Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Etonnant. Ahurissant de détails. Troublant de magnétisme.
Matrix : un film très tôt hissé au faîte de la gloire par des geeks en mal de film de chevet, puis jeté à bas par des critiques trop vite blasés par cette déferlante d’effets spéciaux aussitôt démodés et ce scénario fait de bric et de broc agglutinant des références aux mangas et à la littérature populaire. Matrix qui nous a fait vibrer en son temps, grâce à une bande annonce savamment stimulante, qui nous a poussés vers le DVD grâce à des procédés assez étonnants, exploitant les capacités du nouveau support préféré des cinéphiles. Matrix qui a su mettre en avant ce que les culs bénis et autres coincés de la culture cherchaient à dissimuler sous le paillasson de la bienséance, (re)donnant leurs lettres de noblesse à ces franges de l’Art que sont le comics, la bande dessinée, les romans de science-fiction et les mélangeant en un creuset aussi délectable que curieusement équilibré.
C’aurait pu être un de ces visionnages de plus. N’ai-je pas déjà de nombreuses fois glissé la galette dans le lecteur ne serait-ce que pour regarder à nouveau, et encore, l’entraînement de Neo dans le dojo virtuel, face à un Morpheus solennel et indéracinable ? Ou le face-à-face jubilatoire entre Neo et Smith dans les couloirs du métro, ce duel de western post-moderne où les balles fusent autant que les lourdes paroles assénées par un Hugo Weaving ébouriffant, scandant l’inéluctabilité de la défaite de « Mister Anderson » ?
Je me souviens que certaines répliques, immédiatement cultes, accompagnaient l’allumage de mon ordinateur ou l’exécution de plusieurs fonctions : « Wow ! » comme Neo observant sans trop y croire Morpheus sautant d’un immeuble à l’autre ; « There is no spoon. » lorsque, soudé à Trinity dans l’ascenseur, il repense à la phrase curieuse de ce garçon aux étranges pouvoirs rencontré dans l’antichambre de l’Oracle ; « Dodge this ! » assène Trinity à l’autre agent qui s’apprêtait à en finir avec un Neo sur le point d’ « arpenter » le chemin le conduisant à l’accomplissement de son destin.
Une succession de scènes visuellement délirantes, montées sur un rythme trépidant qui sait pourtant se poser pour nous confier quelques remarques acerbes d’un Cypher détestable ou le docte discours d’un Morpheus professoral cherchant à convaincre un Neo encore timide et hésitant de l’illusoire réalité que dissimule la Matrice. J’ai adoré Matrix, et j’ai aimé l’adorer. Et tant pis pour ceux qui, revenus de l’inévitable fascination qu’il a procuré, l’ont voué aux gémonies pour n’être, après tout, qu’une vague compilation de ce que la sous-culture (donc la mauvaise, entendez bien !) a de plus systématique et iconique : des paroles creuses ne reposant sur rien de concret, des tenues sombres et ajustées entre gothique et néo-punk, des flingues à profusion, de la baston stylisée, un environnement no future et un Messie trop beau pour être vrai, issu du peuple qui souffre et voué à les libérer dans la peine et la gloire, en retournant l’arme des oppresseurs contre eux. Puisque les jeunes ont adoré, c’était forcément mauvais. Et puis on y parle cyberpunk, on se bat à l’orientale et on prend la pose quand on saute ou qu’on abat un type : c’en était trop !
Moins d’un an après sa sortie retentissante en salles, le DVD de Matrix subissait donc une vague de haine farouche et un dénigrement général, ostentatoire et condescendant.
Pathétique.
Car franchement, après l’avoir revu, mais cette fois en blu-ray, je retrouve tout ce qui m’avait plu, cet environnement et ce jargon technologique inspiré des œuvres de Gibson et qui font écho au cyberespace développé dans les livres de Peter F. Hamilton ou surtout l’énorme saga d’Hypérion de Dan Simmons ; ces décors aussi réels que factices rappelant l’excellent Dark City de Proyas ou Ghost in the shell de Mamoru Oshii ; ces chorégraphies de combat signées Yuen Woo-Ping ; cette nomenclature tirée des mythologies de référence de la culture judéo-chrétienne (de Morphée, fils d’Hypnos et de la Nuit, capable d’endormir les mortels ou de les soustraire aux machinations des dieux à la Sainte Trinité) ; cette bande son enfin, aussi violente qu’entraînante.
