Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Un film de John Carpenter (1974) avec Dan O’Bannon & Dre Pahich
Un DVD zone 1 distribué par VCI (1999), VO 5.1
83 minutes
L’histoire : Dans un futur lointain, les hommes sont capables de coloniser des planètes extra-solaires. Un équipage est chargé de trier et sélectionner les systèmes viables et d’éliminer les mondes instables à l’aide de bombes thermostellaires pensantes. Ce sont les membres du Dark Star qui sillonnent ainsi la galaxie depuis des années en trompant leur ennui grandissant avec des loisirs futiles. Mais la dysharmonie règne depuis la mort de leur commandant suite à un accident…
En choisissant de véritablement lancer mon Défi Carpenter par Dark Star, je souhaitais me fier aux années de production pour visionner ainsi le premier long-métrage du réalisateur. Or il s’agit de l’année de production d’un moyen métrage, film de fin d’études, qui est ressorti en 1980 sous la forme actuelle, avec des séquences rallongées (environ 20 minutes de plus). Il n’empêche, le matériau de base reste antérieur à ses téléfilms (Someone’s watching me ! et Elvis que ma complice du net a déjà regardés pour vous) ainsi qu’à Assaut et Halloween.
Qu’en est-il alors ?
Eh bien, c’est une excellente surprise. Alors que je m’attendais à une œuvre fauchée servie par le style hésitant d’un metteur en scène qui se cherche encore (je pense aux premiers Cronenberg du précédent défi), on a droit à un film loufoque mais complètement maîtrisé malgré l’étroitesse visible du budget. Alors, oui, le design du vaisseau « Dark Star » a été conçu sur la serviette d’un restaurant et la plupart des éléments de décor proviennent de jouets (notamment les scaphandres, ou même l’alien) et de modèles réduits (la bombe pensante). Certains effets visuels sont clairement d’un autre âge, comme les effets de filé lors des séquences en hyperdrive. Mais curieusement on s’y fait facilement car Carpenter et O’Bannon (les deux concepteurs du projet, ils ont quasiment tout fait à eux seuls) parviennent à instaurer une ambiance particulière, constamment ironique, hésitant entre la gravité sérieuse (l’usage d’un technobabble cohérent dans les séquences techniques), les situations décalées (la chasse à l’alien récalcitrant) et les dialogues nostalgico-métaphysiques. L’influence des seventies se fait constamment sentir, avec un finale quasi-onirique directement inspiré d’un ouvrage de Bradbury (les discussions entre un groupe d’astronautes dérivant dans le cosmos suite à la destruction de leur engin) et qui m’a rappelé l’excellente intro de Métal hurlant.
Car il s’agit avant tout de science-fiction : on y parle hyper-espace, colonisation humaine des étoiles (avec terraformation ?), respect des races et non-ingérence, mais on évoque aussi les problèmes plus « techniques » qui sont au cœur de 2001, l’Odyssée de l’espace, comme la gestion de la mission confiée à un superordinateur (version féminine de HAL et qui annonce « Mother » du film Alien scénarisé par Dan O’Bannon justement, sans doute à partir d’une des séquences de Dark Star), les déflecteurs de radiations, les amortisseurs inertiels, les transmissions de données par laser ou ces bombes pensantes à qui on demande de s’armer, mais poliment (imaginez des phrases du type : « Bonjour Bombe. Es-tu opérationnelle ? Te souviens-tu quand tu dois détonner ? Pourrais-tu t’armer s’il te plaît ? »), et qui expriment leur mécontentement quand les ordres se contredisent à la suite d’une panne, au point qu’il faille user de concepts philosophiques pour les amener à de meilleures dispositions ! Et quand bien même on ne retiendrait que la constante attitude parodique de ces astronautes désoeuvrés qui s’inventent des loisirs pour tromper leur ennui (l’un d’entre eux conçoit un orgue à bouteilles…), il ne faut pas oublier les nombreuses références qui en font un des premiers films geek. On a déjà évoqué Bradbury, mais on peut y ajouter peut-être Asimov (les dernières paroles de la Bombe n°20 rappellent furieusement les dernières lignes de the Last Question, une nouvelle de la fin des années 50 qui m’avait marqué dans le recueil l’Avenir commence demain) et sans aucun doute Philip K. Dick dans ce concept de stase dans laquelle se trouve feu le commandant, mort mais encore capable de s’exprimer (comme dans Ubik). Certains plans (et même la bande son avec la respiration !) avec le Lieutenant Doolittle partant chercher Talby dans l’espace sont tout droit issus de 2001, et les connaisseurs apprécieront de voir dériver une porte marquée « THX-1138 »…
Scénariste et monteur, John Carpenter use ici - avec parfois un manque de retenue rafraîchissant – d’une vraie maîtrise de la grammaire cinématographique, et c’est sensible dès le premier travelling arrière dans le poste de pilotage exigu. Un sens aigu du cadrage lui permet de s’amuser à instiller un peu de suspense dans la chasse à un alien récalcitrant dans les bas-fonds d’un vaisseau qui, par sa vétusté et se recoins sombres, annoncent déjà le Nostromo.
Et comment oublier cette ballade country « Benson, Arizona » qu’il a écrite et vient parfaitement illustrer deux séquence-clefs du film ?
Un début tonitruant et drôle, vraiment jubilatoire, qui annonce fièrement la carrière qu’on sait. A noter que, s’il n’y a pas de blu-ray prévu (à ma connaissance), un DVD devrait sortir en fin d’année avec un nouveau master et des suppléments très riches, malgré un refus de Carpenter d’y collaborer.
Ma note : 3,8/5