Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
C’est très intéressant, et même gratifiant de revoir Halloween dans ces conditions, c'est-à-dire avec le recul nécessaire pour en juger les qualités et les défauts autres que ceux liés à son genre. Certes, il s’agit d’un slasher, de ces œuvres ouvertement destinées à faire frissonner des ados en les mettant en scène et aux prises avec les êtres les plus pervers qui soient, tuant, massacrant, éventrant sans répit ni même justification. Mais à l’époque où il a été tourné, ni Jason, ni Freddy n’avaient accumulé les épisodes reprenant à l’envi, et jusqu’à l’écoeurement, des codes désormais éculés. Et Wes Craven était encore bien loin de se moquer ouvertement – et très hypocritement – des passages obligés et de l’attitude des victimes désignées de ces monstres à visage humain.
Halloween est un prototype. Et, tant dans son approche que dans sa maîtrise formelle du sujet, il n’a que rarement été égalé, voire surpassé.
Ce qui frappe dans le film, c’est justement cette volonté de refuser le compromis : l’enfant Michael, qu’on aperçoit une fois démasqué après un long plan-séquence introductif d’anthologie, avec sa couronne de cheveux blonds et ses traits angéliques, brandit un couteau de boucher ensanglanté ; il a perpétré un meurtre et son visage n’affiche aucune expression. Le psychiatre qui intervient régulièrement dans le scénario aura beau insister, souvent lourdement avec des phrases pompeuses et chargées dramatiquement, qu’il est une abomination, une erreur de la nature, un échappé de l’enfer, il ne lui cherchera aucune excuse, ni dans sa jeunesse, ni dans son éducation. Michael est un tueur sans mobile, muet et implacable. Pas particulièrement intelligent ou pervers, mais assez malin pour échapper aux pièges les plus rudimentaires, et d’une force peu commune.
Déjà, en soi, en déshumanisant le Mal, Carpenter instillait une angoisse concrète : comment arrêter ce qu’on ne comprend pas ? Ainsi, après avoir prévenu les autorités, le docteur Loomis essaiera de prendre Michael avec le peu d’éléments qu’il possède (son ancienne adresse, par exemple). Peine perdue. Michael a jeté son dévolu sur une victime et rien ne l’arrêtera.
Pendant une heure, Carpenter va installer un film prenant, lourd, au rythme calqué sur un score extraordinaire – une petite ritournelle composée sur synthé destinée à remplacer les mélodies initialement prévues pour un orchestre que le budget restreint ne pouvait rétribuer. Dès la première seconde, il choisit le parti de la caméra subjective dont l’œil mouvant parvient à cadrer avec minutie : on est loin des films d’horreur au montage épileptique cachant mal un manque flagrant de savoir-faire. Ici, le réalisateur démontre toute sa maîtrise du langage cinématographique, tout en posant quelques jalons pour l’avenir au travers de références appuyées à ses glorieux aînés, comme Howard Hawks (on voit de longs extraits de la Chose d’un autre monde que Carpenter « remakera » quelques années plus tard avec la réussite qu’on connaît) ; mieux, il utilise le générique tout en bruitage électronique de Planète interdite (un autre des films regardés par les habitants de la petite ville d’Haddonfield ce soir d’Halloween) pour lancer une séquence anxiogène. Cette synergie entre les supports visuel et sonore est une des caractéristiques de ce film : certains passages sont quasiment muets et empreints de cette sourde menace (Michael apparaît derrière une voiture, disparaît derrière une haie, suit trois jeunes filles en voiture), d’autres sont ostensiblement bavards (Loomis – interprété par un Donald Pleasance assez convaincant mais à la théâtralité surannée - expliquant au sheriff l’horreur de la situation, les adolescentes évoquant leurs problèmes personnels). Ensuite, les meurtres s’enchaînent, sans raison apparente. L’étau se resserre sur Laurie Strode (Jamie Lee Curtis, jolie, propre sur elle, plutôt juste), la fille sérieuse, qui a la tête sur les épaules.
Arrive le dernier acte, la confrontation finale : Michael contre Laurie. Elle n’a aucune chance.
C’est là qu’on pourrait reprocher au script (Carpenter l’a coécrit avec Debra Hill, sa compagne de l’époque) des facilités éhontées destinées à dramatiser à outrance : l’implacable fléau qu’était jusque lors Michael se met à trébucher, à rater sa cible. Pire : inexplicablement, Laurie commet les pires erreurs (au point qu’on ait envie de lui crier : « Espèce de gourde ! Retourne-toi ! Récupère le couteau ! Achève-le ! ») qui donnent plusieurs fois un répit, donc une nouvelle chance de tuer, à Myers. Jusqu’à la conclusion et cette fin ouverte, très réussie.
Par sa volonté de se concentrer sur l’essentiel et de refuser le parti-pris du gore (très
peu d’hémoglobine, des ellipses bienvenues – on sent l’inspiration hitchcockienne), Carpenter a réussi à construire un film habile avec une économie de moyens fascinante – qui a fait d’Halloween l’un des films les plus rentables de tous les temps.
Une date majeure dans le cinéma d’horreur, un coup de maître pour le Maître.
Titre original | Halloween |
Date de sortie en salles | 14 mars 1979 avec Splendor Films |
Date de sortie en vidéo | 24 septembre 1999 avec DVDY |
Photographie | Dean Cundey |
Musique | John Carpenter |
Support & durée | DVD DVDY (1999) zone 2 en 1.85 :1 / 87 min |
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