Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Régulièrement placé dans les 10 meilleurs films de tous les temps, voire dans le tiercé de tête en fonction des années et des sondages (uniquement et régulièrement devancé par Citizen Kane), encensé par les cinéphiles, véritable monument du cinéma français, la Règle du jeu vient d’hériter d’une restauration miraculeuse (les négatifs originaux ayant été détruits durant un bombardement pendant la Seconde Guerre mondiale) qui lui permettent une nouvelle sortie en blu-ray Ultra HD. L’occasion de voir ce chef-d’œuvre dans les meilleures conditions possibles.
RÉSUMÉ : André Jurieux, le fier pilote qui vient d’accomplir un exploit transatlantique, aime Christine, mais celle-ci, épouse du marquis de la Cheyniest, ne semble pas lui vouer le même sentiment, préférant s’acoquiner avec d’autres aristocrates tandis que son mari fréquente encore sa maîtresse Geneviève et que sa camériste Lisette multiplie les amants de passage. Octave, meilleur ami d’André et confident de Christine, propose alors au marquis de réunir tout le monde lors de la partie de chasse organisée en Sologne.
Depuis les années 50, pas un classement des meilleurs films sans une mention pour la Règle du jeu, vanté par les plus grands réalisateurs et admiré par les cinéphiles : c'est bien simple, pour François Truffaut, il s'agit là tout bonnement du "film des films". C’est assez étonnant quand on sait que ses débuts ont été nettement plus difficiles que ne le laisse transparaître sa flatteuse réputation, avec des spectateurs quittant la salle, outrés, d’autres injuriant l’écran : pas facile de voir transcrite à l’écran, et de quelle manière, une représentation à peine voilée d’une société tiraillée entre des principes archaïques, une nostalgie prégnante pour l’Ancien Régime, la montée d’idéologies morbides et des revendications sociales alors que la guerre menace et risque de tout faire voler en éclats. Sous ses dehors de vaudeville fleurant bon le romantisme et dissimulant sa part de ténèbres, ce drame se voulait avant tout un film de guerre sans conflit, sans coups de canon ni stratégie militaire, un film qui parlerait de la Seconde Guerre mondiale mais sans montrer le champ de bataille : c’est ainsi que le désirait Jean Renoir, s’attirant les foudres de la bienpensance et choquant une partie du public.
On n’y voit pas de soldat, donc, mais un garde-chasse prompt à dégainer, un général collet monté et un pilote d’avion au cœur meurtri. On n’y voit ni déportation, ni camp de concentration, mais l’antisémitisme et la xénophobie s’insinuent dans la moindre conversation entre aristos. Nul champ de bataille, mais une écœurante séquence de chasse ou lapins et faisans sont exterminés sans scrupules, les rabatteurs effectuant leur besogne sans rechigner pendant que ces dames et messieurs de la Haute se font des politesses et tirent tous azimuts.
La Règle du jeu, par son tempo implacable, son cadrage millimétré, sa mise en scène dynamique explorant les arrière-plans, mettant en valeur chaque recoin d’un décor incroyablement ludique, saisit le spectateur actuel qui s’étonnera du phrasé délicat de comédiens élégants et se croira en permanence plongé dans une pièce de théâtre dont le réalisateur a intelligemment emprunté les principes narratifs les plus efficaces. Les dialogues ciselés sont déclamés avec emphase, parfois martelés, parfois simplement susurrés délicatement, et s’avèrent délicieusement empreints de nuances ironiques, de métaphores coquines et de doubles sens entendus. La caméra suit malicieusement chaque sortie de champ lorsque des transitions se montrent nécessaires à la compréhension de la tragédie qui se monte petit à petit au sein de ce méli-mélodrame amoureux, où les uns s’aiment sans se l’avouer et les autres tolèrent bassesses et tromperies afin de mieux dissimuler leurs propres infidélités. Le dernier quart se produit au sein d'une troublante Danse macabre, soulignée par le morceau éponyme de Camille Saint-Saëns, donnant soudain au spectateur l'impression d'acteurs jouant "sur un volcan" suivant l'expression de Renoir lui-même. Quelque chose de terrible est en germe au milieu de ces triangles amoureux, ces amants éconduits, ces maris jaloux et furibonds, quelque chose qui ne dit pas son nom et ne perturbe pas plus que ça ces noblaillons blasés et ces serviteurs réprobateurs : un sacrifice, mais le sacrifice d'un innocent, destiné à permettre à cette société rongée de l'intérieur de survivre encore un peu, jusqu'au désastre qui se profile. Car les fascismes se propagent, et la guerre le suit à la trace.
