Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Mise à jour d'un article datant de 2008.
Chaque fois, au-delà de la (réelle) polémique engendrée par le film, je ne peux qu'être complètement séduit, au point de rester jusqu'à la fin lorsqu’il est rediffusé. Mis à plat, les arguments du père de Neil sont peut-être rétrogrades, mais pertinents : Mr & Mrs Perry se sont sacrifiés pour que leur enfant ait une chance dans sa vie ; à lui donc de ne pas la gâcher en pensant à des "futilités". Normal que toute une génération de jeunes y ait vu un splendide plaidoyer pour la liberté d'être tel qu'on le désire. C’est attrayant, réformateur et (apparemment) facile : se libérer des contraintes imposées par la société, du carcan de la bienséance. Mais surtout, recommencer à se fier à son jugement, lui conférer de la valeur et oser s’aventurer sur les chemins tortueux de l’existence. Se construire sans se calquer sur des modèles, mais s’appuyer sur certains d’entre eux pour s’édifier harmonieusement.
Un nouvel humanisme qui tranchait avec des années de rigueur et de classicisme.
Reste que : John Keating avait-il le droit d'influencer à ce point ces jeunes gens (17 ans tout de même, plutôt immatures pour des jeunes de notre époque) ? Etait-il légitime de leur faire toucher un idéal qui ne pouvait qu'être éphémère ? La nouveauté a du bon, certes, mais chez les jeunes elle est souvent synonyme de rejet de l’ancien, et il est de fait qu’ils versent trop vite dans l’excès.
Sur ce plan, je suis constamment en porte-à-faux. Mon métier et ma paternité me permettent d’envisager autrement l’apparente insouciance de Keating, le caractère obtus des parents de Neil et le discours rétrograde des doyens de l’établissement. Un peu comme le raz-de-marée qu’avait été le Grand Bleu, grand plaidoyer pour l’immaturité (en gros, heureux les simples d’esprit) qui avait séduit tant de jeunes : le réalisateur sème le trouble, force le trait, appuie là où ça fait mal. Oui, le père de Neil Perry est injuste, mais doit-on pour autant rejeter en bloc le sacrifice de toute une vie pour le bien-être d’un fils ébloui par une autre voie, plus brillante mais combien plus illusoire ?
La société n’est pas l’ennemi, il est nécessaire d’en accepter certaines règles, quitte à, plus tard, avec l’éducation et la connaissance nécessaires, pouvoir les détourner à son profit. Keating ne prône ni l’anarchie ni l’abandon des valeurs, il choisit juste une autre façon d’émanciper ces gosses, leur laissant croire qu’ils ont tout pouvoir sur leur propre vie. Lui-même se rend compte, mais trop tard, qu’il était allé trop loin en les berçant d’illusions. N’empêche, ses méthodes ont interpellé des adolescents qui auraient peut-être été perdus pour le système. Assagis, les copains du Cercle des Poètes Disparus seront certainement de grands leaders. Et Keating leur aura au moins appris le goût de la Culture, l’amour de l’Art, la puissance évocatrice d’un vers, d’une strophe, d’un passage romanesque, son pouvoir bien réel sur la psyché humaine – et sur les femmes. Leur rébellion n’était pas inévitable, il ne s’agit que d’une erreur d’interprétation, d’un glissement désordonné.
Ne nous y trompons pas : le film ne rejette pas en bloc les traditions. Si Keating et le doyen sont deux faces d’une même pièce, ils montrent à leur façon qu’ils se préoccupent de l’avenir de la jeunesse. Le premier a pour lui un discours novateur, porteur d’espoir – et peut se targuer d’engendrer l’enthousiasme. Mais il lui faut faire attention aux dérives chez des êtres mal dégrossis, capables de s’enflammer sur la simple évocation d’un jeu aventureux. Je retiens ce dialogue à la fin, entre Keating et un collègue plus compréhensif que les autres, qui lui fait comprendre combien il avait raison – et tort à la fois.
I thought the purpose of education was to learn to think for yourself.
Pourtant, au-delà de cette réflexion indispensable, je préfère voir dans le très beau film de Peter Weir (servi par une somptueuse musique de Maurice Jarre) un remarquable roman d'initiation : la manière dont Keating "révèle" le jeune Todd et dont ce dernier le lui rend à la fin est extrêmement émouvante. Cette reconnaissance de l’élève envers son maître, envers celui qui enfin l’a "éveillé", suscite des élans bouleversants, d’autant que, il faut bien l’avouer, les jeunes acteurs sont remarquables - et prometteurs. Le spectateur qui cède à la facilité, allant jusqu’à conspuer l’incompréhension des parents de Neil, ne peut qu’être ému par cette chronique parfois cruelle, aux fulgurances d’une sauvage beauté. A l’instar d’Amadeus qui transcende le discours musical, sublimant l’acte de composition (donc de création artistique) en une osmose totale entre l’artiste et l’œuvre, le Cercle des poètes disparus transcende la littérature et lui offre certaines de ses plus belles pages cinématographiques.
Titre original |
Dead Poets Society |
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Réalisation |
Peter Weir |
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Date de sortie |
17 janvier 1990 avec Warner |
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Scénario |
Tom Schulman |
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Distribution |
Robin Williams, Ethan Hawke & Robert Sean Leonard |
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Photographie |
John Seale |
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Musique |
Maurice Jarre |
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Support & durée |
DVD Warner (2002) zone B, 1.85:1 / 94 min |
Synopsis : En 1959 aux Etas-Unis, l'Académie Welton conserve la rigueur des internats britanniques. Mais les traditions sont secouées par un nouveau professeur libéral et plein de fantaisie. En enseignant la poésie, il éveille l'esprit critique et le goût de la liberté. A son instigation, Neil et ses amis recréent le "Cercle des poètes disparus" : de secrètes réunions nocturnes dans une grotte, où ils lisent des vers et échangent des idées.
Now in this class you can either call me Mr. Keating, or if you're slightly more daring, O Captain my Captain.
I SOUND MY BARBARIC YAWP OVER THE ROOFTOPS OF THE WORLD.
You don't understand, Neil ! You have opportunities that I never even dreamt of, and I am not going to let you waste them !
For the first time in my life, I know what I want to do ! And for the first time, I'm going to DO IT ! Whether my father wants me to or not ! Carpe diem !
Carpe, carpe diem, seize the day boys, make your lives extraordinary.
[critique] Spielberg #14 : Hook ou la Revanche du capitaine Crochet - l'Ecran Miroir
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