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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

[critique] la Liste de Schindler : splendeur de l'équivoque

En abordant le n°16 de la filmographie de Spielberg, il fallait s’efforcer de mettre de côté le poids désormais gigantesque que possède cette œuvre dans l’imaginaire collectif : réel chef-d’œuvre, dans le sens premier du terme, il permit au réalisateur de franchir le pas qui lui manquait pour enfin s’affirmer non seulement en tant que metteur en scène à succès, mais également d’auteur visionnaire. Car, si on ne lui a jamais nié son talent, on a rarement pardonné à Spielberg de se « fourvoyer » dans le cinéma populaire.


L’une des raisons qui m’ont poussé à me lancer dans ce défi (la filmographie des réalisateurs pour lesquels j’ai accepté d’autres challenges était autrement moins touffue), c’était de pouvoir visionner les rares métrages que je ne connaissais pas de Steven Spielberg, tout en les replaçant dans leur contexte filmique et historique, et en relativisant leur portée par rapport à l’œuvre spielbergienne prise dans sa globalité. Nombreux ont été ceux de mon entourage qui furent stupéfaits par le fait que je n’avais jamais eu l’occasion de voir la Liste de Schindler. C’était pourtant le cas. Quelle chance alors de pouvoir effectuer ce « rattrapage de séance » dans le cadre même du Challenge ! Ainsi, nourri de l’expérience des 15 précédents visionnages, ce serait avec un œil neuf mais non innocent que je pourrais assimiler l’importance de ce film dans la carrière du cinéaste, ainsi que dans le monde du VIIe Art.

Profitant d’un rabais bienvenu, j’ai pu me procurer la somptueuse édition « 20e Anniversaire » en blu-ray, présentée dans un coffret-livre sobre et élégant du plus bel effet et accompagné d’un livret fort intéressant. Le film bénéficiait en outre d’une restauration supervisée par le metteur en scène – ce qui augurait d’un traitement mettant en valeur la photographie très soignée de Kaminski, lequel participait pour la première fois à un film de Spielberg - et de nombreux bonus supplémentaires.

Aucun défaut à noter dans une image à couper le souffle, dépourvue du moindre artefact numérique ou autre effet de « lissage » : le spectateur peut ainsi profiter pleinement des cadrages millimétrés et du magnifique noir et blanc choisis pour illustrer cette histoire poignante et beaucoup moins simple qu’elle n’apparaissait de prime abord.

Le film, quant à lui, est un véritable choc.

D’abord, et surtout, parce qu’on sait qui est aux commandes, et qu’on sort du visionnage successif de Hook et Jurassic Park. Là, bim ! ni grosses bêtes, ni fantaisie colorée, ni conte acidulé ou aventures rocambolesques, mais les mêmes sombres pensées qui hantent la conscience du réalisateur, les mêmes angoisses existentielles, épurées, transcendées et livrées sous un écrin plus subtil, plus volatil, plus finement représentatif des hontes qui plombent l’âme humaine. Malgré la (relative) longueur du métrage, on sent dans son rythme une forme de précipitation, de course effrénée pour échapper aux pièges inévitables que rencontrera sa production : Spielberg, à l’image de son personnage central, et de façon tout aussi équivoque, construit une œuvre a priori opportuniste dont l’élaboration, patiente et réfléchie, mettant à rude épreuve toutes ses compétences, l’enrichira avant d’enrichir ceux pour lesquels elle était préconçue. Car la Liste de Schindler est tout sauf un film angélique, et Oskar/Liam n’a rien d’un héros bienveillant. L’une des forces du film est justement de mettre en lumière les paradoxes des protagonistes, tous forcément coincés entre leur culture, l’urgence des événements et des réflexes de survie que viennent tempérer, différer ou accélérer certaines peurs ataviques comme d’autres considérations éthiques. Après tout, entre Schindler, l’industriel brillant et séducteur, un brin arriviste mais déjà rongé par le remords et le commandant Göth, perclus de complexes et écrasé par la force du paraître, il n’y a que si peu de différences. Les doutes, les troubles, les hésitations de chacun de ces deux pôles d’un drame humain ne cesseront de ponctuer le récit d’un sauvetage presque incongru, né dans la douleur et le compromis, presque par erreur, et qui s’imposera de lui-même, par la simple puissance de son symbole, à celui ne le voyait pas, au départ, comme une fin en soi. C’est d’ailleurs dans ces instants diaboliquement dramatiques où le destin de centaines d’hommes se joue sur une décision, un claquement de doigt, une parole bien placée voire un simple sourire que le film se révèle d’une force inouïe, magistralement exposés par deux comédiens exceptionnels (l’avenir devait donner raison aux responsables du casting). Pourtant, c’est un troisième larron qui focalise l’attention : Stern, le comptable de Schindler, véritable initiateur de l’opération, qui saura à merveille se jouer de tous les obstacles inhérents à sa nature, sa position de subalterne et son caractère (apparemment) effacé et docile. Merveilleux Ben Kingsley qui nous campe un personnage d’une ampleur insoupçonnée, ployant sous l’opprobre, constamment vilipendé, véritable souffre-douleur d’une infinie patience et d’une rare intelligence, et qui saura pourtant reconnaître les qualités de cet Oskar Schindler imparfait, incohérent, indécis et non seulement lui pardonnera, mais lui fera l’honneur de l’aimer.

La confrontation entre ces hommes desquels dépend la survie de milliers emporte largement l’adhésion : Spielberg a toujours su magnifier ses dialogues, les rendant plus vrais que nature et plus intenses, bien que toujours plus à l’aise dans un cercle familial. Pourtant, l’œil du technicien sera plus sensible à ces nombreuses séquences de haute volée (voire voltige !), caméra à l’épaule qui slalome dans le quotidien sordide des ghettos et nous explosent l’horreur de la solution finale en pleine face. Quoique sans complaisance, on sent parfois dans le montage un besoin impérieux d’en montrer un maximum, quitte à émousser le tempo du film. Les plans hallucinants succèdent aux plans virtuoses, et seul Cuaron fera mieux avec Children of men.

En tournant avec une méticulosité extrême, Spielberg parvient presque à nous faire passer cette fiction remarquable pour un documentaire acerbe : c’est sans compter sur une partition sensible et inspirée de John Williams.

Une œuvre à part entière, pleine de substance, riche d’idées et de symboles, qui sait faire Note sur 5 : 4,5naître l’émotion mais parvient à la voiler, souvent pudique avant de nous prendre en porte-à-faux, flagellant les idéaux mais parvenant aussi, et heureusement, à montrer que, au fond, malgré leurs défauts, leurs faiblesses et leurs peurs, et parce qu’ils ne seront jamais parfaits, les hommes peuvent être bons.   

 

Titre original

Schindler’s List

Réalisation 

Steven Spielberg

Date de sortie

2 mars 1994 avec UIP

Scénario 

Steven Zaillan

Distribution 

Liam Neeson, Ben Kingsley & Ralph Fiennes

Photographie

Janusz Kaminski

Musique

John Williams

Support & durée

Blu-ray Universal (2013) region All / 195 min

 

 

Synopsis : Evocation des années de guerre d'Oskar Schindler, fils d'industriel d'origine autrichienne rentré à Cracovie en 1939 avec les troupes allemandes. Il va, tout au long de la guerre, protéger des juifs en les faisant travailler dans sa fabrique et en 1944 sauver huit cents hommes et trois cents femmes du camp d'extermination de Auschwitz-Birkenau.

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