Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

Un fils du Sud

Un fils du Sud

Passé un peu inaperçu au printemps, Un fils du Sud ressort en vidéo chez Blaq Out et mérite certainement qu’on y prête un peu plus d’attention.

 

Synopsis : En 1961, Bob Zellner, petit-fils d’un membre du Ku Klux Klan originaire de Montgomery dans l’Alabama, est confronté au racisme endémique de sa propre culture. Influencé par la pensée du révérend Martin Luther King Jr. et de Rosa Parks, il défie sa famille et les normes sudistes pour se lancer dans le combat pour les droits civiques aux États-Unis.

D’abord parce que l’on sent immédiatement l’implication totale de son réalisateur et co-scénariste, qui sentait que le moment était venu d’adapter The Wrong Side of Murder Creek, roman autobiographique de Bob Zellner narrant ses tribulations en plein mouvement des droits civiques et dévoilant ainsi une facette méconnue de cette vague humaniste qui bouleversa l’Amérique, interrogeant les consciences, stigmatisant les inégalités, poussant à la révolte et jusqu’au meurtre. Une telle œuvre est déjà salutaire pour les États-Uniens, qui savent se réconforter en faisant pénitence par le biais des artistes : plutôt que de regarder leurs excès en face, ils attendent qu’on vienne les dénoncer à leur place, avec en outre cette élégance et cette grandeur propres aux grands romans et aux grands films. Et de fait, ce mouvement qui agita les tréfonds des États sudistes, mettant en lumière leurs contradictions paroxystiques, n’a jusque lors été raconté qu’à travers ses figures de proue, ses leaders de la cause automatiquement charismatiques, de Rosa Parks à Malcolm X – tous en outre incarnés par des acteurs à l’aura suffisante pour supporter un tel poids culturel. Cependant, sans aller jusqu’à la blaxploitation, cela demeurait dans un cadre bien défini, avec des Noirs incarnant, souvent avec justesse, des personnages presque totémiques. Le récit des conditions de cette ségrégation de facto et des exactions ayant suivi les manifestations de défense des droits faisait tout de même réfléchir et permettait d’ouvrir des portes, et l’histoire de Bob Zellner lui confère une dimension supérieure.

Un fils du Sud

Le film s’ouvre sur un flashforward classique : le personnage principal, Bob, grand blond à la mèche rebelle et au sourire caustique, est sur le point de se faire lyncher par quelques sympathiques ressortissants du Klan, car il aurait trahi la cause blanche. Cut. Retour en arrière dans le temps, mais pas très loin géographiquement, avec ce même Bob et quelques potes qui se demandent comment s’y prendre pour compléter intelligemment leur travail scolaire sur le mouvement des droits et les inégalités. Pourquoi ne pas aller assister à un discours dans une église rassemblant des partisans de la lutte pour les droits civiques ? Le fait est que le pasteur est ami avec Rosa Parks, voilà de quoi fournir un peu plus d’épaisseur à leur devoir. C’est ainsi qu’une saine curiosité, traitée avec légèreté (même si on sent chez Bob davantage d’ouverture d’esprit que chez ses copains, il n’a rien d’un militant humaniste ni d’un communiste et a déjà des projets bien arrêtés sur sa vie à la fac avec sa jolie petite amie), va amener ces garçons en plein cœur de la crise de foi qui secouait les mentalités de l’époque. Et toute la malice de cette histoire est de nous montrer comment ce garçon plein d’avenir, dont le grand-père est un membre éminent du Klan, va petit à petit basculer du côté des opprimés sans, au départ, que ses convictions aient été modifiées. On voit clairement que ce garçon, peut-être doté d’un petit peu plus de curiosité intellectuelle que ses copains, ne cherche nullement à épouser la cause des partisans du mouvement : il s’intéresse uniquement au sort de ces personnes dont les arguments portent, dont le sort finit par l’intriguer jusqu’à ce qu’il aille en sauver quelques-uns lors d’une contre-manifestation d’une violence inouïe. C’est là que Rosa Parks le mettra face à ses propres contradictions, lui qui s’évertuait à dire à ceux qui l’écoutaient qu’il ne voulait pas choisir un camp :

Ne pas choisir, c’est déjà un choix.

Un fils du Sud

Acolyte, chauffeur, manifestant puis secrétaire d’un comité, Bob évoluera pendant longtemps sans véritablement savoir vers où son cœur et sa raison pencheront : lui-même fils de pasteur, il ne cherche qu’à faire ce qui lui semble juste, et évite autant que possible les implications politiques pourtant indiscutables de ses choix. De quoi s’aliéner ses anciens amis, et risquer d’être mis au ban d’une communauté dont il commence à apercevoir les limites idéologiques. Permettre à une femme de couleur de prendre un bus, empêcher un homme de couleur de se faire tabasser lui semblent être tout ce qu’il y a de plus évident, de plus normal : il ne se rend pas compte alors des œillères imposées à ses pairs par des siècles de culture esclavagiste. Son grand-père (Brian Dennehy, encore inquiétant malgré son grand âge) le lui rappelle pourtant, l’avertissant sans frais : s’intéresser à « ces gens-là » ne lui vaudra rien de bon. Mais si les doutes continueront à l’assaillir régulièrement, la cruauté des événements qui s’ensuivront saura lui ouvrir les yeux.

Un fils du Sud

Dans une mise en scène appliquée, Brown nous fait vivre les atermoiements existentiels d’un garçon à la lisière entre deux mondes, et qui devra se faire violence pour vaincre ses préjugés et suivre ce que lui dicte son âme (les jeunes cinéphiles reconnaîtront sans peine Lucas Till dans le rôle principal, qu’on avait un peu oublié depuis qu’il avait joué Alex Summers dans les derniers X-Men ; les plus vieux s’émouvront en retrouvant Julia Ormond, l’inoubliable Susannah de Légendes d’automne). Certes, cela n’a ni la classe ni la force d’un Liste de Schindler, mais l’histoire de cet homme qui finira par être admis au rang des Justes de la cause noire est suffisamment épique et riche en questionnements pour non seulement nous aiguillonner, mais également nous passionner. Ce pan de l’Histoire des tats-Unis, s’il noircit encore un peu plus l’image de ce peuple noyé sous ses paradoxes, parvient à nous montrer également les actions, les souffrances, les choix insensés d’une poignée de personnes qui ont fait reculer les murs, changer les lois et brises les chaînes. Ces héros sans cape ni super-pouvoirs, par leurs mots et leurs actes, ont bouleversé le monde.

Un fils du Sud

Un film discret mais nécessaire.

Titre original

Son of the South

Date de sortie en France

16 mars 2022 avec Jaba Films

Date de sortie en vidéo

23 août 2022 avec Blaq Out

Réalisation

Barry Alexander Brown

Distribution

Lucas Till, Lucy Hale, Lex Scott Davis, Brian Dennehy & Julia Ormond

Scénario

Barry Alexander Brown d’après l’oeuvre de Bob Zellner

Photographie

John Rosario

Musique

Steven Argila

Support & durée

DVD Blaq Out (2022) en 2.35:1 / 106 min

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
S
Plutôt intéressant, gros point bonus pur un Brian Dennehy glaçant, mais le personnage principal est si vertueux qu'il en est aussi lisse que tête à claques
Répondre