Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Que dire ? D'abord, que je suis persuadé que les culs-bénis et quelques illuminés cherchant surtout à se faire remarquer ont détesté Million Dollar Baby, uniquement parce qu'il doit déjà supporter sa réputation de chef-d’œuvre incontestable. Je le sais, j'en ai vu sur certains forums et dans le courrier des lecteurs de quelques magazines spécialisés. Une proportion de 1 sur 20 à peu près.
Ce qui laisse 95% de spectateurs satisfaits, voire emballés ou touchés par ce grand film.
Car c'en est un, à n'en pas douter. Et pourtant, il faut assurer pour convaincre en France. Certes, Eastwood a bonne presse chez nous (malgré les critiques assassines qui l'avaient accueilli à l'époque des Dirty Harry), mais le journaliste français aime casser de l'Amerloque dès lors qu'il fonctionne sur les principes dictés depuis 50 ans par Hollywood.
Le pire, c'est que ce film est complètement prévisible : nombre de situations sont déjà vues et on devine souvent leur conclusion dès leur entame (l'arrivée chez sa mère avec les clefs de la nouvelle maison : on se doutait déjà que l'accueil serait glacial ). Parfois, on n'est pas loin du mélo.
Pourtant, cela fonctionne. Etonnamment bien dois-je dire. Parce que les comédiens sont formidables, la mise en scène soignée et élégante sans effet de manche, la musique discrète et juste : parce qu'une réelle synergie nous concocte dans une vieille marmite avec une vieille recette un des films les plus enthousiasmants et les plus émouvants de ces dernières années. Il ne s'en faut pas de beaucoup pour qu'on dise de Million Dollar Baby que c'est un énième film sur des concepts éculés.
En fait, il fallait trois éléments : les trois comédiens principaux, tout simplement, l'un d'entre eux étant en outre le chef d'orchestre touche-à-tout (compositeur, entre autres choses). Tout le long du film, Eastwood se rapproche de son sujet, l'enveloppe, le cerne avant de le magnifier avec élégance et discrétion. Peu de gros plans avant la fin, magistrale et pourtant cadrée si simplement que c'en est bluffant de maîtrise. La lumière participe de cette progression : l'ensemble du métrage baigne dans une atmosphère ouatée, dans une ambiance délétère entre vestiaire et chambre d'hôpital ; on sent presque l'éther et la sueur, l'odeur du vieux caoutchouc et du moisi, celle d'un cheeseburger complaisamment donné à un ami ou d'une tarte au citron meringué fait maison...
Eastwood maîtrise le clair-obscur et n'expose que rarement ses personnages qui naviguent toujours entre l'ombre et la lumière ; seule Maggie, dont le sourire illumine certaines images, se révèle, tout en gardant quelques secrets qu'elle révèlera au spectateur patient et attentif.
Car malgré le thème de la boxe, le film n'a rien de violent, au contraire : beaucoup de dialogues monocordes dont Eastwood et Freeman ont le secret, une voix off qui ponctue le film et lui donne une fluidité et une limpidité hallucinantes. Il y a aussi des combats. Brutaux, rythmés, saisissants... et rapides. Clint ne s'appesantit pas sur eux, tout en en laissant suffisamment pour ne pas frustrer l'amateur de punchs et d’uppercuts.
C'est uniquement le destin de deux personnes qui se joue, deux êtres qui vont se trouver grâce à une troisième personne : le personnage de Morgan Freeman est indispensable à l'ensemble, il constitue un liant indissociable de la préparation, un trait d'union humain. Freeman, justement, est extraordinaire et son jeu sans fioriture est un exemple pour ceux qui cherchent à en faire trop. Vous me direz qu'il a l'avantage de l'âge. Peut-être, mais quelle élégance et quel charisme !
Hilary Swank ensuite, merveilleuse, lumineuse, qui nous interprète une Maggie à l'enthousiasme juvénile alors que la vie l'a déjà bien consumée, une vie misérable dans un contexte misérable. Elle a une chance à saisir, une seule peut-être, et elle choisit de la confier à cet ancien soigneur devenu patron d'une salle de boxe et qui vient justement de perdre son poulain le plus prometteur. Une relation chaotique commence, avec des heurts et beaucoup de non-dits, mais une relation qui est appelée à évoluer. C'est cette relation qui cimente le film et on n'est pas loin de la tendre passion de la Route de Madison. L’Oscar, de ce point de vue, est mérité.
Eastwood enfin, digne, dur mais qu'on devine vulnérable, tournant en bourrique le prêtre de l'église qu'il fréquente chaque jour et nourrissant une culpabilité qui le ronge. Il interprète son personnage avec beaucoup de justesse, juste ce qu'il faut de robustesse et de fêlure. Grand numéro aussi.
Et le finale, sans tambour ni trompette, vient couronner cette œuvre magistrale qui ne déroutera personne et a dû en émouvoir beaucoup.
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Titre original |
Million Dollar Baby |
Mise en scène |
Clint Eastwood |
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Date de sortie France |
23 mars 2005 avec Mars Distribution |
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Scénario |
Paul Haggis d'après le roman de F. X. Toole |
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Distribution |
Clint Eastwood, Morgan Freeman, Hilary Swank, Jay Baruchel & Anthony Mackie |
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Musique |
Clint & Kyle Eastwood |
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Photographie |
Tom Stern |
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Support & durée |
Blu-ray Studio Canal (2008) region B en 2.35:1 / 132 min |