Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Au cours d’une discussion avec une amie sur l’œuvre du grand Clint Eastwood, j’ai eu la joie de me faire coller sur un terrain
qui me semblait acquis.
« Comment ça tu ne connais pas Breezy ?!!! » dixit Virginie.
Et non, moi, féru de cinéma et de l’œuvre du réalisateur d’Impitoyable, je n’avais pas vu Breezy. Encore pire,
je n’en avais, en plus, jamais entendu parler. Un comble quand on sait après coup que ce film sensible et magnifique a tout de même était nommé à trois reprises aux Golden
Globes, pour Michel Legrand (Meilleure Musique et Meilleure Chanson Originale : Breezy's Song) et pour Kay Lenz,
Meilleur Espoir Féminin.
Alors comment ce qui est une œuvre majeure du réalisateur de par ses thèmes et son traitement a-t-elle été presque oubliée ? Et
bien tout simplement par sa diffusion anecdotique sur support vidéo et par sa presque inexistence en diffusion TV.
Après quelques temps de recherches et ayant enfin réussi à me procurer le film en DVD, me voici donc à me
rendre à ce rendez-vous avec Breezy… et à en revenir la larme à l’œil et le cœur léger.
Cette troisième réalisation de Clint Eastwood est certainement arrivée trop tôt dans la carrière de
l’acteur-réalisateur alors auréolé de ses succès western et virils. Pourtant, le portrait de ces deux personnages que tout semble opposer n’est rien moins que le préambule à des
films tels que Un Monde Parfait ou Sur La Route De Madison. Prenant le risque de ne pas apparaître à l’écran, Eastwood filme avec sensibilité et simplicité le portrait de ses
protagonistes au naturel confondant. D’un côté Breezy, une jeune hippie désinvolte et pleine de vie qui est tout simplement lumineuse à l’écran tant on a l’impression que Kay
Lenz ne joue pas mais EST le personnage ; de l’autre Frank, un quinqua divorcé et cynique interprété avec tout le sérieux nécessaire par un William Holden rompu
à l’exercice. (cf : sa scène de présentation est tout autant un délice que celle de Breezy.)
La rencontre de ces deux êtres que tout sépare, si elle ne se fait pas sans heurt, va non seulement nous mener à la
découverte de leurs différents univers mais aussi à nous interroger sur le monde, le regard porté sur les choses et surtout nous donner l’envie de vivre ce qui, au fond, fait que la vie se doit
d’être vécue : l’Amour.
Eastwood a le chic pour nous plonger d’office dans une époque et ses travers, pour nous montrer dès le départ les a priori des
uns et des autres. Son Amérique n’est pas toute belle, elle a ses fêlures, ses prédateurs mais au milieu de tout cela, il y a une fleur portée par le vent. Cette fleur, c’est
Breezy, un électron libre. Une fille qui prend la vie comme elle vient et cherche à voir le bon en toute chose, quitte à flirter avec le danger en faisant de mauvaises rencontres.
L’Amérique de cette époque c’est également celle du business. Celle de la famille parfaite et de la vie rangée
qui va avec. C’est de ces convictions que tout doit être cadré qui font que Frank est un homme blessé qui ne laisse pas ses émotions dicter ses actes. Ne pas montrer, ne pas ressentir. Avoir la
maîtrise de soi alors que les sentiments, justement, ne se maîtrisent pas. C’est ce raz-de-marée que va provoquer dans la vie éteinte de Frank la jeune et jolie Breezy.
Le réalisateur a trouvé avec ce film la formule magique parfaite. Il n’en fait pas trop, suit ses personnages
au plus près et les laisse vivre dans le cadre. Tout juste accompagne-t-il le film d’une bande sonore toute aussi légère que son héroïne. On est ainsi happé par la fraîcheur de l’actrice
principale qui sait nous mener à la rencontre de ses rencontres. Elle est tellement vive qu’on lui passe tout. On la sent envahir notre espace comme nos cœurs avec toute la simplicité et le
naturel qui la caractérisent. De là on va voir changer Frank au fur et à mesure qu’il succombe à l’envie de vie de Breezy. Eastwood va alors découvrir les sentiments de chacun avec une façon
pudique de filmer leur premier baiser puis leur première nuit. Tout semble couler de source. Ne pas se poser de questions et vivre l’instant présent est le message délivré alors.
Las, face à cet état qui ne peut qu’être entre deux êtres vont se dresser les pires ennemis de la simplicité de la vie. Le
regard des autres, le jugement établi par le cadre et ces normes absurdes qui font que le schéma de ce qui devrait être n’est pas respecté. Les exemples sont nombreux dans le film et il est à la
fois amusant et poignant d’assister à ces scènes parfois lourdes de sens car dans la société, quel qu’il soit, le regard des autres peut être glaçant, pesant et avoir des conséquences
importantes… On versera alors dans la déconstruction d’un bonheur en devenir par le seul fait de ne pas rentrer dans le moule. Une erreur qui peut se payer cher et qui fera comprendre avec une
scène poignante à Frank que ce qui est important dans la vie ce n’est pas d’être raccord avec les juges bien-pensants de la société mais avec les seules personnes qui vous aiment et que vous
aimez.
Ces dernières scènes déchirantes mettront alors à nu nos cœurs de midinettes et les feront en quelques mots battre à tout
rompre, prêts à recevoir ce message d’espoir. Breezy est un film sur l’Amour, le vrai, celui qui ne se contrôle pas mais qui fait que l’on est heureux car il n’ya pas à se poser de questions.
Eastwood connaît les affres du cœur, le rôle de celui qui ne cadre pas dans le décor ; plus que tout il sait que l’important c’est d’Aimer. Et comme à la fin de Million Dollar Baby, Un Monde Parfait ou Sur La Route De Madison, il nous offre un peu d’Amour… à saisir dans
l’instant.
Merci à Virginie (qui aurait pu être l’héroïne de ce film) pour cette sublime découverte…
*Breezy, le surnom de l'héroïne, signifie désinvolte, enjoué, plein d'allant
Breezy
Une comédie dramatique de Clint Eastwood (1973) produit par the Malpaso Company avec William Holden & Kay Lenz
Un Dvd Zone 2 Universal (sorti le 03/05/2007) ; Format 1.85 :1 - 16/9 (VF & VOSt Fr…) – 108 min. Aucun bonus.
Synopsis : Breezy est une jeune hippie mineure et sans
attaches, qui erre avec sa guitare. Frank Harmon, quant à lui, est un agent immobilier quinquagénaire et divorcé. Elle est désinvolte, c'est un ours cynique. Tout les sépare mais leur rencontre
fortuite les plonge dans une histoire d'amour qui va devoir affronter les idées reçues et l’a priori social...