Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Le nouveau film de Joe Swanberg, tout droit issu du Festival de Sundance et tirant sa substance des comédiens s'étant déjà donné la réplique dans un précédent (Drinking Buddies), a toutes lers qualités et les défauts d'une bonne partie de la production indépendante américaine. Aussi agaçant que stimulant.
Si la bande-annonce, misant sur la découverte par le jeune mari d'un flingue et d'un os dans le terrain de la maison qu'ils occupent provisoirement, laisse entendre que le scénario sera fondé sur un mystère à résoudre, le déroulement du métrage nous fait déchanter : il s'agit bien davantage d'une réflexion sur le couple avec deux êtres à la croisée des chemins, deux jeunes parents que les responsabilités liées à la naissance de l'enfant (il y a trois ans) plongent encore dans la perplexité. Car si Tim et Lee s'aiment encore, et sincèrement, ils ne semblent pas vraiment satisfaits de la tournure que prend leur petite famille. Rien que le simple fait de choisir une école maternelle dans le privé pose problème car, si Lee est issue d'une famille riche ne cherchant que le meilleur (et donc un enseignement privé et très cher) pour leur petit-fils, Tim est plus terre à terre, lui-même enseignant dans le public. Et de faire partager leurs doutes et atermoiements par de longs dialogues en situation dans lesquels ils passent leur temps à faire le point.
Quand survient le moment où Lee profite de leur séjour dans cette luxueuse bâtisse dotée de tout le confort de la banlieue chic de Los Angeles pour passer voir sa mère avec le petit, laissant à son mari un peu tire-au-flanc le soin de remplir leur déclaration d'impôts, chacun y voit l'opportunité de retrouver un peu de l'insouciance de leur récente jeunesse. Tim invite des potes pour un barbec' à l'américaine tandis que Lee contacte une amie avec qui elle faisait les 400 coups.
Chaque séquence apporte son lot d'enthousiasme et de soupirs : les interprètes sont étonnants de naturel, avec cette fluidité dans le jeu caractéristique des comédies bien huilées, cette synergie dans les interactions entre personnages qui laisse parfois croire à du "pris sur le vif" - mais le spersonnages passent leur temps à disserter, philosopher, argumenter, parler de tout, de rien et d'autres choses encore. Tim clame haut et fort que la paternité est une bénédiction mais s'empresse d'accueillir ses anciens potes de virée avec une flamme pleine de nostalgie. Lee soutient à sa mère qu'elle est heureuse et comblée mais lui demande tout de même à partir de quand elle s'est sentie à nouveau femme et pas seulement mère et épouse...
Du coup, l'histoire de l'os et du pistolet trouvé devient une métaphore, un peu lourde, un symbole auquel aime se rattacher le jeune mari, comme une ancre dans une réalité illusoire, préférant les potentialités que dissimule cette découverte aux déceptions liées à sa situation (vivre une vie de château quand on est matériellement attaché à la classe moyenne, ça a quelque chose de pathétique). C'est aussi l'occasion pour lui de biaiser, de focaliser ses pulsions sur une quête d'inconnu, voire carrément de sublimer sa libido : en effet, lorsque ses copains ramènent deux jeunes femmes en goguette (l'intrigante Brie Larson et la sémillante Anna Kendrick), il préfère opter sagement pour l'archéologie et se met à creuser en pleine nuit. Chose qu'il répètera chaque fois qu'il sera en butte à ses devoirs ou ses envies. Ses copains bien imbibés le suivront un temps, histoire de se marrer, mais cela tournera bientôt à l'obsession.
De son côté, Lee ressent de plus en plus le poids des ans. Prof de yoga, passant son temps à questionner ses chakras et orienter son existence en fonction de son après-vie (très post-new age), à expérimenter des désirs spirituels tout en regrettant les désirs plus terrestres, elle décide de profiter de la liberté accordée par son séjour chez ses parents pour partir en vadrouille et redécouvrir la joie simple de répondre à l'appel de son corps. Premier échec chez sa copine, en cloque, et préoccupée par son avenir. C'est donc seule qu'elle arpentera les rues et suivra son instinct, jusqu'à ce qu'elle tombe sur un beau restaurateur (Orlando Bloom, plutôtr convaincant) prêt à ranimer le feu qui couve en elle.
C'est à ce moment de l'histoire qu'on décroche ou pas. Il se trouve que les comédiens, jouant très juste, permettent étonnamment de rester accroché à leurs tribulations, bien qu'il faille reconnaître qu'il ne se passe pas grand chose durant ces deux ou trois jours. Alors certes, ça bavarde, beaucoup, et certains seconds rôles (comme Sam Rockwell) ne semblent là que pour faire réagir les deux protagonistes principaux. On se demande tout de même ce que va finir par trouver Tim en creusant (d'abord une chaussure, puis un sac d'os, et puis...), s'il va se laisser tenter par la séduisante Max qui n'a pas l'air insensible à son obstination et si Lee ira jusqu'à coucher avec son bel inconnu.
La réalisation, très sobre, s'appuie sur une jolie bande-son, assez planante et un jeu constant sur la lumière (les ébats dans la piscine en pleine nuit, la promenade main dans la main sur la plage) pour tenter de retraduire ce moment dans la vie d'un couple moderne où tout peut basculer.
Sympathique, au final.
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Titre original |
Digging for fire |
Mise en scène |
Joe Swanberg |
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Date de sortie France |
21 mars 2016 (VOD) avec Sony Pictures |
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Scénario |
Joe Swanberg & Jake Johnson |
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Distribution |
Jake Johnson, Rosemarie DeWitt, Brie Larson, |
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Musique |
Dan Romer |
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Photographie |
Ben RIchardson |
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Support & durée |
VOD en 2.35:1 / 85 min |
Résumé : Tim et Lee s'installent pour quelques semaines dans une somptueuse résidence de Los Angeles alors que son propriétaire est en tournage. C'est l'occasion de faire le point sur leur couple et leur propre existence bouleversée par la naissance de leur fils il y a 3 ans. La découverte par Tim d'un os humain et d'un revolver enterrés dans la propriété va dès lors les entraîner sur des chemins divergents...