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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

[critique] Sin City : copie conforme

Sin City, entre déception et enthousiasme, où sous un apparat formidable se révèle un spectacle souvent vain, ne sachant où aller entre l'hommage et le calque, aussi pétaradant et fugace que des feux de Bengale.


Jamais niais, mais souvent prévisible, Sin City s'apparente à une mascarade et je me demande si la production, en survendant son film par l'exposition d'un casting faramineux et d'une volonté irascible de ne pas sortir des schémas édictés par la BD culte, ne cherchait pas à masquer les faiblesses d'un métrage un peu bancal.


L'œuvre de Miller est attrayante, par moments puissante et sans trop de compromissions. A l'écran, elle paraît magnifiée : Rodriguez (au four et au moulin dans le casting - au moins, il est sûr d'être bien payé) a su transcrire des séquences entière et y apporter un soin méticuleux, proche de la reconstitution historique. Les gros plans des gueules aux mâchoires carrées et aux yeux perçants de nos lascars sont très évocateurs. Les filles, à l'évidence, ont été choisies pour leurs mensurations : le plan américain leur va comme un gant (de velours). L'ambiance répond à quelques codes du film noir, parfois jusqu'à la caricature (les flingues, les bagnoles - dans lesquelles une Mercedes et un coupé Ferrari viennent toutefois mettre leur grain de sel - et surtout les imperméables dont Marv est friand). A Sin City, le soleil brille aussi souvent que dans Blade Runner - mais au moins, parfois, il neige.


C'est très graphique. Tout y est graphique. C'est beau, impressionnant même. Mais quand l'effet s'estompe, reste un goût un peu amer : on ressent une BD, pas un film. Seule la partition musicale vient troubler l'impact émotionnel, en dehors de quelques détonations éparses. On y voit comme à travers une vitre mal essuyée : l'intensité dramatique, pourtant patente, y est filtrée, voire dissoute. Les images ne choquent, ni n'émeuvent. Hartigan enfermé malgré lui, Marv impuissant et jurant de se venger : on aimerait compatir, on ne fait que s'ébaubir.


Sin City est essentiellement visuel. Pourtant, alors qu'on entame le dernier tiers du film, le spectateur attentif relève un passage presque insensible vers un autre métrage, plus "cinéma" : l'humour transparaît, les situations deviennent cocasses, perdent cette lourdeur caractéristique tout en gardant leur gravité. On se dit qu'on entre dans le vif du sujet. C'est que, sans être ennuyeux, Sin City est long : on se prend à espérer un finale jubilatoire, rythmé et particulièrement osé. Mais non, le soufflé retombe, et on repénètre dans les planches de comics prédécoupées.  J’appris plus tard qu’il s’agissait de la séquence réalisée par Tarantino. Tiens donc…

Cette ville singulière, hors du temps, des juridictions et du monde, est un creuset intéressant, un lieu dans lequel Miller a pu s'épancher en y insufflant certains aspects de "son" Gotham City - moins gothique, mais plus pervers. On y passe de la pénombre à l'ombre plus sombre encore : il ne semble pas que le salut y ait droit de cité. Quand on apprend que c'est un homme de Dieu qui y fait la loi, on comprend l'idée jouissive de l'auteur. Ca pourrait être passionnant, et ça l'est sans doute sur le papier. Le film a au moins le mérite de rendre à Miller ce qui est à César : le génie est en lui.


Le mettre sur pellicule était une gageure ; si ça se trouve, c'est le résultat d'un pari entre potes. Un pari qui a coûté cher. Ca pourrait être un film de fin d'études, la démonstration d'une thèse sur le rapprochement de ces deux arts du XXe siècle. Ca pourrait être révolutionnaire. Je n'y ai vu qu'un spectacle agréable et chatoyant – et un peu creux. Loin de l'œuvre majeure qu'elle aurait pu être.

Demeure le principe en lui-même du tournage intégral sur fond vert : bien que, d'un
point de vue cinéma, il n'ait pas donné les effets escomptés, il apparaît plein de promesses. Le 300 de Zack Snyder s'était déjà engouffré dans la brèche, et d'autres productions  annonçaient, pour le meilleur et poule pire, une ère nouvelle dans le 7e Art.

