Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Pentagon Papers, c’est du Steven Spielberg en mode enragé qui fait un gros doigt à l’administration Trump. Probablement l’un des films les plus importants de sa carrière, qui compte déjà d’immenses chefs-d’œuvres.
Alors que la plupart des fans du papa de E.T. attend avec impatience son nouveau film de SF, Ready Player One, qui devrait à n’en point douter être une petite révolution, voici donc que sort moins de deux mois avant, Pentagon Papers, une œuvre que l’on pouvait considérer à tort comme mineure. C’est que même si le réalisateur est réputé pour tourner ses longs-métrages en temps record, ce Pentagon Papers semble sortir directement du chapeau d’un magicien. Dès lors, on pouvait penser qu’il s’agissait ici d’une petite récréation pendant la post-production colossale de son adaptation de l’œuvre d’Ernest Cline. D’un film qui s’annonçait bon – ça, cela ne faisait aucun doute - mais dont l’importance était minimisée par son futur récit d’anticipation.
Sauf que Pentagon Papers est en réalité l’un plus grands films de la carrière de Steven Spielberg, ni plus ni moins. Et parce qu’il traite de décisions qui ont dû être prises dans l’urgence, à propos d’un sujet qu’il était urgent de montrer car totalement d’actualité, le film devait être réalisé… dans l’urgence. A l’heure des « fake news » clamées à tout bout de chant par le « leader du monde libre » sur les réseaux sociaux, la liberté de la presse n’a jamais été aussi mise en danger. Il faut ainsi revenir dans les années 1970 pendant l’ère Nixon pour y retrouver une situation sensiblement équivalente, avec cette histoire de « pentagon papers » qui ont précédé le scandale du Watergate.
Notre film raconte comment Katharine Graham, la directrice d’un grand journal américain et son rédacteur en chef, Ben Bradlee, ont pris la décision, en risquant leur carrière, de publier des révélations qui allaient mettre au jour un immense scandale d’Etat.
- Que se passera-t-il si nous ne publions pas ?
- On sera perdant… le pays sera perdant.
C’est sans doute dans ce dialogue que nous pouvons comprendre la démarche de Steven Spielberg, celle d’un devoir, d’une responsabilité de faire ce film (« Que se passera-t-il si nous ne racontons pas cette histoire en en faisant un film ? On sera perdant… le pays sera perdant ») et de le diffuser coûte que coûte maintenant (à l’instar de ces décisions lourdes de conséquences que prennent les journalistes lorsqu’ils valident certains articles compromettants quelques minutes avant impression, attendant par la suite fébrilement à l’aube le retour des premiers lecteurs comme pour retrouver confiance en leurs convictions avec une motivation toujours plus accrue).
De toute évidence, Pentagon Papers est nécessaire. Le savoir c’est le pouvoir, et Spielberg entend bien nous expliquer l’importance de ces lanceurs d’alerte, de ces journalistes, de ces femmes et hommes qui ont œuvré contre le gouvernement de leur pays, pour le peuple. Bien entendu, le film fait continuellement écho à la réalité et à l’actualité. Mais Spielberg livre son message de manière subtile. Nixon y est ainsi toujours filmé de dos, dans l’ombre, en plan large encadré par les murs de la Maison Blanche, et nous n’entendons que des enregistrements réels de l’ancien président. C’est une figure, un symbole, une représentation d’un dirigeant qui pourrait tout autant être celle de Trump. Pentagon Papers semble d’ailleurs n’être adressé qu’à lui, tant la fin – étonnement optimiste, enragée et engagée - résonne comme l’avertissement du peuple à cet homme. Après tout, nous n’avons pas tant l’impression d’avoir vu un thriller situé dans les arcanes du journalisme qu’un véritable film de guerre dans lequel les armes sont devenues des machines à écrire (lorsque le personnage de Katharine Graham valide un tirage, on voit littéralement les journaux partir des machines tels des boulets de canon).
Tant qu’à faire, Spielberg en profite également pour véhiculer un message féministe, puisque son personnage principal est une femme s’émancipant d’un entourage quasi exclusivement masculin, continuellement sous-estimée, reléguée au second plan (littéralement dans le cadre), transparente aux yeux de ses employés, peu respectée jusqu’à ce qu’elle s’affirme in fine en prenant la plus grande décision de sa carrière. La mise en scène joue continuellement et subtilement sur ce rapport de force entre Katharine Graham et la plupart de ses interlocuteurs, en la plaçant tantôt en plein milieu du cadre noyée parmi les autres journalistes qui ne la remarquent pas, tantôt dans un coin de l’image, comme écartée de ce qui se joue pourtant dans sa propre entreprise. Inutile de dire que Meryl Streep y est bouleversante, et qu’il s’agit peut-être de l’un de ses plus grands rôles. Elle éclipse presque Tom Hanks, ce qui n’est pas peu dire tant le comédien est lui aussi absolument génial (ce jeu lorsqu’il serre le ballon dans ses mains pendant qu’il discute face à Meryl Streep !).
Comme on peut l’imaginer, Steven Spielberg nous offre une nouvelle
leçon de mise en scène, accompagné de son trio magique : Michael Kahn au montage (et quel montage !), John Williams à la musique (qui signe un score efficace) et Janusz Kaminski à la photo (superbe travail, certains plans ressemblent à des tableaux).
Un très très grand film, qui vous donnera envie de voir Les Hommes Du Président à la suite. En attendant bien entendu Ready Player One…
Immanquable !
Titre original | The Post |
Date de sortie en salles | 24 janvier 2018 avec Universal Pictures |
Date de sortie en vidéo |
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Photographie | Janusz Kaminski |
Musique | John Williams |
Support & durée | 35 mm en 1.85 :1 / 116 min |