Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Second épisode de la franchise, toujours réalisé par Steven Spielberg, Le Monde Perdu Jurassic Park délaisse l'émerveillement constant du premier opus et son double niveau de lecture au profit d'une aventure trépidante plus impertinente et nourrie de références. Une oeuvre mineure dans la filmographie de ce réalisateur de génie, qui fait cependant preuve d'un incomparable savoir-faire en matière de divertissement. Parfois maladroit, surtout efficace.
Le premier Jurassic Park avait créé la surprise en 1993 avec son double niveau de lecture, plaçant directement les spectateurs dans le rôle des visiteurs de cet étrange parc d'attractions - l'on découvrait les fameuses bestioles en partageant le même enthousiasme que les personnages principaux - et mettant en parallèle l'évolution des petits génies de la génétique derrières leur paillasse à celle des formidables artistes du film derrières leurs ordinateurs. Steven Spielberg se voyait un peu comme une sorte de John Hammond du cinéma, et il n'était d'ailleurs pas anodin qu'il choisisse un autre réalisateur pour interpréter le rôle du milliardaire excentrique (regardez la scène du brachiosaure et focalisez vous sur la symbolique des répliques : « Il y est arrivé, ce vieux dégénéré !», « Comment avez-vous fait ? », « Je vais vous montrer » ...).
Pour sa suite, le réalisateur ne pouvait de toute évidence pas réitérer l'exploit ni impliquer le public de la même manière : l'on commençait déjà à être habitué aux images de synthèse et par conséquent il aurait été plus difficile de jouer sur l'émerveillement instantané que procuraient les apparitions des dinosaures. Conscient que les attentes des spectateurs étaient désormais différentes pour ce second épisode, Steven Spielberg décida de laisser de côté la naïveté qui avait fait le charme de son premier Jurassic Park, au profit d'un spectacle beaucoup plus direct et trépidant, mais à la générosité souvent trop envahissante. Et pourquoi pas en faire une aventure nourrie de références, bourrée de clins d'oeil à d'autres récits du même genre, à commencer par son titre lui-même, Le Monde Perdu Jurassic Park, renvoyant au roman de Sir Arthur Conan Doyle ? On pourrait presque penser que le metteur en scène, ayant apparemment accepté de faire cette suite pour pouvoir obtenir le feu vert pour Amistad, a voulu avant tout se faire plaisir en inscrivant son histoire dans un contexte volontairement moins « réaliste » et davantage « fictionnel ». Donc faire un film encore plus propice aux rebondissements et susceptible de fonctionner comme un serial, grande source d'inspiration de l'autre saga culte de Spielberg -Indiana Jones - et dont Le Monde Perdu pourrait se rapprocher d'un Temple Maudit pour sa relative noirceur et son impertinence (c'est clairement une réalisation de sale gosse un peu sadique par instants).
Moins verbeux que le premier épisode, Le Monde Perdu Jurassic Park fait ainsi la part belle à l'aventure et offre un divertissement enchaînant les péripéties les plus exaltantes. Ce que le changement de chef op, Janusz Kaminski remplaçant Dean Cundey, pourrait confirmer, le film gagnant au passage des tons beaucoup plus chaleureux et esthétisants ainsi qu'un aspect organique plus prégnant. S'il ne tente plus d'impliquer les spectateurs de la même manière, Steven Spielberg sait qu'il faudra retenir leur attention en les « gavant » de scènes toutes plus délirantes les unes que les autres. Qu'il s'agisse d'un camion suspendu au dessus d'une falaise, de l'attaque de deux tyrannosaures furieux dans le camp de base des héros ou bien encore de la poursuite dans les hautes herbes avec les vélociraptors, les scènes démontrant la maestria du réalisateur se succèdent sans ménager de répit pour les spectateurs. L'on voulait du divertissement ? Et bien le papa de ET nous en donne à foison ! Quitte, donc, à en faire parfois trop. Car certaines idées sont vraiment ridicules ou mal intégrées au scénario. On pense notamment - bien évidemment - à la démonstration de gymnastique de la fille de Ian Malcolm, ou bien encore au traitement de l'arrivée du Tyrannosaure en ville qui semble complètement improvisée (ce qui n'est pas le cas) et tellement bourrée de gags « coup de coude » (le scénariste se faisant bouffer, les fausses affiches parodiques du magasin, le japonais faisant une référence à Godzilla, le nom du bateau SS Venture clin d'oeil à King Kong, l'apparition du réalisateur dans le reflet de l'image TV) que l'on sort à chaque fois du film. Ajoutons à ces quelques réserves des maladresses beaucoup plus gênantes, comme le fait qu'il est techniquement impossible pour le dinosaure de commettre un tel carnage sur le bateau lorsqu'il arrive à San Diego, et vous comprendrez pourquoi le film est souvent considéré comme l'un des moins bons Spielberg, ou l'une des oeuvres mineures de sa filmographie.