 

 

 

sin-city.jpg

Titre original

Sin City

Réalisation 

Robert Rodriguez, Quentin Tarantino & Frank Miller

Date de sortie

1er juin 2005 avec Pan Européenne Editions

Scénario 

Robert Rodriguez & Frank Miller d'après son oeuvre

Distribution 

Bruce Willis, Mickey Rourke, Benicio Del Toro, Joh Hartnett & Jessica Alba

Photographie

Robert Rodriguez

Musique

Robert Rodriguez, Graeme Revell & John Debney

Support & durée

35 mm 1.85 :1 / 123 min

 

Synopsis : Dans la ville du péché, Hartigan s'est juré de protéger Nancy, une strip-teaseuse qui l'a fait craquer. Marv part venger la mort de son unique véritable amour, Goldie.

Dwight est l'amant secret de Shellie. Il passe ses nuits à protéger Gail et les filles des bas quartiers de Jackie Boy, un flic pourri, violent et incontrôlable.

Certains ont soif de vengeance, d'autres recherchent leur salut

 

 

[critique] Sin City : copie conforme
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H
tres interessants ces commentaires ça m'a donné envie de revoir ce film notamment le nouveau montage
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V
Bon les gars, je vous laisse, je bosse (exceptionnellement) demain. Je vais de ce pas lire quelques comics en retard (la nuit, c'est mieux) et préparer quelques balles en argent au cas où le Neault viendrait hanter mes rêves obscurs, cherchant à se repaître de sombres pensées. Merci pour ces entretiens !
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N
Il faudrait que je le relise, ça va faire 9 ans que je l'ai lu, je devais être en seconde je crois, je pense que je serai à même de mieux le comprendre.
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V
Pour Blade Runner, aucun problème, c'était un texte mineur de Dick (mais comme toujours plein de bonnes choses) : Scott l'a tout simplement sublimé. Je te comprends aussi pour Starship Troopers, qui est un très grand roman de SF, créé par un des écrivains les plus talentueux, mais dont le passé militaire et certaines assertions ont laissé planer un doute évident sur les véritables motivations (de l'auteur qui a par ailleurs écrit En terre étrangère !). C'est simple, Heinlein a trop vite été catalogué facho, alors qu'il était sincère dans son raisonnement, dénonçant les cruautés irrationnelles des conflits ethniques tout en mettant en avant certaines valeurs universelles - n'oublions pas que dans son univers, les femmes sont pilotes et ont donc un statut plus élevé que la piétaille des fantassins mâles qui se fait hacher menu ! Verhoeven a choisi des voies parallèles pour traiter des mêmes sujets, et s'est également vu étiqueter un peu trop rapidement. Les deux oeuvres sont des réussites.
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N
"Houuuhouuuuuuuuuuuu"entendit-on alors que, lugubrement, un Neault sortit du bois pour faire entendre à la lune sa désapprobation avant de, très vite, regagner les ténèbres et la compagnie des Loups.;o)"Eh, merde, putain d'écureuil qui chie partout, j'ai encore marché dedans, je vous avais dit de le buter bordel !!"entendirent les rares oreilles qui traînaient encore dans les profondeurs de la forêt à cette heure tardive."Non, mais, merde, c'est vrai, je passe pour quoi moi après ?"Et les récriminations neaultesques se firent moins tonitruantes, puis, plus douces, pour enfin, comme si jamais elles n'avaient existé, se perdre dans la nuit et la rassurante obscurité de ceux qui ronchonnent en évitant les merdes d'écureuils. 
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N
Ah et puis vite fait dans le genre réinterprétation totale qui ont surpassé les livres je citerai Blade runner et starship troopers (surtout celui ci, je ne pense d'ailleurs pas avoir compris totalement le bouquin, si je me souviens bien c'était très ambigu) ....
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N
