Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
J’avais raté le premier Hellboy malgré mon attachement pour Del Toro dont j’avais beaucoup aimé l’Echine du Diable et le Labyrinthe de Pan : un réalisateur affirmant sans complaisance sa geek attitude et bourrant le film d’autant de trouvailles visuelles héritées de cauchemars inavouables que de références multiples à sa culture populaire fondée sur les romans de dark fantasy et les BD ; malgré aussi la présence de Mike Mignola à l’affiche (uniquement comme source d’inspiration je crois), un artiste révéré de la scène comics, gravitant à l’écart des grandes maisons d’édition et auteur de romans graphiques déjà cultes. Je connaissais mal son Hellboy mais j’avais aimé son one-shot sur Wolverine, bien écrit et finement réalisé.
Les critiques, à l’époque, n’étaient pas flatteuses, d’autant que Guillermo Del Toro avait aussi commis Blade II que j’avais très moyennement apprécié sur le coup, mais revu avec grand plaisir ensuite. J’avais donc passé mon chemin, me rassurant par les commentaires de la plupart de mes amis : pas le film du siècle, à l’évidence. Canal + ou un prêt de DVD feraient l’affaire.
Mais l’industrie du cinéma sait y faire. Pas toujours, il est vrai, mais elle connaît les bonnes recettes, comme celles d’appâter le futur consommateur. Il a suffi d’une bande-annonce fondée sur une sélection pointue d’images, et le tour était joué. Je VOULAIS voir Hellboy 2. J’ai donc fini par acheter le premier opus.
Celui-ci ne m’a pas complètement convaincu : j’ai aimé l’univers, le personnage, l’utilisation habile (mais convenue) de la mythologie infernale, du culte du complot et de la tendance à l'occulte. Même si l’épatant Ron Perlman peinait à convaincre dans le costume du rejeton de l’enfer taraudé par un destin qu’il rejette, on naviguait assez librement dans un domaine situé aux frontières d’œuvres comme la Ligue des Gentlemen extraordinaires, dans une société qui pourrait être celle du jeu Cthulhu 90 s’il était dirigé par un Maître des Arcanes amateur de comics – donc pas aussi ironique et iconoclaste que le Bureau des atrocités, mais surfant sur la vague du paranormal ordinaire et des redresseurs de torts secrets travaillant pour le gouvernement. Ca bougeait bien, c’était assez fun et plein de tension mais la fin n’était pas à la hauteur.
La suite, c’est tout autre chose.
D’abord, et très clairement, il y a eu un changement radical d’orientation. C’est mon opinion, mais elle m’apparaît très nette. Pourtant, Mignola fait partie de l’équipe technique (co-scénariste, de ce que j'ai cru lire), mais le film s’engage dès le début dans une voie plus grand public avec un discours un peu pontifiant, ce destin tracé à gros traits et cette structure calquée sur Benjamin Gates : passée la première scène qui permet de faire le lien avec le premier épisode, on assiste à une séquence du passé de Hellboy, où son père adoptif lui conte une légende que son imagination nous retranscrit dans un petit film d’animation très agréable, au design réussi. Puis on entre dans le présent, un présent où un pacte se rompt et où la Terre court un grave danger – mais on sait tous que notre Rouge sera là pour la sauver, n’est-ce pas ? Le conte pour enfant est donc réel et la menace tout autant. Quant aux habitants d’une Amérique indolente, ils vont faire connaissance de façon officielle avec Hellboy et son agence gouvernementale : loin de LXG, on est cette fois dans MIB ! Evidemment, à la place des aliens, on a des créatures issues du folklore, des êtres habituellement invisibles aux mortels : elfes et trolls et autres goules ou golems, autant de chimères qui débarquent dans le quotidien. Hellboy opère alors à visage découvert car tel était son souhait : être intégré. Las ! Sa compagne enflammée peine à supporter la vie de couple et il ne faut pas être un grand medium pour comprendre ce que cachent ses sautes d’humeur.
Alors oui, la première demi-heure fait peur tant on sombre dans un récit aussi naïf que facile, tempéré par de très beaux décors et des personnages toujours fascinants (Abe Sapiens, moins esthétique que dans le premier, mais encore hypnotique) : Hellboy travaille comme le ghostbuster de base, prend des poses et recherche immédiatement la confrontation avec son nouveau chef d’équipe. Pendant ce temps, le méchant de l’histoire ourdit ses plans de conquête où le contrôle de l’armée invincible composée de 70 fois 70 armures d’or animées est nécessaire : il lui faut pour cela récupérer la troisième pièce d’une couronne, pièce que sa sœur jumelle détient alors qu’elle cherche refuge auprès du BPRD et enflamme le cœur d’Abe.
Simpliste. Banal.
