Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
A l’occasion de la sortie du nouveau film de Steven Spielberg, nous avons eu l’opportunité de participer à la conférence de presse que le réalisateur a donnée à Paris il y a quelques jours, en compagnie de Meryl Streep et Tom Hanks. Voici la traduction de la rencontre avec trois des plus grands artistes au monde. Notre critique de Pentagon Papers est également disponible ici.
Le film se passe dans les années 70 mais le propos est très actuel et moderne. Vous pensez que la presse peut encore se battre aujourd’hui comme elle le faisait dans les années 1970 ?
Steven Spielberg : La presse doit encore plus se battre aujourd’hui, parce qu’elle est plus attaquée aujourd’hui qu’elle ne l’a jamais été dans les années 70. Donc la presse doit se battre encore plus fort, déjà pour sa propre dignité et pour la vérité qu’elle doit dire au public. Mais mon premier attachement au script, avant même que je ne pense aux connections évidentes entre 1971 et 2017, c’était le personnage de Katharine Graham et sa relation avec Ben Bradlee. L’histoire d’une femme dans une grande position d’autorité mais qui ne savait pas comment la soutenir car elle n’avait pas encore trouvé sa propre voie.
Qu’avez-vous appris de cette histoire, de vos personnages, voire de vos partenaires ainsi que de vous-mêmes avec ce film ?
Meryl Streep : Plus j’apprenais à connaître Katharine Graham, plus je l’admirais. Son intellect, son énergie, sa curiosité, sa capacité à diriger de la manière la plus gracieuse, son talent d’écriture. Elle a écrit une autobiographie de 780 pages qui a gagné le prix Pulitzer. Ce qui a été pour les personnes qui la connaissaient une autre révélation. Mais la chose la plus importante que j’ai apprise en lisant et en parlant avec ses enfants et ses assistants, c’est qu’elle manquait de confiance en elle. Elle doutait tout le temps d’elle-même. Cela donne un aspect poignant à cette histoire parce que c’est l’histoire de beaucoup de femmes et pas seulement de femmes de sa génération mais même des femmes d’aujourd’hui qui émergent et que l’on empêche d’avancer, de prendre des risques, de prendre le leadership d’une manière ou d’une autre. Ça a été ma surprise dans ce travail. Je partage beaucoup de ces insécurités, de ce manque de confiance, parce qu’en tant qu’acteur ça nous rend service de se déconstruire à chaque fois, de réduire un peu sa confiance, c’est comme ça que l’on peut se livrer et faire son travail d’acteur. Mais je pense qu’il y a autre chose qui aide beaucoup de femmes quand elles arrivent bien plus loin qu’elles ne l’auraient imaginé.
Tom Hanks : J’avais déjà rencontré Ben Bradlee avec Nora Ephron, j’ai dîné chez lui, je connaissais sa femme et on a passé beaucoup de temps ensemble. Son enthousiasme pour ce qu’il fait allait de pair avec son sens des responsabilités qu’il avait en tant que journaliste. Dans le cas spécifique de cette histoire, il avait ce dicton « la vérité c’est la vérité, et il faut en parler », et quand c’est un fait, il faut en parler, sinon pourquoi avoir un journal, pourquoi faire ce job et pourquoi essayer de vendre tous les jours des journaux à 50 cents ? C’est comme ça que j’envisage mon travail. J’ai travaillé 5 fois avec Steven et il m’a donné tellement de force, il me disait : « Vas-y ! fais toutes les recherches que tu veux pour le personnage, et sur le plateau montre-moi ce dont tu es capable ! » C’est le luxe que j’ai pu avoir à chaque fois. Il m’a donné l’opportunité d’être dans le même film avec Meryl Streep. Je la regardais travailler. Comme je le connais, je savais que Steven ne faisait pas de répétitions et que l’on a intérêt de tout savoir et d’avoir des idées. Les deux premiers jours, ça a été dur pour elle, j’ai adoré la voir faire, elle se demandait : « Hé mais qu’est-ce qu’il se passe ? » et moi je lui disais : « Allez ! Vas-y ! Il faut tenir ! » (rires des trois) C’était drôle !
Steven, vous étiez en train de réaliser Ready Player One lorsque vous avez décidé de faire Pentagon Papers, vous sentiez qu’il y avait une urgence à faire ce film ?