Eh bien j’adhère encore à ces concepts. Pourquoi reprocher aux frères Wachowski leurs sources d’inspiration ? Ils en ont tiré une œuvre jouissive et plus profonde qu’elle n’en a l’air, sans être dérangeante : Matrix sait entretenir (à la façon des Anglo-Saxons, de to entertain), nous réjouir et nous faire plaisir. C’est du spectacle de haut niveau, pétaradant et explosif. Ce sont quelques acteurs magnétiques à la voix stupéfiante (Fishburne et Weaving surtout). C’est de la haute voltige et du divertissement qui a oublié d’être niais. Pas la peine d’aller voir plus loin les tenants et les justifications de cette philosophie simpliste : elle se tient parce qu’elle est simplement exprimée et qu’il n’est nécessaire que d’avoir un peu de jugeote et un minimum de références culturelles. Qu’ils aient voulu exploiter cette facette en creusant davantage leurs discours – de peur de sombrer dans l’auto-parodie, peut-être ? – pour les deux suites, ça les regarde, et ça a certainement fait fuir de nombreux aficionados, mais pour avoir visionné les trois Matrix à la suite, je peux certifier qu’ils sont nettement plus cohérents que ce qu’il pouvait sembler.
Matrix démodé ? Allons donc ! Il demeure incontournable.
Techniquement, le blu-ray permet de rééquilibrer la colorimétrie des 3 films, en remettant une dominante verte dans toutes les séquences se déroulant dans la Matrice (le DVD était plutôt dans les tons bleus, comme l'atteste sa jaquette). On s'aperçoit avec bonheur de l'excellente intégration des effets spéciaux visuels - nul doute qu'un vrai travail de recalibrage a eu lieu lors de la remasterisation, qui s'avère ainsi une des meilleures du genre. De fait, l'image est ahurissante de précision (au point que certains décors de studios apparaissent sur certains fonds) et le son proprement dévastateur. Le blu-ray UHD 4K, tout en capitalisant sur ces procédés, a miraculeusement rétabli un certain équilibre et une plus grande dynamique.
Quant au fond, inutile de gloser pendant des lustres. Tout au plus me suis-je aperçu que, si Matrix le film s'inspirait de certains thèmes cyberpunk, les courts-métrages des Animatrix, très agréables pris séparément mais assez fastidieux dans leur ensemble, puisent davantage dans une Sf plus traditionnelle : ainsi, la Seconde Renaissance fait davantage penser au cycle des robots d'Asimov qu'à Simulacron III de Galouye. C'est peut-être ce creuset d'influences qui fait de cette saga un objet si particulier.
Synopsis : Thomas Anderson est un employé menant une vie quelconque et monotone dans une grande métropole américaine. Neo est un hacker assez doué et recherché des services de police. Tous deux sont les deux faces d’une même personne qui a du mal à accepter son destin nauséeux et se pose des questions sur la Matrice, cette toile tentaculaire et insaisissable qu’il ne parvient pas à définir. Un jour, Neo est contacté par une certaine Trinity qui le met en relation avec Morpheus, pirate informatique quasi-mythique. Ce dernier lui explique alors que la réalité dans laquelle il croit évoluer n’est qu’un monde créé de toutes pièces par les Machines qui ont vaincu les humains des décennies auparavant. Les derniers survivants s’efforcent de les combattre afin de libérer leurs pareils prisonniers de cette réalité artificielle, nommée la Matrice, et comptent sur un sauveur, un messie annoncé par une prophétie. Ce sauveur serait lui, Neo…
Titre original |
The Matrix |
Date de sortie en salles |
23 juin 1999 avec Warner Bros. |
Date de sortie en vidéo |
24 mai 1999 avec Warner Bros. |
Date de sortie en VOD |
13 octobre 2008 avec Warner Bros. |
Réalisation |
Lana & Lilly Wachowski |
Distribution |
Keanu Reeves, Laurence Fishburne, Carrie-Ann Moss & Hugo Weaving |
Scénario |
Lana & Lilly Wachowski |
Photographie |
Bill Pope |
Musique |
Don Davis |
Support & durée |
Blu-ray 4K UHD Warner Bros. (2018) en 2.40 :1/136 min |