Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Au Festival de Dinard en 2019, le film britannique Red Joan a suscité l'intérêt, non seulement parce qu'il comportait en tête d'affiche la présence de Dame Judi Dench (Casino Royale, J. Edgar) mais également par son sujet, très sensible, et le savoir-faire de son réalisateur, Trevor Nunn, cinéaste rare qui était jusque là plutôt porté sur l'adaptation à l'écran de pièces de Shakespeare.
Sous-titré en France " Au service secret de Staline", ce film d'espionnage s'appuie sur une fascinante histoire vraie, celle de Melita Norwood, secrétaire scientifique britannique dans une entreprise spécialisée dans la recherche sur les matériaux non-ferreux, et qui pendant des années fournit au KGB des données précieuses qui permettront aux Soviétiques d'acquérir plus vite que prévu la maîtrise de l'arme nucléaire. Une savoureuse et troublante histoire qui servit de support à Jennie Rooney pour son roman.
Le scénario de Lindsay Shapiro repose donc sur ce roman et nous présente une gentille dame âgée profitant placidement de sa retraite dans un petite maison du Royaume-Uni : Joan Stanley vit seule désormais, mais son fils avocat passe régulièrement la voir. Or, ce matin, des agents d'une Special Branch du MI5 viennent brutalement la tirer de son existence tranquille pour lui faire subir un interrogatoire : en effet, suite à la mort d'un haut-fonctionnaire, son nom est apparu sur une liste de personnes soupçonnées de haute trahison. Joan est donc emmenée puis questionnée, et nous allons pouvoir suivre la jeune Joan, au gré des souvenirs de la vieille dame, prendre vie et corps à la fin des années 30, où deux menaces pour l'équilibre des régimes démocratiques se concrétisaient : le nazisme et le communisme.
A l'aube de la Seconde Guerre mondiale, Joan est une fille brillante quoique naïve, attirée par les sciences concrètes, la physique et la technologie, dédaignant les frivolités auxquelles s'adonnent les autres de son âge. Par l'intermédiaire de la pétillante Sonya, qui s'introduit un soir dans sa chambre d'étudiante afin de ne pas se faire choper par la surveillante, Joan va faire la connaissance d'un underground qu'elle ignorait, un réseau de sympathisants communistes mené par le captivant Leo, Juif allemand aux idées progressistes dont le charme opérera sans coup férir. Séduite autant par ses beaux yeux que par les perspectives d'un équilibre des futures grandes puissances, Joan se retrouvera malgré elle embarquée dans une opération visant à transmettre les données du laboratoire dans laquelle elle a été engagée (par Max, un professeur qui n'est pas insensible à sa beauté innocente) à des contacts agissant pour le KGB. Réticente d'abord à l'idée de trahir son pays, elle succombera peu à peu à celle de contribuer à instaurer une paix fragile mains nécessaire fondée sur la balance des forces et la dissuasion. Et lorsque Hiroshima annoncera au monde entier l'avènement de l'ère atomique, sa décision sera prise.
Avec un tel matériau, Trevor Nunn avait de quoi construire un écheveau dense et sensible, abordant de front des questions cruciales intriquant déontologie, éthique et morale et l'on sent bien par moments que le but était d'être clair sur le message à faire passer. Ainsi, lorsque la Joan âgée est emmenée pour comparaître devant la Justice, sa conférence de presse fleure le passage obligé, face à une foule au départ hostile et sidérée par les révélations (Quelle honte, elle a trahi son pays !). Et si Dame Judi Dench demeure aussi magnétique dans ces séquences, celles-ci s'avèrent tout de même trop rares, l'essentiel se déroulant durant la Guerre, bien à l'écart des champs de bataille, avec une Sophie Cooksman qui fait ce qu'elle peut pour donner un peu d'intensité à un personnage ballotté par les événements, à l'esprit encore malléable et qui aura tendance à se réfugier derrière quelques beaux prétextes grandiloquents pour dissimuler ses passions délétères et empoisonnées. Et c'est bien davantage face à une jeune fille systématiquement victime (de sa crédulité, de son ignorance) que nous nous retrouvons, quand bien même le but final relevât de la philosophie la plus aguerrie. La réalisation déçoit du coup, peinant à faire palpiter une intrigue qui ne demandait que cela, dissolvant l'intensité émotionnelle entre les deux époques.
En association avec Historia et Histoire TV, l'éditeur l'Atelier d'images a programmé sa sortie en France (initialement prévue en septembre 2019) pour le 17 février 2020 en vidéo, immédiatement suivie par une mise à disposition en VOD.
Le DVD propose une image remarquablement équilibrée et détaillée qui mettra en valeur quelques secteurs de Londres et surtout les magnifiques bâtiments de Cambridge. La bande-son, discrète, négligera les effets directionnels pour privilégier le frontal. A noter en VO l'étonnante voix aiguë de Sophie Cookson qui forme un singulier contraste avec celle, grave et solennelle, de Judi Dench.
Titre original |
Red Joan |
Date de sortie en salles (Royaume-Uni) |
19 avril 2019 avec Lionsgate |
Date de sortie en vidéo |
17 février 2020 avec l’Atelier d’images |
Date de sortie en VOD |
20 février 2020 |
Photographie |
Zac Nicholson |
Musique |
George Fenton |
Support & durée |
DVD l’Atelier d’images (2020) zone 2 en 2.35 :1/101 min |