Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
D’abord titrée en français « l’Effet Marco » (le film a été diffusé en France sur Canal + en 2021), la cinquième « Enquête du Département V » débarque sur le marché de la vidéo – et comme c’était le cas pour Dossier 64, Wild Side propose déjà un coffret regroupant les 5 films de la saga, en DVD comme en blu-ray.
Toutefois, celui-ci va faire immédiatement grincer des dents : dès le départ (que ce soit sur la bande-annonce ou même la jaquette), on remarque que les visages de nos héros ne sont pas les mêmes. Chose compréhensible après une telle longévité, les acteurs ont eu sans doute d’autres chats à fouetter, voguant vers d’autres cieux (et notamment des séries comme l’Hôpital & ses fantômes pour Nikolaj Lie Kaas ou Westworld et Chernobyl pour Fares Fares). On pourrait dès lors supposer que le Département V a survécu au départ de ses membres fondateurs et que d’autres flics, à la dérive ou en délicatesse avec leur hiérarchie, ont repris les rênes. Ce serait à la fois logique et enrichissant, même s’il serait difficile d’oublier l’intense complicité entre Carl l’autodestructeur et Assad le bienfaisant, si bien incarnée par les comédiens susnommés.
Synopsis : Marco, un adolescent de 14 ans sans domicile, est arrêté à la frontière danoise alors qu’il a en sa possession le passeport d’un fonctionnaire porté disparu. Peu avant s’être volatilisé, l’homme en question, accusé d’agressions pédophiles, avait bénéficié d’un classement sans suite de son dossier… L'inspecteur Carl Mørck et son équipe du Département V sont chargés de l’affaire mais Marco, traumatisé, refuse de leur parler. Détenteur d’informations compromettantes, il s’enfuit pour échapper à la mort…
À notre grande surprise, ce n’est pas le cas. Première déception. Carl, Assad et Rose sont toujours fidèles au poste, terrés dans leurs bureaux au sous-sol – sauf que les visages ne sont plus les mêmes. Il va donc falloir s’y habituer, ce qui n’est pas aisé sur une saga essentiellement fondée sur la personnalité de ses protagonistes. Difficile pour le coup de jauger la qualité d’interprétation des nouveaux acteurs tant l’image de leurs prédécesseurs est encore prégnante – surtout si, comme nous, vous prenez l’habitude de vous repasser les anciens films lorsqu’un nouveau se présente.
Deuxième hic : l’évolution des personnages. L’inspecteur Mørck était une épave au début de la saga, profondément marqué par une bavure qui avait failli coûter la vie de son coéquipier – mais son aigu sens de la Justice, sa capacité d’observation hors normes et une détermination insubmersible, même s’ils font de lui un piètre conjoint et un plus mauvais père encore, lui ont permis de résoudre des affaires glauques impliquant des personnalités haut placées. Et ses partenaires, et plus spécialement l’affable Assad, lui ont constamment apporté la dose d’humanité et de diplomatie nécessaires pour naviguer dans les eaux troubles entourant ces enquêtes sordides, tout en lui redonnant un peu confiance en lui et lui procurant des repères humains susceptibles de le remettre en selle. À la fin de Délivrance, Carl reprenait même contact avec son fils et s’essayait à quelques interactions sociales, allant jusqu’à se faire draguer.
Or, ici, tout semble repartir de zéro. Et pour nous resservir le plat habituel (Carl, plus bas que terre, bourru et brutal, ne respectant aucune convention), une séquence d’introduction nous le montre assistant, impuissant, à un suicide. Procédé très artificiel, mais toujours est-il que notre inspecteur se retrouve à nouveau interdit d’exercer, et forcé d’assister à des séances chez le psychologue. Retour à la case départ pour un Carl qui se parle désormais tout seul et a décidé d’arrêter de fumer. La nouvelle enquête qui lui est proposée éveille toutefois son attention : il y est question d’un homme politique important qui a disparu après avoir été accusé de pédophilie et chez lequel on a retrouvé des preuves de pédopornographie. Quel est le rapport entre ce jeune Rom fuyant la police et l’homme en question, dont le gamin possédait un fragment du passeport ? Très vite, Mørck et Assad lèvent un gros lièvre : des soupçons de détournement de fonds destinés aux aides humanitaires en Afrique se font jour, et leur attention se reporte sur le successeur du disparu. Mais ils manquent de preuves et le gamin leur file entre les doigts…
Tourné à Prague, ce cinquième opus abandonne certaines des bases des précédents : la photographie est moins sombre et on quitte les bas-fonds pour explorer les arcanes de la politique, riches entrepreneurs et ministres retors. Ce n’est qu’en suivant le périple du petit Marco (qui se réfugie où il peut) qu’on retourne parfois dans ces lieux chargés de mystères que sont les friches industrielles, les immeubles délabrés et les gares de triage. Une grande partie de ce qui faisait le sel de la saga (les tourments infligés aux innocents, les pires bassesses infligées par des psychopathes, une violence brute dont nos enquêteurs portaient souvent les stigmates – Carl n’hésitant jamais à aller « au feu » et payant régulièrement de sa personne) se délite dans cette affaire où Mørck se montre plus obtus que jamais et Assad plus brutal, sortant carrément de l’image qu’on gardait de lui. Et quand les rares témoins commencent à disparaître, nos flics de l’ombre comprennent qu’il va leur falloir accélérer et opter pour des mesures plus drastiques afin d’obtenir les aveux qui leur manquent.
L’Effet Papillon, puisant un peu partout dans les précédents histoires (compromission des hauts fonctionnaires, complaisance des autorités), ne renouvelle pas le genre et ne procure rien de surprenant. Son écriture manque de rigueur et certaines séquences manquent cruellement d’impact, frisant même le ridicule, mais surtout la manière dont Mørck et Assad sont réinterprétés prête à confusion, interpelle et peut même choquer. L’ensemble, tout simplement, ne fonctionne pas avec ces ingrédients-là. Néanmoins, un profane y trouvera son compte, surtout s’il ne connaît pas les autres films, d’autant que la dernière demi-heure retrouve un peu de dynamisme et que la partition musicale s’avère très réussie.
Titre original |
Marco Effekten |
Date de sortie en salles |
27 mai 2021 avec TrustNordisk |
Date de sortie en vidéo |
1er juin 2022 avec Wild Side |
Date de sortie en VOD |
26 décembre 2021 avec Canal+ |
Réalisation |
Martin Zandvliet |
Distribution |
Ulrich Thomsen, Zaki Youssef & Sofie Torp |
Scénario |
Anders Frithiof August, Martin Zandvliet & Thomas Porsager d’après l’oeuvre de Jussi Adler-Olsen |
Photographie |
Aske Foss |
Musique |
Sune Martin |
Support & durée |
Blu-ray Wild Side (2022) en 1.85 :1 / 125 min |
Photos :
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