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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

Eglise électrique : pas Dick mais pas mal

 Eglise-electrique.gif

Titre original : the Electric Church


Un roman de Jeff Somers (2007), éditions Bragelonne 2010.

Traduction : Benoît Domis.


 

Résumé : Sur une Terre qui peine à se reconstruire, seules deux catégories de personnes vivent correctement : les flics de Fédération, invincibles et intransigeants, faisant régner l’ordre par tous les moyens – surtout les plus expéditifs – et les Moines de la nouvelle et mystérieuse Eglise électrique, aux visages artificiels dépourvus de toute expression et passant leur temps à prêcher. Pour tous les autres, c’est la misère et la vie dans les rues bondées, entre des immeubles menaçant de s’effondrer, n’est pas de tout repos.

Avery Cates est un flingueur. Un des meilleurs. La preuve ? Il a 37 ans, et il est encore en vie. Mais là, il est dans la merde : traqué par les flics à cause d’un contrat qui a foiré, il a passé les dernières heures à échapper à l’étau qui se resserre de plus en plus. Mais il y a pire car il a pu voir à l’œuvre l’un de ces moines, censés être pacifiques, et la rumeur s’est avérée vraie : pour vous recruter, l’Eglise électrique doit vous tuer.

 

 

Une chronique de Vance

 

Ce livre a été chroniqué dans le cadre de la rentrée littéraire 2010 en partenariat avec Ulike

 

N’est pas Dick (Philip K.) qui veut.

Enfin, soyons honnêtes : je ne sais pas du tout si la volonté de l’auteur était bien, comme l’affiche un peu trop ostensiblement l’éditeur, de faire la nique au père d’Ubik et de Blade Runner (également cité dans l’extrait du Library Journal Review qui chapeaute la 4e de couverture). Mais le moins qu’on puisse dire, c’est que la route est longue et l’écart énorme.

 

A présent, si on laisse de côté la pesante campagne publicitaire chargée de vanter les mérites d’un auteur inconnu, on peut jauger de l’intérêt propre du livre. Et là, même s’il ne peut se permettre de lutter dans la catégorie d’un Dick, voire d’un Richard Morgan (quoique ?), Somers propose une œuvre qui, malgré son manque total d’originalité, apporte son lot non négligeable de rythme, de suspense et d’action dans un décor intéressant.

S’il fallait comparer, ce serait plutôt avec l’Andrevon du Travail du furet à l’intérieur du poulailler : une ambiance film noir dans un futur proche post-apocalyptique, en moins politisé et plus frénétique. La même narration désabusée à la première personne, le même regard lucide et désenchanté sur un monde pourri où 95% du peuple cherche à survivre dans des conditions indécentes tandis que quelques privilégiés semblent intouchables.

 

Chapitre XVII, p. 180, §3 : Avery passe un contrôle d’identité.

S’ils m’avaient observé plus attentivement, ils auraient pu remarquer les mauvaises dents, les cicatrices, l’accent – mais ils n’ont pas fait attention. Si tu avais l’air riche, tu pouvais bien leur tendre une carte d’identité écrite à la main avec des fautes dans ton nom, ils s’en fichaient. Avoir l’air riche, une compétence que se devait d’acquérir tout criminel digne de ce nom – le plus tôt possible dans sa carrière. 

 

Somers nous introduit dans cet univers aux codes archi-connus (un exemple au hasard : le manga Gunnm) avec la litanie répétée à l’encan par les Moines de l’Eglise électrique :

 

Laissez-moi vous mettre sur la voie de crépuscules infinis.

Laissez-moi vous sauver.

 

Le problème, c’est que le vif du sujet, c’est davantage une traque (double, puisque le traqueur du début – Avery Cates, le Flingueur narrateur – devient le traqué) qu’une enquête. Et ensuite, on passe aux principes des films de « casse » avec recrutement d’une fine équipe pour une mission impossible (buter le Chef mystérieux de la non-moins mystérieuse Eglise tout en échappant aux flics de la Fédé, pourtant impitoyables et infaillibles, et à ce Moine bizarre qui semble avoir gardé des souvenirs de son passé, et qui, c’était couru d’avance, en veut à mort à Avery). En bref : toutes les puissances se sont liguées contre ce petit criminel qui se satisfaisait juste d’avoir vécu plus longtemps que la majorité de ses concitoyens. Son expérience l’aidera. Sa hargne aussi, celle qui vient des laissés pour compte obligés à survivre au sein d’une plèbe sans foi ni loi. La chance surtout – et même la Providence, à l’image de ce personnage tout-puissant qui le secondera plus d’une fois, tout en le laissant dans le flou le plus complet quant aux objectifs réels de sa mission. Evidemment, Avery se rebiffera, et souvent, se posant des questions légitimes sur le bien-fondé de ce qu’on lui demande de faire, et sur les tenants de toute cette affaire. Il n’en saura (et nous avec, pauvres lecteurs) rien jusqu’à la révélation finale. Bien entendu.