C’est pourtant sur cette trame débarrassée des oripeaux cyniques et désabusés du premier opus que Del Toro signe une œuvre jouissive, décomplexée et tonitruante. Car Ron Perlman, avec ses répliques plus percutantes, ses gestes plus maîtrisés, est magnétique. Et surtout parce que notre réalisateur, reprenant de nombreux codes visuels du Labyrinthe de Pan, fait s’immiscer dans ce monde de brutes cauchemardesques toute une faune échappée du Seigneur des Anneaux ou de Dark Cristal : le marché troll est ainsi, pour moi, le véritable début d’un blockbuster jubilatoire qui s’appuie sans vergogne sur les mythes populaires tout en dispensant des scènes d’action classieuses sur la trame d'une mission menée tambour battant. Impossible de s’ennuyer, que ce soit au milieu de ces êtres protéiformes rappelant par leur diversité la Cantina de Star Wars ou l’antre de Jabba ou encore dans ces combats virevoltants, avec un Nuada Prince de l’Invisible terriblement élégant et létal. On ne nous ménagera ni les décors hallucinatoires ni le duel final digne des meilleurs jeux vidéo.
Simple, mais amusant. Et ostensiblement assumé comme tel : le cadrage recherché, les décors sublimes et les trucages numériques se mêlent aux effets de transition old school (de très nombreux volets latéraux et même une séquence en split-screen !), aux animatroniques et aux maquillages à l’ancienne, le tout sous un regard complaisant empreint d’un humour bon enfant. Les répliques de Hellboy font mouche d’autant qu’il est secondé par un chef d’équipe redoutable, ancien savant fou germanique (comme tous les savants fous) se déplaçant dans un improbable scaphandre contenant une substance protoplasmique qui lui permet d’animer n’importe quel objet – même un cadavre ! La VF se plaît en outre à appuyer le très fort accent allemand et les jurons proférés dans la langue de Goethe.
Un grand spectacle où l’ironie cède le pas à la bonne humeur, où les démons sont remplacés par des elfes et des trolls : choix curieux, sans doute à l’opposé de ce qu’on a pu voir dans par exemple the Dark Knight, mais qui a su faire de ce film une œuvre décomplexée et délassante. Cela n’enrichira sans doute pas la franchise, mais le public saura s’y retrouver.
Titre original |
Hellboy II : the Golden Army |
Réalisateur |
Guillermo Del Toro |
Date de sortie en salles |
29 octobre 2008 avec Universal Pictures |
Date de sortie en DVD |
29 avril 2009 avec Universal |
Scénario |
Guillermo Del Toro & Mike Mignola d’après son œuvre |
Distribution |
Ron Perlman, Selma Blair, Doug Jones, Luke Goss, Jeffrey Tambor & John Hurt |
Photographie |
Guillermo Navarro |
Musique |
Danny Elfman |
Support & durée |
Blu-ray Universal (2009) region B en 1.85 :1 / 119 minutes |
Synopsis : Après qu'une ancienne trêve établie entre le genre humain et le royaume invisible des créatures fantastiques ait été rompue, l'Enfer sur Terre est prêt à émerger. Un chef impitoyable qui règne sur le royaume d'en-dessous, renie ses origines et réveille une menace sans précédent : une armée de créatures que personne ne peut arrêter. Maintenant, il est temps pour le super héros le plus indestructible et le plus cornu de la planète de combattre un dictateur sans pitié et ses légions. Il peut être rouge, il peut avoir des cornes, il peut être mal compris, mais si vous voulez que le travail soit bien fait, appelez Hellboy.
Avec ses partenaires du Bureau de Recherche et de Défense Paranormal (B.P.R.D.), sa petite amie pyrokinésique Liz, l'aquatique et empathique Abe Sapien et le mystique protoplasmique Johann, le B.P.R.D voyagera entre notre monde et celui où voguent les créatures que ne peuvent pas voir les humains, où les créatures du monde fantastique sont devenues réelles. Hellboy, créature appartenant aux deux mondes qui n'est accepté dans aucun, devra choisir entre la vie qu'il connaît et une destinée incertaine qui l'attend.
Le contraste avec le précédent opus—l'une des belles réussites modernes des comics au cinéma, quoique assez déséquilibré—est saisissant. Hellboy II se démarque passablement du genre et touche à la corde du conte, de l'enfance et du merveilleux ; des pendants qui trouvent chez moi une résonance toute particulière. Le personnage n'est ici qu'un prétexte, le véhicule à toute une mythologie faite de créatures fascinantes et effrayantes, peuplant des univers où dansent les formes et les couleurs. Le fait que la plupart des effets soient tactiles, en « dur », ajoute à l'impression que l'on est devant un digest des grands arts et techniques d'un certain cinéma qui n'existe plus vraiment aujourd'hui. Une œuvre simple, sincère et magnifique.
Le Blu-Ray propose le mixage salles non compressé, en plus d'une copie somptueuse au grain très cinéma. Les éléments interactifs sont denses et nombreux, à défaut d'être toujours pertinents. A noter que le supplément le plus intéressant, un documentaire de production linéaire, est celui qui fait appel à une réalisation des plus traditionnelles.