Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Indiana Jones and the Kingdom of the cristal skull
Réalisé par Steven Spielberg, avec le concours de George Lucas
Musique de John Williams
Sorti en salles le 21 mai 2008
Blacklisté après avoir été forcé d’agir pour les Russes, Indiana Jones se met en quête avec un jeune homme téméraire d’un artéfact sensé rassembler la clé de certaines des grandes questions de l’humanité…
Voici sans doute le film d'aventures m'ayant le plus enthousiasmé depuis... la Dernière croisade ! C'est une oeuvre totalement schizophrène, à la fois ancrée dans un respect maladif de ses propres codes et dans une optique de représentation relative à son époque.
Spielberg surexpose subtilement ses images comme pour leur donner une texture propre aux années 80 ; en même temps, il imprime des points de vue et mouvements de caméra ainsi qu'une gestion de l'espace représentatif qu'il a nourris depuis A.I. et la Guerre des mondes. Il utilise les mêmes étapes narratives que précédemment (affrontements au corps à corps, nuées d'animaux dangereux, poursuites sur roues, etc.), mais sans manquer d'en étendre leur portée, les décaler ou parfois s'en dégager. L'autocitation est de mise, les références affluent, mais l'originalité surprend, et plus d'une fois, alors que pointent de façon flagrante un univers et un montage très Lucasien (ceux qui auront détesté le film pourront en profiter pour lui en rejeter la faute, mais il reste que la peinture des années 50 est fabuleuse tant elle rappelle American Graffiti) ainsi que les thèmes les plus chers à Spielberg (cet Indiana Jones est hallucinant par son côté sincère et personnel : l'aventure est sans cesse contrebalancée par cette douce obsession à créer du tissu familial, apparu à la fin du 3, ici à reconstruire). Bref, c'est double rapport constant, malade, bluffant et fascinant d'opiniâtreté.
Contrairement à beaucoup, j'ai énormément ri, j'ai été ému (voire très), touché, remué et excité. Mon plaisir a par contre été souvent gâché par une VF absolument honteuse de bêtise, qui ne fait que me rendre plus impatient de pouvoir apprécier le film à sa juste valeur dans sa version originale sur disque. L'œuvre rebondit énormément sur son angle d'approche qui l'amène à situer Indiana Jones dans un contexte particulier, à l'importance narrative encore inédite dans cette franchise. C'est sans doute l'héritage de l'excellente série TV, et tant mieux car cela enrichit l'aspect « serial » qui est encore plus appuyé que dans le Temple maudit. Les grosses araignées dévoreuses d'hommes, l'exotisme, les russes fous de paranormal et de télékinésie, l'angoisse du nucléaire et de l'étranger, l'obsession de la "nouvelle frontière"... forment une thématique globale digne des films paranoïaques de l'époque, qui amène également une question, plus sublime encore que celle de l'illumination, qui est celle du savoir et de la connaissance, face à l'aveuglement, avec à la clé un constat à la fois très noir (nous méritons et entretenons notre contexte) et plein de sagesse (les leçons apprises à la fin de l'opus précédant ont été retenues).
Restent que les seconds rôles sont effectivement assez peu pertinents, sans être désagréables pour autant grâce à certaines qualités d'écriture nous concentrant avant tout sur le fil directeur. Je réitère que j'ai adoré, malgré un petit déséquilibre et quelques ratés narratifs, mais le tout fait illusion, car franchement cela faisait longtemps que je n'avais pas pris un tel pied cinématographique devant une pure oeuvre d'aventure, innocente, revendiquée et accomplie comme telle, avec une intelligence rare. Indiana est revenu et, avec lui, il a rapporté tout un pan de cinéma : célébré des années 20 à 50, référentiel dans les années 80, post-moderne aujourd'hui. Iconique au possible (deux plans d’ensemble mettant en scène le héros devant l’immensité justifient autant l'existence du cinéma que tout le discours méta-filmique de l'oeuvre sur son propre statut et son inscription dans l'Art), Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal se scelle durablement par son esthétique visuelle et picturale, et ses ambitions duales.
Qu'on me donne plus d'œuvres semblables, ou mieux, de plus réussies (on peut toujours attendre), et je commencerai à donner un semblant d'intérêt à toute la vague de haine discursive qui s'abat sur cet excellent film, dont la lassante répétition des enjeux et problématiques de critique intellectuelle qu'a du, en vain, combattre la Menace fantôme il y a dix ans, me donne purement et simplement envie de vomir.