 

Chapitre X, p. 117, §3 :

Quand tu as tué quelqu’un pour de l’argent, toute ta vision du monde en est bouleversé. Le meurtre est un remède miracle […] Tu comprends que le monde est juste une putain de machine. Tu pousses ici, il se passe quelque chose. Tu tires là, il se passe quelque chose. Et au bout d’un moment, tu prends conscience qu’avec de la pratique, tout de vient possible. 

 

Passé donc l’agacement des premières pages contre une publicité abusive et ce terrible sentiment de déjà-lu, on se complaît dans le rythme trépidant des tribulations d’Avery, personnage stéréotypé mais sympa, flanqué d’assistants complètement barrés mais doués dans leur domaine. Le tempo est rapide, à l’image de ces chapitres ultra-courts construits méthodiquement (c’est à dire qu’ils s’achèvent systématiquement par un happening). Les péripéties nombreuses, les méchants très méchants (et coriaces) et la mission de plus en plus difficile se dessinent sous un style brut, efficace, sans fioriture, très proche des polars US en vogue. En fait, on se régale, comme devant un bon feuilleton des années 80, plein de bruit et de fureur, avec une once de discours vaguement politique ou philosophique.

 

Chapitre VIII, p. 104, §1 :

On ne mangeait pas assez souvent pour se préoccuper de nos dents. Chez Pick, au milieu du chou-fleur qui lui tenait lieu de visage et de ses cheveux gris acier, elles surprenaient et semblaient fausses. De nos jours, tout ce qui était réel semblait faux. Le faux semblait vrai.

 

Reste l’Eglise électrique. Belle invention tout de même, aux ramifications qu’on sent très vite aussi nombreuses que douteuses. Elle est un « plus » évident dans la structure et le contenu du roman et en relève à elle seule l’intérêt. Oh, ne vous attendez pas à des révélations à la Soleil vert, mais l’ensemble de l’intrigue vaut le détour, et les explications sont plutôt savoureuses. On s’en sort avec un sourire de contentement car on a passé, finalement, un peu de bon temps avec ces gaillards au caractère bien trempé dans une course-poursuite haute en couleurs. On en oublierait presque les récriminations des premières pages, et l’absence marquée de présence féminine (à part une otage, la pauvre…).

Pas révolutionnaire (quel que soit le sens que vous donnerez à ce terme) mais bien agréable.

 

Incipit :

 

- Vous vous êtes planté, monsieur Cates.

Je me trouvais dans l’East Side du Vieux New York, l’île d’origine. Un bouge, pas de toit, le pire gin que je m’étais jamais enfilé et aucun visage familier alentour. Il faisait froid et je me sentais fébrile, en sueur – je n’étais vraiment pas bien et ça empirait à chaque gorgée de cette bibine, la seule que mes yens dévalués me permettaient d’acheter. Je me demandais ce qu’ils mettaient dedans – du diluant à peinture, à mon avis – mais c’était imbuvable.

 

Citations :

 

Chapitre I, p. 36, §8 :

Toutes les conneries qu’on entendait dans la rue commençaient par «  Je connais un gars… » C’était un signe qui ne trompait jamais.

 

Chapitre I, p. 40 :

Ses gardes du corps ne regardaient pas derrière eux pour voir qui pouvait les menacer et négligeaient les précautions les plus élémentaires. Des comme eux, il en tombait tous les jours, alors qu’un peu de paranoïa et de bonne vieille lâcheté pouvaient te sauver la mise. Ce n’était même pas de la lâcheté, plutôt une aversion pour la mort.

 

Chapitre I, p. 50, §2 : prêche d’un des Moines.

Le salut n’est pas chose facile. Le salut est une énigme, la plus complexe jamais imaginée. Dans un millier d’années, nous serons peut-être en mesure enfin de déchiffrer le premier mot de la question. Dans un million d’années, nous pourrons nous mettre au travail pour trouver la réponse. Et quand l’univers se sera effondré sur lui-même, et que les mondes dispersés en son sein auront été dévorés par des soleils voraces, peut-être serons-nous au seuil du triomphe, prêts à rejoindre les anges.

 

 Appendice : extraits annotés du Codex Mulqer, p. 367, §2 :

Dieu ne veut pas de sujets. Dieu ne veut pas nous avoir sous sa domination. Il souhaite des pairs.


01 chronique de la rentree litteraire

 

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