Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Un nouveau film de Christophe Gans, c'est à chaque fois un événement pour le cinéma français. S'inscrivant logiquement dans sa filmographie, sa version de La Belle & La Bête captive par sa volonté de proposer un spectacle féérique sans une once de cynisme. A mi-chemin entre l'univers de Miyazaki et la poésie de Legend, le long-métrage trouve sa propre voie en se distinguant des nombreuses adaptations opportunistes de contes et s'impose comme l'un des plus beaux spectacles français vus sur un écran depuis un bon moment.
Il y a une logique à retrouver Christophe Gans sur l'adaptation de cette célèbre histoire. Déjà parce que ce réalisateur a toujours été un immense fan de la version de Cocteau (on retrouve par exemple de nombreuses références à La Belle & La Bête dans le Pacte Des Loups), mais aussi parce que ce conte s'inscrit parfaitement dans la thématique de sa filmographie. A l'instar de James Cameron, dont il admet volontiers admirer son talent de metteur en scène, Christophe Gans a toujours tenu à mettre en avant les rôles de femmes « guerrières » dans ses histoires ; ou du moins, ses héroïnes sont-elles toujours en décalage avec ce que l'on est censé attendre d'elles. Jamais naïves malgré leur innocence, elles sont toujours attirées par le côté « dangereux » ou bestial des personnages masculins qu'elles côtoient : Emu est envoûtée par Yo - un tueur redoutable cachant une part de fragilité, Marianne va à l'encontre de sa famille en fréquentant Grégoire, un chevalier aux méthodes anticonformistes et Belle tombera amoureuse de la Bête car elle aura su passer outre son apparence pour révéler son humanité. Le cinéma de Christophe Gans est de son propre aveu, « féminin ». Silent Hill est par exemple une introspection dans l'inconscient de l'héroïne. Et ce qui a par dessus tout motivé le réalisateur avec un tel projet, c'était de pouvoir donner sa version d'un récit connu de tous, en insistant sur le point de vue de Belle, à l'inverse du film de Cocteau qui la laissait de côté.
Comme à son habitude, Gans soigne son film. Des cadres parfaits, des mouvements et enchaînements élégants, une direction artistique sublime. Et comme à chaque fois, il se sert de sa culture cinématographique pour donner du sens à ses images. Bien évidemment, on pense fortement à l'ensemble de l'œuvre de Miyazaki. La forteresse recouverte de végétation avec ses statues géantes n'est pas sans rappeler le décor du Château Dans Le Ciel, le banquet sur lequel va se précipiter le père de Belle renvoie à une scène du Voyage De Chihiro, les Tadoms, petites créatures protectrices, évoquent les divinités de Totoro et les Kodomos de Princesse Mononoké. Mais on remarquera d'autres similitudes avec l'univers du maître de l'animation japonaise… la relation entre Gina et Porco Rosso (tiens ?), entre San et Ashitaka (lui aussi sous l'emprise d'une malédiction), Chihiro et Haku (une divinité)…
Cependant le film emprunte aussi beaucoup à Legend de Ridley Scott. Dans son atmosphère de pur conte de fées très premier degré dénué de tout cynisme, dans son esthétique (les cadres surchargés de détails, les pétales et herbes remplissant l'image), dans certaines séquences (la danse), dans certains éléments (le mannequin portant les tenues de Belle chaque jour) et bien entendu dans la représentation de la Bête, d'une certaine manière assez proche de Darkness. La Bête est d'ailleurs également très influencée par quelques gros films de monstres produits par la Hammer, avec cette volonté de créer un personnage extrêmement séduisant et charismatique. Pour finir, on peut noter des similitudes dans les costumes avec le Dracula de Coppola.
Etant tourné majoritairement sur fonds verts en studio, le film paraît peut-être un peu artificiel. Mais cela permet au réalisateur de jouer avec les ombres et les couleurs, et de donner une image totalement inédite et propre au film. On ne remet jamais en cause la réalité des lieux que traverse Belle. Et ce contrôle total de tout le visuel aide également Christophe Gans à jouer sur la symbolique du conte (certains décors traduisent l'état émotionnel de Belle par exemple, sans compter les indices qui montrent clairement que l'héroïne devient adulte et responsable).
Si le film est donc techniquement irréprochable, il n'en est pas de même pour la construction de son scénario. La mise en place est fastidieuse, et l'on se demande vraiment si l'arc narratif des frères de Belle et leur rivalité avec le « méchant » de l'histoire est nécessaire. Gans n'a jamais été un excellent directeur d'acteurs et cela n'a jamais été aussi évident qu'avec ce film. Léa Seydoux et Vincent Cassel sont formidables, mais les seconds rôles semblent avoir quelques difficultés à jouer juste, ou à ne pas paraître en décalage avec la « réalité » du film, quand ils ne sont pas simplement fades. C'est finalement le plus gros reproche que l'on peut faire à un film par ailleurs magnifique.
Ne faisons pas la fine bouche, La Belle & La Bête est évidemment un très grand film familial, un spectacle français comme l'on en voit peu, et surtout une adaptation très intéressante du conte par un cinéaste précieux.
Ma note (sur 5) : |
4 |
Titre original |
La Belle & La Bête |
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Mise en scène |
Christophe Gans |
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Date de sortie France |
12/02/14 avec Pathé |
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Scénario |
Christophe Gans, Sandra Vo-Anh & Gabrielle-Suzanne De Villeneuve |
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Distribution |
Léa Seydoux & Vincent Cassel |
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Musique |
Pierre Adenot |
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Photographie |
Christophe Beaucarne |
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Support & durée |
2.35 : 1 en 16/9 / 112 minutes |
Synopsis : 1810. Après le naufrage de ses navires, un marchand ruiné doit s’exiler à la campagne avec ses six enfants. Parmi eux se trouve Belle, la plus jeune de ses filles, joyeuse et pleine de grâce. Lors d’un éprouvant voyage, le Marchand découvre le domaine magique de la Bête qui le condamne à mort pour lui avoir volé une rose. Se sentant responsable du terrible sort qui s’abat sur sa famille, Belle décide de se sacrifier à la place de son père. Au château de la Bête, ce n’est pas la mort qui attend Belle, mais une vie étrange, où se mêlent les instants de féerie, d’allégresse et de mélancolie.
Chaque soir, à l’heure du dîner, Belle et la Bête se retrouvent. Ils apprennent à se découvrir, à se dompter comme deux étrangers que tout oppose. Alors qu’elle doit repousser ses élans amoureux, Belle tente de percer les mystères de la Bête et de son domaine.
Une fois la nuit tombée, des rêves lui révèlent par bribes le passé de la Bête. Une histoire tragique, qui lui apprend que cet être solitaire et féroce fut un jour un Prince majestueux.
Armée de son courage, luttant contre tous les dangers, ouvrant son cœur, Belle va parvenir à libérer la Bête de sa malédiction. Et se faisant, découvrir le véritable amour.