Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Sorti début janvier 2018, le nouveau film de Paco Plaza, avant tout connu pour avoir co-créé (avec Jaume Balaguero) la trilogie [REC], était précédé d’une campagne mettant en avant le savoir-faire du réalisateur dans le domaine horrifique mais aussi et surtout le fait divers ayant servi de source d’adaptation du film : « le seul cas d’activité paranormale officiellement reconnu par la police espagnole ». Double gage d’efficacité et de flippe. Après avoir filmé l’horreur pure comme un reportage live, Plaza proposait de montrer la réalité au travers des artifices cinématographiques.
A l’approche de sa très prochaine sortie en vidéo (et dès le 1er juin en VOD), ceux qui n’ont pas eu l’occasion de le voir en salles peuvent donc se rattraper et satisfaire la curiosité morbide des amateurs d’épouvante à l’écran.
Peut-on d’ores et déjà parler du « film le plus flippant de l’année » ? Les superlatifs avancés régulièrement par les agences de com’ ont rarement donné lieu à des vérités – d’autant que les dernières productions du genre, si elles savent parfois renouveler le support et mettre en avant le talent réel de nouveaux cinéastes très graphiques, ont très rarement réussi à proposer de véritables séquences de terreur ; seuls les films osant s’aventurer sur le territoire de l’angoisse et du malaise sont parvenus à faire trembler les fans qui n’attendaient que cela, les autres devant se contenter d’aligner les jump scares comme autant d’aveux d’impuissance ou autant de limites à leur capacité de mise en scène.
La note d’intention de Plaza est ici très claire : terrifier à partir d’éléments proches de nous (et l’étiquette « inspiré de faits réels » a du coup tendance à doubler cet effet de proximité nauséeuse). Dans cette Espagne des années 90 qui n’a pas encore connu la renaissance des J.O. de Barcelone et sort d’une movida chaotique, une jeune fille pas tout à fait adulte mais engoncée dans d’énormes responsabilités familiales (elle s’occupe de ses deux petites sœurs et de son petit frère tandis que sa mère célibataire tente tant bien que mal de faire marcher son restaurant qui lui impose une tension nerveuse implacable et des horaires insupportables). Verónica est donc une ado qui écoute de la musique de jeunes, placarde des posters de ses idoles dans sa chambre, refait le monde avec ses copines mais souffre en silence de l’absence du père, des rigueurs de l’enseignement dans cette école privée catholique et des contraintes énormes imposées par son rôle de petite mère au foyer. Intelligente et réservée, elle sort peu, forcément, et gère avec une maestria remarquable les aléas de la vie courante (le petit frère qui mouille encore son lit, les petites sœurs qui se chamaillent, les repas, la vaisselle, les courses et le planning imposé par chacun). Un jour, aiguillonnée par sa meilleure amie, elle décide de faire une séance de spiritisme : l’achat en cachette d’une planche de oui-ja fera l’affaire. Juste comme ça, pour rire, pour s'amuser à se faire peur et ainsi égayer un tantinet le morne quotidien. Ca tombe bien, l’éclipse solaire pour laquelle toute l’école s’investit offre l’opportunité de s’isoler dans le grenier de l’établissement. Mais tout (évidemment) ne se passe pas comme prévu : « quelque chose » a répondu à l’appel insouciant des jeunes filles en fleur, « quelque chose » qui est, peut-être, mais peut-être pas, le papa disparu de Verónica. Dès lors, les événements se précipitent : Verónica, par des signes de plus en plus concrets, est persuadée qu’elle a ouvert la porte à ce qui ne devrait pas être dans notre monde ; pire : elle pense que non seulement elle, mais aussi sa famille, est en danger. Dès lors, elle va tout faire pour les protéger, même si le monde entier ne la croit pas : à son âge, les fantaisies adolescentes sont légion…
Cette transposition du fait divers mentionné plus haut jouit du travail conjoint d’artistes investis dans le projet. Le chef opérateur Pablo Rosso livre une photo particulièrement soignée, jouant sur les contrastes dans des scènes très souvent nocturnes et proposant une infinie palette de nuances. La seconde équipe propose quelques séquences de haute volée et la direction artistique se révèle souvent bluffante par certains choix osés à la frontière du néo-gothique. On est loin par exemple de ce qu’a montré, pourtant sur une thématique similaire, James Wan avec the Conjuring 2 : le Cas Enfield – alors même que Fernando Navarro (coscénariste) reconnaissait vouloir se rapprocher de ce résultat. Le fait qu’on nous montre des enfants pris à parti par des forces surnaturelles (ou pour le moins ce que Verónica – et par conséquent le spectateur qui suit son destin – estime être) décuple l’impact et la portée des scènes horrifiques, même s’il faut reconnaître que l’on ne navigue pas dans les eaux de la terreur pure. Verónica, délaissée par ses amis qui la croient folle, par sa mère qui lui martèle qu’elle doit être forte pour la famille, soutenue par des enfants qui croient en elle mais ne comprennent pas le danger qu’elle mentionne constamment, se retrouve dans cet entre-deux initiatique, ce no man’s land où l’on ne sait plus quel rôle on doit jouer tout en prenant conscience des périls qui rôdent à la lisière. Perturbée mais intelligente, elle fera face au tragique dénouement avec toute l’énergie du désespoir alimenté par sa jeunesse brisée.
Plus démonstratif que véritablement saisissant, martelant parfois
maladroitement l’ancrage dans le réel du drame qu’on s’apprête à vivre (le film s’ouvre et se conclut sur l’intervention des policiers et le vrai rapport rédigé par l’un d’entre eux, témoin des faits), Verónica est une petite réussite du genre, pas révolutionnaire mais élaborée avec un soin manifeste, beaucoup de savoir-faire et l’intensité du jeu de jeunes actrices impressionnantes d’aisance. La copie en HD (le blu-ray comme le DVD devraient sortir le 6 juin 2018) est excellente et l’encodage en DTS Master Audio (pour la VO) qui révèle la volonté admirable de ne pas encombrer l’espace filmique d’artefacts sonores tout en essayant de densifier l’expérience sensorielle du spectateur.
Titre original | Verónica |
Date de sortie en salles | 24 janvier 2018 avec Wild Bunch |
Date de sortie en vidéo | 6 juin 2018 avec Wild Side vidéo |
Photographie | Pablo Rosso |
Musique | Chucky Namanera |
Support & durée | Blu-ray Wild Side (2018) region B en 1.85 :1 / 105 min |