Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Videodrome avait marqué un tournant définitif dans l’œuvre du réalisateur, mais Dead Zone a davantage ressemblé à une œuvre de commande destinée à asseoir sa réputation, et non à développer ses thématique. Qu’en sera-t-il de la Mouche, nouveau film prévu dans ce Marathon ?
Titre original : the Fly (1986), avec Jeff Goldblum & Geena Davis.
Blu-ray region B, Fox (2008)
1.85 : 1 – 16/9
VOST DTS HD-MA ; 95 min
Une chronique de Vance
Je n’ai pas longtemps hésité avant de me prendre ce blu-ray à petit prix dans le cadre de ce Défi. D’abord parce que le film m’avait laissé (tout comme Dead Zone d’ailleurs) un bon souvenir récurrent, ensuite parce que c’était un excellent prétexte pour continuer à réagrémenter ma vidéothèque.
L’image est remarquable, (la scène d’ouverture, juste après le générique censé rappeler la vision d'un insecte, jouit d’une luminosité jamais vue) avec un bon contraste, des teintes privilégiant (mais sans excès) le vert dans les scènes sombres et une palette de couleurs mettant en valeur les maquillages et autres effets spéciaux. Le son est enveloppant et profond mais doté d’une dynamique moindre que ce à quoi on aurait pu s’attendre. La musique de Howard Shore y prend ses aises, même si on pourra lui reprocher un côté un peu trop spectaculaire.
Résumé : Seth Brundle est un inventeur, aussi brillant qu’asocial. Convié à une soirée organisée par un de sponsors, il fait la connaissance d’une journaliste à qui il confie qu’il est sur un projet révolutionnaire. Quoique sceptique, la jeune femme est touchée par la maladresse du bonhomme, et fascinée par ses propos. Elle le suit dans son antre (un vieil entrepôt réaménagé en laboratoire, où il passe le plus clair de son temps) et y découvre le sujet de ses recherches : la téléportation. Après une première démonstration convaincante, elle décide d’écrire sur le sujet, ce qui n’est pas pour déplaire à Seth, qui y trouve l’occasion de la fréquenter…
J’ai longtemps aimé la Mouche, malgré ses approximations et ses excès. A mi-chemin entre le film de commande et le film personnel (il s’agit de l’adaptation d’un vieux film fantastique, assez efficace et troublant, la Mouche noire), il permet à Cronenberg de se réapproprier les codes des films d’horreur tout en y instillant certaines de ses préoccupations : on ne s’étonnera pas ainsi, dans le cadre de ce Défi, d’y voir Brundle déblatérer sur la « Nouvelle Chair » comme s’il en avait discuté avec Max Renn ; un discours opportuniste sans doute, malin et qui apparaît pertinent pour ceux qui se sont donnés le mal de s’appesantir sur la carrière du metteur en scène canadien.
Avec la Mouche, film régulièrement reprogrammé à la TV, on peut aussi se rendre compte, incontestablement, de la propension qu’a David Cronenberg à choisir des comédiens aussi performants que singuliers pour incarner ses personnages principaux : James Woods, Christopher Walken et Jeff Goldblum ont toujours été dans ma sélection personnelle des meilleurs acteurs actuels, et c’est sans conteste dû à leur performance dans les films qu’ils ont interprétés pour lui. Goldblum, ici, tout en se permettant ses habituelles séquences torse nu (le bougre sait parfaitement mettre en valeur sa silhouette irréprochable), illustre un savant particulier, sorte de geek tendance nolife mais doté d’un physique hors normes. Sa démarche féline, tout en balancements d’épaules, contraste terriblement avec l’intense timidité qui le caractérise (ceux qui connaissent se souviennent sans doute de Timide & sans complexe, une série assez drôle) ; ses longs doigts de pianiste viennent souvent en contrepoint d’un discours aussi éloquent que difficilement intelligible ; et son sourire éclatant et charmeur ne parvient pas à éclipser l’aspect inquiétant de son regard dérangeant. Un acteur idéal pour incarner un ingénieur d’exception, retiré du monde et effectuant des recherches sur la téléportation pour des raisons personnelles : un tel procédé éviterait à ceux qui en souffrent le mal des transports et les contingences qu’ils impliquent pour se déplacer (s’il n’était aussi longiligne, on croirait voir la réincarnation de Wendell Urth, personnage récurrent des nouvelles d’Asimov).
Quant au film lui-même, il est foncièrement séduisant. C’est même incroyable qu’il puisse encore l’être après tant de visionnages ! Certes, la qualité du nouveau master HD y est pour beaucoup, mais l’œuvre en elle-même possède suffisamment d’atouts pour passionner de nouveaux spectateurs. Comme à son habitude, Cronenberg ne s’embarrasse pas d’une mise en place progressive : un générique graphique, un fondu enchaîné et nous voilà dans la salle de réception d’un hôtel. Brundle et Veronica se retrouvent très vite dans le champ, et l’histoire commence déjà. Après une tentative de séduction complètement foireuse, Seth parvient tout de même à trouver les arguments pour faire venir chez lui une journalliste aussi charmante que peu farouche (Geena Davis, dans un de ses rôles les plus pertinents). Cette relation permet à Cronenberg d’introduire à la fois sa réflexion sur la fameuse « Nouvelle Chair » (par un biais un peu saugrenu : les expériences ne fonctionnant que sur des objets inanimés, Seth finit par comprendre qu’il ne connaît pas assez la « chair » et que son ordinateur ne parvient pas à l’interpréter ; en couchant avec Veronica, il entreprend parallèlement une démarche de recherche sur le sujet) et l’élément perturbateur qui va transformer la quête en tragédie (un doute, entretenu par la jalousie, vont pousser Brundle à boire et à faire des choix dramatiques). La trame apparaît aussi évidente que facile, mais elle fonctionne bien grâce à l’implication des acteurs (même si le personnage de Stathis – le patron de Veronica et son ex-amant – semble exagérément antipathique). A la rigueur, on pourra reprocher à la démarche scientifique de Brundle d’opérer des raccourcis complètement farfelus (pour sa première téléportation avec un élément vivant, il choisit un babouin – pauvre bête !), prétextes à des ratages permettant la concrétisation à l’écran de visions cauchemardesques en droite ligne des mutations de Videodrome.
Quant à la mise en scène, elle semble étonnamment cohérente, collant (comme de coutume) aux personnages, sans les laisser respirer, avec une gestion lucide des mouvements de caméra (pas de fioriture ni de poudre aux yeux chez Cronenberg) lors de sages travellings le long de corridors obscurs. Le cadrage est d’ailleurs remarquable, il suffit de voir le travail effectué dans l’immense loft encombré de Brundle.
Et puis ça fait du bien de le voir revendiquer cette patte « horrifique » qui semblait le gêner aux entournures juste avant : s’amusant avec les effets spéciaux (Chris Walas n’a pas volé son Oscar du meilleur maquillage) au moins autant que Carpenter avec ceux de the Thing, il nous gratifie de quelques séquences gore qui raviront les fans de la première heure, allant jusqu’à se complaire parfois dans le malsain voire le carrément dégueu (la scène où Brundle s’enlève un ongle devant le miroir de la salle de bains vaut encore le détour, tout comme sa manière de s’alimenter une fois transformé).
Bref, un film de genre haut en couleurs, dynamique et percutant. Un très bon cru, au prestige rehaussé par la HD.
Ma note : 4,2/5
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