Pourtant, il reste toujours aussi divertissant et immédiatement jubilatoire, et avec le recul, bien plus intéressant à regarder. Surtout parce qu'il est révélateur d'un changement dans la carrière du réalisateur, qui portera par la suite sur le monde un regard un peu plus lucide, et beaucoup moins naïf (Minority Report, AI, Munich, ou encore les « légers » en apparence Le Terminal et Catch Me If You Can). Il le disait lui-même à la sortie du film : il se sent plus proche des chasseurs (cyniques, voire opportunistes) que des héros écolos, qu'il fait passer pour irresponsables tout du long. Cette fois-ci, si l'on voulait pousser un peu la surinterprétation, on pourrait affirmer que Spielberg ne parle non plus de l'avenir du cinéma en lui-même (Jurassic Park et l'adaptation/évolution des outils mis à disposition des techniciens et réalisateurs), mais bien de sa propre vision du métier directement (avec tout le paradoxe de faire une suite dite « commerciale » pour pouvoir mener à bien des projets plus personnels). Spielberg s'est donc, à l'instar de ce qu'il expliquait dès le premier film de sa franchise, adapté. Il n'est par ailleurs pas étonnant de constater que les principaux personnages sont peu attachants, en particuliers ceux de Julianne Moore et Vince Vaughn, deux scientifiques écolos inconscients de leurs actes. Quant à Jeff Goldblum, il retrouve son rôle de "chaoticien" excentrique, devenant le référant d'un public déjà conquis mais ne faisant finalement que surligner et expliciter par le dialogue ce qu'il se passe à l'écran, traversant le récit comme un observateur critique et décalé avec ce qu'il faut de recul cynique pour faire le show (il est d'ailleurs montré par deux fois comme la véritable attraction/monstre de foire : le premier plan dans le métro et son arrivée sous la chute d'eau pour secourir ses compagnons). Mais il est difficile dans ces conditions de réellement éprouver de l'empathie pour des « héros » qui n'en sont pas vraiment. Et si vous ajoutez également une violence plus « graphique », voire comique, vous comprendrez pourquoi le film a pu faire grincer des dents à sa sortie.
Néanmoins, le principal attrait du film restant sa représentation crédible des dinosaures et de leurs comportements, l'on peut dire que de ce point de vue la réussite est totale. Car le véritable fil conducteur de toute la saga se trouve bien ici : nous en apprendre de plus en plus sur ces animaux mystérieux, au point de ne plus les considérer comme des créatures de foire ou des monstres terrifiants, mais bien, justement comme des animaux. Le premier film nous les dévoilait dans toute leur imprévisibilité (ils ne se laissent pas approcher facilement et ne respectent pas les horaires des parcs d'attraction, pour paraphraser Ian Malcolm), le second nous les montre sous un nouveau jour, dans leur environnement naturel (dérangés par les hommes, et non plus l'inverse) et dotés non seulement d'intelligence mais aussi de sociabilité (ce qui sera envisagé dans Jurassic Park 3 avec les vélociraptors communiquant « réellement » entre eux et développé également dans Jurassic World avec le fait qu'ils aient pu être domptés).
Dommage que l'émerveillement du premier film ait laissé sa place à un spectacle un peu plus bourrin et moins contemplatif. Toutefois le savoir-faire de Steven Spielberg emporte l'adhésion, d'autant qu'il excelle dans l'art de jouer avec les attentes d'un public déjà « connaisseur » afin de ménager sa dose de suspens (à ce titre, l'idée de faire se confronter deux paléontologues aux théories divergentes à propos des délimitations des territoires des prédateurs carnivores est clairement intelligente). Et ce Monde Perdu Jurassic Park, quelque peu indigeste parfois, reste toujours aussi efficace.
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Titre original |
The Lost |
Mise en scène |
Steven Spielberg |
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Date de sortie |
22/10/1997 avec Universal |
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Scénario |
David Koepp & Michael Crichton |
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Distribution |
Jeff Goldblum, Julianne Moore, Vince Vaughn, Pete Postlethwaite, Peter Stormare, Richard Attenborough & Vanessa Lee Chester |
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Photographie |
Janusz Kaminski |
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Musique |
John Williams |
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Support & durée |
Blu-ray Universal (2013) en 1.85 : 1 / 129 minutes |
Synopsis : Quatre ans après le terrible fiasco de son Jurassic Park, le milliardaire John Hammond rappelle le Dr Ian Malcolm pour l'informer de son nouveau projet. Sur une île déserte, voisine du parc, vivent en liberté des centaines de dinosaures de toutes tailles et de toutes espèces. Ce sont des descendants des animaux clônes en laboratoire. D'abord réticent, Ian se décide à rejoindre le docteur quand il apprend que sa fiancée fait partie de l'expédition scientifique. Il ignore qu'une autre expédition qui n'a pas les mêmes buts est également en route.
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