Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Un excellent spectacle, d’une facture étonnamment maîtrisée. Mais y prendre plaisir ne fut pas chose si évidente. En tout cas, au départ. Que l’introduction des personnages principaux se fasse à brûle-pourpoint n’est pas pour me déplaire : à partir du moment où c’est bien écrit, le spectateur doit y trouver son compte et c’est autant de temps en plus pour se consacrer à l’essentiel du propos. Le problème est, qu’à l’instar d’un Batman Begins, on court ainsi le risque que les ellipses nécessaires pour lancer l’action soient comblées par des dialogues plus ou moins éclairés, un discours magistral à vocation pédagogique (façon professeur Xavier dans X-Men, le premier film) ou un procédé du genre voix off explicative. Chose qui m’insupporte : autant elle dénigre au spectateur la capacité à déterminer seul les circonstances qui ont amené les événements auxquels il assiste, qu’elles illustrent l’incompétence du metteur en scène pour introduire celles-ci avec autre chose que de gros sabots ou un parcours totalement balisé.
Et ici, si la première demi-heure apparaissait plutôt verbeuse au cinéma, consistant en un verbiage volontaire et parfois vain, elle est devenue hier plus lumineuse et concrète. Il y avait de quoi avoir peur : si peu d’action, tant de paroles... Cependant, les répliques spontanées et acerbes d’Evey et les tirades toutes en allitérations en V permettaient de se tirer de ce piège sans se perdre au passage, pour peu qu’on goûte ces fredaines. D’autant que la bande son, détonante, était en parfaite adéquation avec des images léchées dans une ambiance très sombre. En outre, et très vite, les citations et références aux nombreuses œuvres-clefs de la littérature d’anticipation venaient parsemer le sujet. Pas de doute : il y avait de la matière. Malgré un rythme languissant, on ne pouvait qu’espérer un développement riche et passionnant, une montée en puissance délectable. Vu que la séance en salles m’avait déjà laissé un souvenir ému et plus que positif, la seconde en famille et dans mon salon s’avérait sous les meilleurs auspices.
D’intriguant, le spectacle devenait d’ailleurs plus beau à regarder, et assez jouissif à suivre. Qu’on s’amuse aux multiples clins d’œil à 1984, avec une forte propension dans la première heure à cadrer très serré sur les visages (c’est bien simple, à l’image du peuple britannique, on a un véritable sentiment d’oppression, on est saisi littéralement à la gorge et il est remarquable de voir que seuls V dans ses opérations de destruction et, dans une moindre mesure, la télé, petite lucarne sur un monde incertain, permettent à chacun de s’évader) ou qu’on s’étonne du choix des œuvres artistiques interdites emmagasinées par V dans son antre (entre la toile de Van Eyck, les Epoux Arnolfini, une représentation du martyre de Saint-Sébastien – la version de Mantegna de 1470 à ce qu’il m’a semblé - et un splendide juke-box – Wurlitzer ?), on se prend à suivre avec de plus en plus d’attention l’enquête à rebours des forces de police et la romance de plus en plus évidente entre nos héros. Bref, alors que je reprochais auparavant un manque de folie, ou de passion, dans la narration des événements, j’étais cette fois complètement emballé.
Bien sûr, je regrette toujours que le doublage français (malgré l’excellence de la voix de Feodor Atkine pour V) ait un peu parasité le suspense au moment de l’interrogatoire d’Evey, mais ça ne m’a pas empêché d’attendre le dénouement avec une certaine fébrilité. D’autant que je n’ignorais pas que tous les détails ne seraient pas dévoilés, tous les mystères ne seraient pas résolus, mais qu’on en aurait suffisamment pour notre argent.
Et puis quel bonheur de trouver des parallèles (voulus ou pas) avec des histoires telles que l’arc Proteus des X-Men ou encore les révélations faites sur l’Arme X, toujours chez Marvel (Wolverine qui ne serait que le « dixième » élément d’un programme ambitieux de création de surhommes) ! Enfin, même si je pense qu’il ne fera pas l’unanimité, le personnage de Dietrich, joué par le très bon Stephen Fry, introduit une note plaisante, presque divertissante, dans la sombre vacuité du quotidien. Sans aller jusqu’à mener un combat, sans afficher clairement ses intentions, il pousse le plus loin qu’il pourra le concept même de liberté dans sa démarche artistique : pour nous qui sommes nourris de caricatures, nous comprenons à quel point le rire peut être salvateur (et dans tous les sens du terme). Après tout, comme le dit V :
Ideas are bulletproof.
Rien d’autre à dire sur le finale, attendu mais d’une intensité rare, ni même sur les très rares combats, quoique la première altercation avec les Fingermen me soit apparue brouillonne ; le dernier, en revanche, est fondé sur une chorégraphie implacable et d’une esthétique sublime.
J’ai beaucoup aimé au cinéma, et adoré en DVD. Je ne crierai pas au chef-d’œuvre - d’autres s’en chargeront peut-être - et ne chercherai pas les pièges de l’adaptation du travail monumental d’Alan Moore (1983) – d’autres l’ont déjà fait également ; je dirai simplement que je suis ravi de voir que, tout en produisant un spectacle de qualité, servi par des comédiens brillants, l’on parvienne à dispenser quelques réflexions moins vides de sens qu’habituellement, à faire de la SF qui serait autre chose qu’un prétexte à utiliser des décors vertigineux ou des effets spéciaux époustouflants, ou qu’une parodie de ce qui a été fait naguère, comme si le filon « film de science-fiction » était considéré comme épuisé.
Je me suis régalé.
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Titre original |
V for Vendetta |
Réalisation |
James McTeigue |
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Date de sortie |
19 avril 2006 avec la Warner Bros. |
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Scénario |
Lana & Andy Wachowski d'après l'oeuvre d'Alan Moore |
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Distribution |
Natalie Portman, Hugo Weaving, Stephen Rea, Stephen Fry & John Hurt |
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Photographie |
Adrian Biddle |
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Musique |
Dario Marianelli |
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Support & durée |
DVD Warner (2006) édition spéciale zone 2 en 2.35:1/ 130 min |
Synopsis : Dans un futur proche, un Royaume-Uni sous le joug d’un régime dictatorial. Evey se hâte dans les rues pour son rendez-vous, mais elle a dépassé l’heure du couvre-feu. La voilà alpaguée par les hommes du Doigt, la brigade d’intervention étatique. Ils ne semblent pas vouloir écouter ses excuses et s’apprêtent à la violenter lorsque surgit un curieux personnage, masqué et encapé, qui s’exprime de façon énigmatique mais s’empresse de les mettre hors d’état de nuire avant d’entraîner Evey sur les toits afin d’assister à un concert très particulier : l’explosion d’un bâtiment public sous les arias d’un air de Tchaïkovski. Il s’agit de V qui a décidé de s’en prendre, à l’instar de son modèle d’antan (le conjuré Guy Fawkes, arrêté alors qu’il tentait, lors de la Conspiration des Poudres, de faire sauter le Parlement), aux institutions manipulatrices. A ses côtés, Evey découvrira malgré elle les honteux secrets des origines du pouvoir en place et commencera une course-poursuite entre V et son programme révolutionnaire et les hommes qui le traquent.
Ideas are bulletproof.