Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
... en écriture visuelle.
la Diégèse numérique
Pour lire la 1e partie de cette étude, cliquer ci-contre : Récits de cohérence interne
Pour lire la 2e partie de cette étude, cliquer ci-contre : « le Déploiement diégétique - 01 »
3] Le déploiement diégétique, 2ème partie
L’effacement du support, et surtout l’illusion de la 3D, est toujours valable : l’image numérique n’est pas moins plate qu’une image analogique. Et Gollum a beau avoir été modélisé en 3D (sur un moniteur d’ordinateur qui le rendait en 2D), sa représentation sur la toile avance et parle toujours désespérément en 2D, avec effet de perspective.
Autre chose : l’oubli du support, l’effacement du spectateur dans la salle ou dans son canapé, n’est pas bouleversé par l’apparition de l’image numérique. La « plongée » dans le film au bout de quelques minutes est toujours effective.
Ensuite, dans nos cas précis, l’image numérique étend les relations entre diégèse et récit. Selon Odin, « la diégèse fixe les modalités de manifestation de [l’]histoire : elle fournit les éléments descriptifs dont l’histoire a besoin pour se manifester ». Et, à l’inverse, « la diégétisation se fonde sur la potentialité narrative que je reconnais à un espace ».
Ce double mouvement réciproque trouve un fort écho avec l’image numérique. Ainsi, l’image numérique est d’abord un élément diégétique capable d’amener les éléments qui aident à figurer l’histoire : concrètement, dans Le Seigneur des Anneaux – Les Deux Tours, le Roi Theoden passe de l’état de « possédé » à son état « normal », c’est la partie d’histoire à figurer ; l’utilisation d’un morphing complexe exécuté sur machine entre différentes phases de maquillage de l’acteur, qui va décrire ce changement d’état du personnage, le tout en mouvement et dans un plan sans coupe, relève d’un élément de diégèse numérique.
De l’autre côté maintenant, si l’on déplace l’exemple de Roger Odin, l’utilisation de décors numériques peut envisager de ne pas bloquer le processus de diégétisation. Dans Star Wars, les paysages planétaires peuvent être lus comme entièrement construits en numérique (3), à partir du moment où l’on s’attarde sur la matériau interne à l’image, mais s’intègrent à l’espace narratif : nous savons que les personnages sont des acteurs à l’existence propre hors du film, mais nous considérons néanmoins ces personnages et non l’acteur dans l’histoire ; nous savons que nous évoluons dans un monde décrit et peuplé d’acteurs numériques sous de multiples formes, nous les voyons numériques, mais il faut bien les accepter en tant que personnages. Tous ces aspects relèvent de la diégèse, et le numérique devient bien un nouvel élément diégétique.
Enfin, s’attardant sur les relations entre diégétisation et personnage, Roger Odin estime qu’il y a diégétisation « lorsque je considère que j’ai à faire à un espace habitable par un personnage. (…) Ce qui compte est que j’envisage la possibilité qu’un ou des personnages puisse entrer et vivre dans cet espace ». Encore une fois, et en relation avec ce que nous avons expliqué avant, l’image numérique, en représentant des environnements complexes et fouillés, amène une forte crédibilité. Le personnage du Jedi dans Star Wars s’accorde sans problème avec le décor de la planète Coruscant, centre politico-économique et religieux : la diégèse fonctionne. Par contre, déplaçons le personnage au milieu de la Comté, pays des Hobbits, dans Le Seigneur des Anneaux : il y a immédiatement dissonance, la diégèse ne pourrait s’accomplir.
(3) Nous verrons plus tard que ce type de lecture est, d’abord, loin d’être évidente, et ensuite, risquée car probablement faussée par la densité et la complexité du champ : le numérique devient le punctum de l’image.
A finir… « La mise en cohésion d’un monde ».