Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Thor : la Légende asgardienne
Marvel Monster Edition « Thor » ã Panini comics 2004
Scan de couverture chez Vf Comics.
Investi des
pouvoirs divins d’Odin, son père, Thor hérite du trône d’Asgard et se décide enfin à régner. Mieux que cela, il décide d’en user à bon escient et ne trouve rien de mieux que de venir sur Terre
pour y régler, une fois pour toutes, les problèmes qui la gangrènent : la faim, la misère. Voilà donc qu’Asgard, la cité céleste des dieux nordiques, apparaît dans le ciel de New-York et
Thor se voit déjà le bienfaiteur de l’Humanité. Mais, outre les inévitables problèmes éthiques qu’une telle ingérence peut poser, Thor doit faire face à des détracteurs même parmi ses anciens
amis…
Cet album vendu en librairie comprend pour l’essentiel un arc en huit volets titré Spiral en VO et écrit par Dan Jurgens. Trois histoires sans véritable lien avec la continuité ont été
rajoutées, dont une scénarisée par le grand Christopher Priest (l’auteur du Monde inverti). De
nombreux dessinateurs ont été à l’œuvre sur ces épisodes, avec des styles pas forcément similaires (comme Joe Bennett et Paco Medina, voire Kia Asamiya). L’impression d’ensemble est plutôt bonne, même si l’arc principal
aurait pu largement être tiré vers le haut par un artiste aimant les traits puissants et la majesté du super-héros au marteau – je me souviens des histoires illustrées par Romita Jr, qui avaient réussi à relancer mon intérêt
pour une série que j’avais délaissée après la défection de John Buscema. Cette édition donne de la substance à un scénario fascinant et
permet de ne pas en rompre la structure, car la « spirale » invoquée décrit autant la montée en puissance d’un ex-Vengeur devenu dieu
tout-puissant que sa descente aux enfers aussi imméritée qu’inexorable. Jurgens s’attelait déjà depuis un moment à cette gageure tenant dans une question : lorsque l’on a
le pouvoir de remédier à tous les maux, a-t-on la légitimité d’intervenir ? Thor, lassé de
la misère du monde dont il a été le témoin au travers des exactions des plus terribles super-vilains comme des gouvernements les plus pernicieux, décide de l’éradiquer, coûte que
coûte ; ni ses anciens amis (dont Spiderman ou Tony Stark, ci-devant Iron Man et désormais leader du SHIELD) ni même le discours prophétique de
Zarrko, l’homme venu du futur, ni encore les doutes de ses sujets les plus proches ou de ses pairs les dieux du panthéon ne l’en
dissuaderont : il se sait investi d’une mission et, peu à peu, se posera comme le champion des opprimés, faiseur de miracles et
redresseur de torts. Sans qu’il l’ait en quoi que ce fut demandé, il se verra idolâtré, vénéré, révéré, au point qu’un mouvement religieux
s’appuyant sur ses hauts faits naîtra et grandira en nombre jusqu’à interpeller le Vatican. Du coup, d’essai philosophique, Spiral devient réflexion théologique : peut-on se substituer à Dieu ? On pourra regretter que
Jurgens force le trait dans la seconde moitié, mais l’apocalypse inévitable qui point ne peut qu’attiser l’envie du lecteur : jusqu’à quand Thor restera-t-il sourd aux injonctions de ceux
qui expriment leur crainte devant son interventionnisme ? Comment réagira-t-il en se sachant l’objet d’un culte aussi spontané qu’influent ? Comment conciliera-t-il son respect des
religions et ses propres actes ?
Dans ce drame, l’ambulancier Jake Olson, qui autrefois fut l’avatar humain de Thor, aura un rôle à jouer.
Dans les trois épisodes publiés dans cette édition et qui, malheureusement, ne font pas suite à l’arc susdit, se détache le très beau la Substance de nos désirs où Christopher Priest raconte une aventure dans laquelle la Foi est l’élément central. Rédigé sur le mode mineur, mais avec élégance et une certaine malice.
Cher Thor, signé Marlan Harris, est touchante, on y suit à travers ses lettres la vie entière d’une femme qui n’a cessé d’écrire à Thor, lui avouant son indéfectible admiration, ses craintes, ses passions, ses désirs d’avenir… Subtil et poignant, le récit exploite à merveille le cadre pourtant strict du format.
Enfin, la Légende asgardienne est de conception nettement plus classique où l’on voit l’énorme Volstagg narrer un énième exploit du dieu de la foudre à ses enfants. Joli, un brin naïf et « rétro » mais ça n’ôte rien au plaisir de parcourir cet album très dense. Si l’on supporte la très forte odeur d’encre et le contact d’un papier bon marché (qui permet de serrer les prix), il s’agit d’un ouvrage à conseiller aux amateurs.