Je croyais que lorsque tu parlais d'H P sur le commentaire de la guerre des mondes c'était à cause de ça ! :-)Pour faire court et en vrac je dirais:X2 a été pour moi un film vraiment jouissif à ma première vision. Maintenant je m'ennui un peu devant. Les personnages ont du charisme, le film ne manque pas d'humour, mais ou sont les grosses scènes de baston en équipe ?Pour les différentes versions de Batman (live ou DA), je les ai toujours trouvés géniales (encore plus les DA, Bruce Timm a fait un bien fou à la franchise). Tim Burton en a fait ses propres versions (les méchants passant au premier plan, et l'extraordinaire Keaton/Wayne devenant un schizo flippant) et je les compte parmis les meilleurs films de sa filmo.Quand aux SDA, malgré leur défauts évidents, ils sont les adaptations ultimes, je rêvais de voir ça à l'écran. Je connaissais bien les bouquins avant pour les avoir lu 4 fois, et j'en viens à préférer les films au livre. Je ne suis pas du genre à crier au scandale lorsque le matériau d'origine est bien remodelé.
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V
Amusant ! Je viens justement d'évoquer ces deux premiers HP dans une réponse à un de tes commentaires ! Effectivement, ils sont à mon sens ce qu'il y a de pire dans l'adaptation : une copie conforme édulcorée afin de plaire au plus grand nombre. Pas d'ellipse hasardeuse, pas de second degré, aucune relecture, déviance, réinterprétation, un jeu d'acteurs calibré et des décors qui en jettent. Sirupeux. Poussif. Lénifiant. Berk !Regarde plutôt X2 (qui n'est pas le meilleur exemple, mais qui aura le don de faire sortir le loup Neault du bois) : style affirmé, redistribution des personnages (certains sont rajeunis, d'autes disparaissent), réécriture des origines, choix d'une exposition longue - dans le premier film - et mise en place d'un scénario béton où le profane trouvera autant à boire que le fan qui se repaît des clins d'oeils ; Synger et son équipe réinventent les X-Men au point d'influencer par feedback la série elle-même. La (formidable) série animée de Timm sur Batman a eu également ces vertus (des villains créés pour le dessin animé se sont retrouvés incorporés dans le bestiaire des méchants officiels) - Batman est d'ailleurs sans doute le personnage le plus souvent réécrit, parfois avec des transformations radicales, et souvent avec bonheur tant les artistes qui s'y sont adonné l'ont fait avec talent et témérité. On peut dire ce qu'on veut de Peter Jackson, on pourra reprocher certains parti pris avec la trilogie sacrée, mais ses films sont une réussite totale (je préfère la version filmée des Deux Tours au roman - ah sacrilège ! entends-je d'ici hurler une amie farouche disciple de Tolkien).
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N
Je vais faire un peu dans le HS facile mais il n'y a qu'à comparer les deux premiers Harry Potter qui sont des copies des livres, aux deux derniers qui sont des films quasiment d'auteur (le mot est très grand au risque de pas être crédible) bien plus intéressants à mon avis.
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V
Oui, oui, mais non. ^ ^Le problème tient autant au fond qu'à la forme. D'abord parce qu'à vouloir adapter sur le format d'un film, il a choisi d'amalgamer avec +/- de bonheur des épisodes distincts, en cherchant un fil commun assez artificiel. Ce n'est pas rédhibitoire en soi, c'est juste un peu juste aux entournures. D'autant que j'aime beaucoup Hartigan, parangon post-moderne du privé des films noirs. Mais là où je décroche, c'est dans le parti-pris : transposer plutôt qu'adapter. Le cinéma est un art en soi, tout comme la BD (comic book ou graphic novel même) : on ne fait pas un film comme on fait une BD, même en rajoutant une (bonne) bande son. Les meilleures adaptations sont celles qui prennent un risque en repensant l'oeuvre originelle au travers des nouveaux codes imposés, sans chercher à la trahir. Exercice périlleux, car on peut y perdre au passage le fan de l'oeuvre première et le profane auquel manquent certaines clefs de compréhension. Ici, à trop respecter SIn City premier du nom, on livre un produit sans saveur, et pourtant totalement fascinant, ne serait-ce que par les perspectives offertes. J'attendais le choc, l'émotion brute, le coup aux tripes, je n'ai eu qu'un éblouissement suivi d'une lente amertume. Cela dit, il paraît que le remontage proposé par le dernier coffret DVD a rallié les suffrages des plus réfractaires. L'expérience est donc à tenter.Merci vous deux pour vos propos.
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