Steven Spielberg : Quand je fais un film de science-fiction, il n’y a pas de règles, l’imagination est sans limites. Quand j’ai lu cette histoire, avec Nixon qui poursuivait le New-York Times et le Washington Post, et cette femme qui a réussi à trouver sa place dans cette mer d’hommes, il y avait tellement de pertinence dans ces deux sujets ! C’est une manière pour moi de célébrer encore une fois l’Histoire. C’est génial quand on fait jouer l’imagination, qu’il n’y a pas de limites. Mais que se passe-t-il quand on est limité par les faits d’un lieu et d’un temps ? Je me sentais tellement à l’aise de permettre à l’Histoire d’être la co-auteur de mon film ! Je suis même plus à l’aise dans ce genre que je ne le suis dans l’imaginaire, donc pour moi ça a été un soulagement énorme de lire ce scénario. (Steven Spielberg s’interrompt pour écouter le bruit de la machine à café et ri : « En 1971 elles n’étaient pas comme ça ! Et il fallait attendre plus longtemps pour avoir un café chaud ! ») C’était aussi plus long d’imprimer un journal. Je voulais pouvoir vous montrer l’art de l’impression des nouvelles. Avant vous aviez par exemple de la monnaie dans votre poche pour pouvoir appeler d’un téléphone public, un taxi. Aujourd’hui ce n’est pas aussi compliqué, il n’y a pas tellement à se déplacer, mais il y a tellement de concurrents, de sources, qui vont diffuser les histoires, aujourd’hui c’est bien plus difficile de réussir dans ce métier. Ce que ces deux époques ont en commun, et c’est ce qui m’a attiré, c’est qu’il y a deux présidents qui déclarent la guerre aux médias. Nixon n’a pas réussi, et il a fini par démissionner. Et je pense qu’il faudra nous tous que l’on réfléchisse à ce que l’on a tous vécu ces derniers 16 mois…
Steven, qu’est-ce qui vous pousse à tourner à ce rythme effréné ? Vous avez deux films qui sortent dans la foulée, qu’est-ce qui vous donne envie de toujours réaliser des films ?
Steven Spielberg : Ce qui me pousse à travailler avec beaucoup d’enthousiasme et d’énergie c’est ce qui poussait Ben Bradlee à se lever tous les matins. Tout ce qui l’intéressait c’était d’avoir une bonne histoire. Il se donnait de la peine pour la trouver et que Katharine lui permette de la publier. Moi ce qu’il me faut c’est une bonne histoire. Et je peux perdre 20 ans, j’ai l’impression d’avoir 50 ans à nouveau !
Meryl Streep : Plutôt 15 ans…
Steven Spielberg : Oh pardon ! 15 ans ! J’agis comme si j’avais 15 ans ! (rires)
Liz Hannah. Josh y infuse beaucoup d’énergie en raccourcissant les scènes de deux pages, je me suis dit que nous étions en train de raconter l’histoire du point de vue de la presse. On avait l’énergie d’une rédaction, avec peu de temps pour sortir le film cette année. C’est ce qui a donné le style à ce film.
Pensez-vous qu’il s’agit de votre premier film féministe ?
Steven Spielberg : Non, mon premier film féministe c’est La Couleur Pourpre. Ça m’est venu de mon expérience, j’avais une maman très forte, j’ai été éduqué par des femmes, je n’ai pas de frère. Chaque personne qui a dirigé ma compagnie a été une femme. Chaque département chez Amblin est dirigé par une femme. C’est le monde dans lequel je suis le plus à l’aise, j’étais la personne la plus à même de diriger ce film. (rires)
Pentagon Papers se termine pile lorsque Les Hommes Du Président commence. Quelles sont les influences et quels sont les points communs ou les différences entre les deux films ?
Steven Spielberg : Les Hommes Du Président est le meilleur film sur la presse qui ait jamais été fait. Je suis heureux d’y être associé, que Pentagon Papers soit un peu le cousin des Hommes Du Président. Je rends hommage à Alan Pakula que je n’ai jamais rencontré. Je suis content d’avoir terminé le film là où le sien démarre, à propos du Watergate. Notre film est très différent du sien. On peut dire que c’est une préquelle. L’Histoire reconnait que c’est le courage de Katharine Graham et Ben Bradlee, d’avoir fait ce qu’ils ont fait contre la décision d’une cour d’appel contre le New-York Times et d’avoir agi à ce moment-là, qui ont permis la démission de Nixon. Ils ont donné de la crédibilité au Washington Post, ils sont passés deuxième journal, d’un journal local à un journal national à cause des Pentagon Papers.
Meryl, votre personnage est une femme forte même si cela ne se remarque pas. Comment avez-vous travaillé ce rôle de femme qui devait diriger des hommes qui voulaient la diriger ?
