aussi l’excellent recueil l’Etoile qui démontre un sens aigu de l’ironie dans des histoires étonnamment subtiles.
Par la suite, il s’est retiré donc sur l’île de Ceylan, préoccupé par le sort de notre planète et des espèces en voie de disparition (il me semble qu’il a notamment écrit un livre sur les dauphins). Sans en être absolument certain, je crois que c’est sa maison qui apparaît dans les séquences de 2010 de Peter Hyams (lorsque l’on aperçoit des images de la famille du professeur Heywood Floyd) et lui-même est présent à l’écran dans plusieurs séquences « clins d’œil ». Autre anecdote plus connue, celle concernant le « pacte Asimov-Clarke » par lequel ces deux immenses écrivains se partageaient le monde de la SF avec beaucoup d’humour (une sorte de Traité de Tordesillas culturel), le premier s’autoproclamant plus grand auteur scientifique juste devant Clarke qui, lui, se targuait d’être le meilleur écrivain de SF, Asimov étant son dauphin.
Ses dernières années l’avaient surtout vu cosigner des livres exploitant ses univers (dont notamment une série d’ouvrages de Paul Preuss), un peu comme ce qu’avaient fait quelques jeunes écrivains qui ont développé des textes sur la saga Foundation d’Asimov.
Voilà, je crois que j’ai assez dit par ces quelques lignes ma très grande admiration pour celui qui présida à la réalisation de ce que je considère encore comme le plus grand film de tous les temps. Clarke est mort, lui qui estimait avec justesse :
La politique et la religion sont périmées ; le temps est venu pour la science et la spiritualité.
J’en profite pour replacer ici une phrase de J.B.S. Haldane, compatriote biologiste de renom, qui disait de lui :
Il compte au nombre des rares personnes vivantes qui aient écrit quelque chose d’original sur Dieu.
Rien que pour cela, il mérite le respect.