La restauration de ce métrage exquisément pervers a bénéficié de l’imposant travail de nombreuses équipes qui ont dû se contenter d’interpositifs ultérieurs à la projection de l’époque (le matériau original ayant été détruit) : le résultat, sans être aussi impressionnant que sur Casablanca, est assez bluffant, avec des détails qui ressortent de manière assez impressionnante tant dans les sculptures du château que dans les finitions de certains objets ou les tenues de ces dames du temps jadis. Le noir et blanc manque sans doute de contraste dans les scènes nocturnes intérieures, mais il devrait ravir les heureux possesseurs de vidéoprojecteurs ou d’écrans OLED (les LCD ayant la fâcheuse tendance à provoquer des auréoles sur les parties éclairées) ; la séquence initiale, tournée de nuit lors de l’atterrissage du Caudron d’André avec une véritable journaliste pour l’interviewer, est tout bonnement magnifique. Le son mono, également restauré, parvient à égaliser les parties musicales avec la plupart des dialogues (mais il sera parfois nécessaire de hausser un peu le volume pour qu’ils soient tous bien intelligibles).
On ne sait vraiment ce qu’est un film qu’après en avoir terminé le montage. Dès les premières
projections de La Règle du jeu, je me sentais assailli de doutes. C’est un film de guerre, et pourtant, pas une allusion à la guerre n’y est faite. Sous son apparence bénigne, cette histoire s’attaquait à la structure même de notre société. Et cependant, j’avais voulu au départ présenter au public non pas une œuvre d’avant-garde, mais un bon petit film normal. Les gens entraient dans le cinéma avec l’idée qu’ils allaient se distraire de leurs soucis. Pas du tout, je les plongeais dans leurs propres problèmes. L’imminence de la guerre rendait les épidermes plus sensibles. Je dépeignais des personnages gentils et sympathiques, mais représentais ma société en décomposition.
Le 4 juin 2025 sortent deux versions chez Rimini Éditions, dont l’une collector avec un livret fort bien documenté de 64 pages, qui remet ce chef-d’œuvre dans son contexte historico-artistique, mais les bonus présents sur le disque blu-ray permettront d’aller plus loin dans l’exploration de l’œuvre elle-même, ou du travail de Jean Renoir au travers d’autres films marquants comme Une partie de campagne, la Bête humaine ou la Grande Illusion, qui permettent de se faire une meilleure idée de cet homme modeste qu'Orson Welles avait qualifié du plus grand réalisateur de tous les temps.
Suppléments communs aux 2 éditions :
Jean Renoir présente La Règle du Jeu (Archive INA / 6’19)
Jean Renoir, le patron (Extrait de Cinéastes de notre temps, réalisation Jacques Rivette / Archive INA / 56’24)
Reconstituer La Règle du Jeu (Archive INA / 10’21)
Olivier Curchod présente La Règle du Jeu (Ed. Montparnasse / 27’)
La Règle du Jeu par François Truffaut (Archive INA / 22’50)
Commentaire audio de Olivier Curchod (Ed. Montparnasse)
Dialogue entre Jean Douchet et Arnaud Desplechin (Novembre 2014 – Cinémathèque française / 48’50)
« Ma » Règle du Jeu, réalisé par N.T. Binh (Ed. Montparnasse / 15’)
La règle du jeu musical (38’48), filmanalyse de Philippe Roger, maître de conférences en études cinématographiques
Extrait de l’opéra-comique Le Déserteur (Collection Philippe Morin / 4’17)
Contenu exclusif à l’édition UHD + 2 Blu-Ray :
Le livre Le Dessous des cartes (64 pages), écrit par Charlotte Garson, Les Cahiers du Cinéma
4 reproductions d’affiches au format carte postale
Titre original |
la Règle du jeu |
Date de sortie en salles |
7 juillet 1939 avec Gaumont |
Date de sortie en vidéo |
6 janvier 2021 avec ESC |
Réalisation |
Jean Renoir |
Distribution |
Marcel Dalio, Jean Renoir, Nora Gregor, Roland Toutain, Paulette Dubost, Gaston Modot & Julien Carette |
Scénario |
Jean Renoir & Carl Koch |
Photographie |
Jean Bachelet, Jean-Paul Alphen & Alain Renoir |
Musique |
Roger Desormières |
Support & durée |
Blu-ray Ultra HD 4K Rimini en 1.37 :1 /107 min |
Amazon.fr - Achetez REGLE DU JEU (LA) - COMBO UHD 4K + 2 BD + 1 LIVRET 100 PAGES + 4 CARTES POSTALES - EDITION COLLECTOR LIMITEE à petit prix. Livraison gratuite (voir cond.). Retrouvez infos & avis
https://www.amazon.fr/REGLE-DU-JEU-POSTALES-COLLECTOR/dp/B0DSWLV767