Meryl Streep : J’ai assisté à des réunions, où nous étions 2 femmes avec 9 hommes autour. Une femme suggérait quelque chose, tout le monde disait « oui, oui, oui, oui » et les hommes parlaient entre eux. La même suggestion venait de la bouche d’un homme et les autres disaient « c’est ce qu’on doit faire ! ». Je ne connais pas une seule femme qui n’ait pas été dans ce genre de situation. Donc nous comprenons très bien ce que c’est en tant que femme. L’humanité est en train d’évoluer, on va y arriver. Ce film arrive à un moment vraiment très intéressant. Quand la première version du scénario est arrivée à Amy Pascal la première productrice, elle l’a acheté 6 jours avant les élections. Elle avait anticipé que ce serait Hillary Clinton qui serait élue. Mais en fait, avec les résultats des élections, on avait un autre film, une autre nécessité. Une urgence de faire ce film. C’est une histoire d’Apartheid, parce qu’il y avait le monde des femmes et la rédaction avec principalement des hommes. Et le monde était comme ça à l’époque, je m’en souviens très bien en 1971. C’est également une description du monde de notre époque.
Tom, comment avez-vous vous-même travaillé votre personnage, et sa relation avec le personnage de Meryl ?
Tom Hanks : Avec mes recherches et mes conversations, il y a avait un élément dans ce film qui n’était pas écrit mais qui faisait partie de Ben Bradlee. Il savait le coût que cela représentait d’être à la place de Katharine Graham. Il savait que le journal avait été à son père, il savait qu’il avait donné la direction à son mari, il connaissait les circonstances de la mort de son mari, il savait que ce n’étaient pas des circonstances standard d’un boss qui dirigeait sa compagnie. Il admirait le fait qu’elle ait pris cette responsabilité et qu’elle allait arriver à prendre une décision où il n’y avait pas de victoire certaine. Et quand j’ai lu le scénario, je me suis dit que c’était surtout son histoire, comment elle est devenue ce qu’elle est. Dans le scénario original de Liz Hannah, il y a déjà ces éléments. C’est digne du Parrain ou plein d’autres films aussi extraordinaires, lorsque Katharine Graham doit dire « on y va » ou « on n’y va pas », « on publie » ou « on ne publie pas ». En publiant elle aurait pu aller en prison, mais si elle ne publiait pas quel était l’intérêt d’être le boss d’un journal ? J’ai beaucoup aimé le fait que moi j’avais quelque chose de très égoïste, moi j’étais celui qui était au téléphone et qui disait « vous devez le faire » lorsque tout le monde disait « ne le faites pas !». Moi j’étais celui qui disait « IL FAUT LE FAIRE ! ». C’est le moment le plus excitant de toute ma carrière, d’être au téléphone dans une tente hors du plateau, écoutant Meryl Streep prenant la décision qui a vraiment fait avancer le film !
Steven Spielberg : Merci Tom, c’est magnifiquement dit ! Il y a un film, je ne vous l’ai pas dit car je trouve que les coups de fil dans un film c’est vraiment ennuyeux, mais il y a un film où ce n’est jamais ennuyeux, c’est Dial M For Murder d’Hitchcock [NDLR. Le Crime était presque parfait en VF] et je pensais à ça, quel est le dilemme, qu’est ce qui permettrait à Katharine Graham de ne pas être embêtée par l’homme derrière le rideau.
Meryl, vous aviez déjà joué une journaliste dans un film de Robert Redford, cela vous a aidé pour ce personnage ?
Meryl Streep : J’avais oublié que j’avais fait ce film ! Je ne joue pas ici une journaliste, c’est Tom le journaliste. La manière dont Tom a amené cet appétit pour les nouvelles, il l’a amené à son rôle. Pour moi le scénario ce n’est pas tant Katharine Graham qui devient Katharine Graham, c’est vraiment plutôt le partenariat entre un homme et une femme qui a changé le cours de l’Histoire. Dans leur première scène, on ne sait pas que c’est elle son boss car il agit comme si c’était lui. Elle se référait à lui. Mais leur relation a évolué, c’est tellement fructueux. Dans un film on ne voit jamais ça, on ne voit jamais ce genre de relation entre un homme et une femme. Et toi, (montrant Tom Hanks), tu es extraordinaire dans ce film ! Et merci Steven pour ce rôle.
Tom Hanks : Je t’adore Meryl !
Meryl Streep : On s’est embrassé pour la première fois à la télévision française !
Un grand merci à Youmaly et Clémence chez Universal.
Titre original | The Post |
Date de sortie en salles | 24 janvier 2018 avec Universal Pictures |
Date de sortie en vidéo |
|
Photographie | Janusz Kaminski |
Musique | John Williams |
Support & durée | 35 mm en 1.85 :1 / 116 min |