Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
La réalisation
Spielberg cite énormément de ses films. Si la référence à Jurassic Park est assez facile à comprendre (David se reflétant dans le rétroviseur), une autre est plus subtile (l'entrée dans le parc d'attraction sous-marin). On retrouve également le symbole de la Lune si important dans E.T, ainsi qu'un plan d'un véhicule passant au dessus d'arbres rappelant un peu certains autres de Rencontres du 3e type. Il use plus que jamais de certains de ses plans favoris : filmer le personnage dans un cercle, dans un rond... Ainsi David est souvent filmé en plongée sous un halo lumineux éclairant la salle à manger, lorsqu'il détruit le clone (le "halo" devient "un oeil"), dans un bouchon rond d'un bocal à café, dans son lit aux cercles lumineux... Plans qu'il a recréé dans La Guerre des mondes (trou de la balle de base ball dans la vitre à travers lequel on voit Tom Cruise, trou dans le pare-brise...).
Les contraintes techniques ont réitéré l'expérience de Jaws : ne pas avoir le requin qui fonctionne a amélioré grandement le film, ne pas avoir de vrai robot sur le plateau et avoir engagé un acteur ne fait qu'améliorer le film en renforçant la barrière extrêmement floue entre orga et méca. La première et la deuxième scènes du film jouent sur cet aspect (le dernier plan de la première séquence montre une femme méca se maquillant, le premier plan de la deuxième scène montre une femme orga se maquillant...). Les réactions des personnages n'en deviennent que plus ambiguës...
Mieux, Spielberg pousse le vice en rendant certains humains bien plus artificiels que les robots. Martin et ses jambes entourées d'un système artificiel et mécanique qui détruit son jouet devant un David interdit, les hommes chassant les mécas et les poursuivant sur leur moto dans une combinaison fluo mécanique (ils sont d'ailleurs déshumanisés). Même Teddy qui a une apparence de jouet dit dès qu'on le voit qu'il « n'en est pas un » (le gardien de David, qui le dissuade d'avaler ses épinards).
La scène des épinards, justement, et sa tension sont habituelles du cinéma de Spielberg qui utilise la nourriture comme un élément pour faire avancer le récit. Ainsi, on retrouve ce genre de passages dans Rencontres du troisième type (Dreyfuss et la purée), dans E.T (les pizzas qui amènent les enfants à découvrir E.T ou les M&M's qui servent de lien entre l'enfant et E.T), dans Jaws (la décision d'aller enfin courser le requin se fait après avoir bu une bouteille de vin autour d'un bon plat), dans Indy (la scène du repas au palais), dans Jurassic Park (la gelée devant les dinosaures), dans Hook (la nourriture imaginaire), dans Munich (la scène de la préparation en cuisine), dans Minority Report (le frigo), dans Le Terminal (l’ascension sociale de Tom Hanks qui se nourrit de Ketchup et de biscuits avant de gagner la reconnaissance quand on lui fait son repas), dans La Guerre des mondes (la scène de la tartine au beurre de cacahuètes), dans Arrête-moi si tu peux (les étiquettes de produits alimentaires servent à comprendre la nature de Abagnale)...
Les Hommes sont assez peu présents dans le film, et on les voit quasiment tous sous un mauvais jour (le proprio de l'hôtel qui accuse Gigolo Joe d'un meurtre, jusqu'aux plus petits cas d'égoïsme avec Martin et ses amis...).
Une sorte de réflexion à la Blade Runner : qu'est-ce qui fait de nous des Hommes ? A quoi peut bien renvoyer le titre du film d'ailleurs ? L'intelligence artificielle des Hommes, l'émotion réelle des robots ?
En dehors de ces questions, on peut tout simplement voir dans ce film la thématique principale de Spielberg : la place dans la famille, et par extension tout ce qui touche à la relation mère/enfant et à l'illusion.
Un film de Spielberg a toujours une réalisation impeccable. Mais il y a toujours également des effets spéciaux tellement incroyables qu'ils passent au second plan face à la qualité du scénario. C'est paradoxal mais plus un effet est bon moins on aura tendance à le remarquer. Et 10 ans après, aucun effet n'a vieilli.
Les images de synthèses sont toujours aussi belles, Teddy est toujours aussi convaincant (et est l'un des personnages les plus touchant). Les maquillages des acteurs principaux sont tellement bons qu'on ne les remarque pas vraiment mais ils participent à cette impression d'étrangeté. Haley Joel Osment et Jude Law ont été rasés à toutes les scènes, avec application de cire en spray sur la peau.
Parlons en des acteurs : Haley Joel Osment est plus que bluffant, son idée de ne jamais cligner des yeux témoigne d'une grande intelligence. Jude Law trouve l'un de ses plus beaux rôles, sa démarche fluide et aérienne a dû être plus que compliquée à jouer. Les parents de David sont tellement bons qu'on ne dirait pas des acteurs. Et on retrouve un paquet de seconds rôles inoubliables : Brendan Gleeson, William Hurt, ainsi qu'un cast vocal remarquable : Robin Williams, Ben Kingsley, Chris Rock, Meryl Streep...
John Williams signe une partition monumentale, à la fois douce, troublante, terrifiante et rendant hommage à Kubrick avec Der Rosenkavalier.
Un de mes Spielberg préférés, un chef-d'oeuvre. Je ne parlerai pas du stupide débat E.T/robots évolués, il n'a pas du tout lieu d'être, mais si vous aviez été de ceux qui l'avaient fortement critiqué, je ne peux que vous conseiller de le revoir.
Image :
Un Blu-ray exceptionnel. Comme tous les Spielberg sortis. La photo du directeur attitré Kaminski est superbe. Il y a du grain, de la surexposition, des plans flous, des plans ultra détaillés, des couleurs resplendissantes, une luminosité parfaite. Merci à l'éditeur d'avoir respecté le film et son aspect ciné tel qu'il était justement au cinéma. Ne surtout pas lire et tenir compte des avis de l'un des sites pros américains (dont je tairai le nom d'ailleurs) et qui ose dire qu'il y a du DNR et que les visages des acteurs ont un aspect lisse de cire : c'est à croire qu'ils n'ont rien compris à ce film !
Ne surtout pas non plus croire les gens qui viendront se plaindre de "bruit vidéo" (inexistant, c'est du grain), de l'aspect crade de certains chapitres. Pourquoi trouver des défauts quand il n'y en a aucun ? Ce n'est pas parce que l'esthétique voulue par Spielberg ne leur convient pas qu'il faut refaire le film.
Son :
Une VF de qualité assez bonne, surtout pour son doublage, mais qui ne fait pas le poids face à la VO. Pas d'effets ultra présents mais une ambiance claire, des dialogues nets.
Bonus :
De nombreux bonus passionnants sur le côté technique, mais très peu sur le scénario. Satisfaisant, mais on aurait aimé des bonus inédits pour un tel chef-d'oeuvre.