Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Le cinéma de science-fiction spatiale est régulièrement sur nos écrans. On a souvent l’impression d’avoir vu tout ce qui pouvait se faire. C’est à ce moment-là qu’arrive quelqu’un auquel on ne pensait pas, qui amène sa patte à un univers un peu trop balisé.
C’est un peu ce qui se passe avec James Gray et son Ad Astra.
Quand on regarde Ad Astra, il y a deux films en un. Celui que la 20th Century Fox et le public avaient envie de voir - et celui que l’on voit réellement. Les deux se rencontrent parfois. On remarquera une adhésion au rythme classique du blockbuster moderne avec une séquence d’introduction explosive suivie de quelques scènes remuantes à intervalle régulier. Et il faut reconnaître que pour coller au cahier des charges, James Gray fait remarquablement le boulot. Pour quelqu’un qui a avoué à l’époque de La nuit nous appartient détester l’approche méthodologique nécessaire pour faire des scènes d’action et faire très rarement appel à une seconde équipe, il a su admirablement embrasser toutes les techniques adéquates pour nous fournir des séquences très efficaces. L’action reste toujours lisible, la spatialisation des intervenants toujours claire. C’est du très bon travail mais qui garde malgré tout les traces de son auteur. On aura ainsi souvent droit à des plans assez longs permettant de bien se plonger dans l’action avec le renfort d’un mixage audio à la fois détonnant et malin dans son utilisation. Le film est donc un divertissement qui coche toutes les cases nécessaires, cependant il est bien plus encore. C’est ça qui fait sa singularité.
L’autre Ad Astra, celui auquel on fait face, c’est une odyssée stellaire. Bien que l’on suive le voyage à travers les planètes d’un homme, son voyage le plus important se fera à l’intérieur. Tout vient d’une remarque que s’était faite James Gray en voyant des interviews de vrais astronautes. Il a vu des sociopathes qui sont capables de prendre des décisions à haut risque en un instant mais sont incapables de fonctionner de façon normale avec les gens qui les entourent. C’est ce que touchait du doigt le First Man de Damien Chazelle qui est ici exploité de façon encore plus approfondie et métaphorique. Le réalisateur a réutilisé une structure bien connue depuis Apocalypse now, celle du Au cœur des ténèbres (Heart of darkness) de Joseph Conrad. Le but du récit est d’envoyer un personnage le plus loin possible pour qu’il se découvre lui-même au cours de ce trajet. Cela est amplifié par le fait que c’est à la poursuite de son père que part le héros. Le film, dans sa façon de traiter l’humanité ou l’absence d’humanité de ses personnages, rejoint des préoccupations très actuelles.
Loin de son charisme cool dans Once upon a time… in Hollywood, Brad Pitt nous livre une prestation absolument remarquable d’intensité. Au moindre instant, on ressent cette tension, cette concentration du personnage qui est toujours fixé sur un objectif tel un sportif de haut-niveau. Ca peut paraître anti-spectaculaire mais, aidé par la mise en scène de James Gray, il fait passer tellement d’informations de façon non verbale que l’on ne peut être qu’épaté du résultat.
Au niveau visuel, James Gray a opté pour un choix malin : l’atemporalité. Le film n’est ni hyper-technologique, ni une version retro-futuriste au risque de mal vieillir dans les deux cas. Il a un look sobre et fonctionnel et se situe dans un futur vraisemblable. C’est une des grandes forces du métrage : on croit à ce que l’on voit. Cela permet de mettre de côté notre incrédulité et de se concentrer sur ce qui est essentiel dans le film.
Ad Astra est au final une expérience à vivre. Le film est d’une richesse folle à de nombreux niveau de lecture. Il faudra sans doute plusieurs visions pour en profiter au mieux. Son rythme posé permet de se recentrer sur soi et, tout en le regardant, de se questionner sur les thématiques du film. On passe néanmoins un très bon moment qui se retrouve à la croisée entre divertissement et art.
A une époque où l’on se plaint de l’uniformisation du cinéma, répondant à des formules et favorisant le minimum d’investissement intellectuel, certaines oeuvres comme celle-ci nous montrent qu’il est encore possible de créer, même au sein du système des studios. La vraie question reste toujours la même : est-ce que le public va suivre ? Ça paraît compliqué tellement la proposition de cinéma sort de la norme. On risque quand même de se retrouver face à un film qui atteindra une aura culte a posteriori.
Ne loupez pas la navette, soyez de ceux qui pourront dire : je l’ai vu en salle à sa sortie et c’était mémorable.
Titre original |
Ad Astra |
Date de sortie en salles |
18 septembre 2019 avec 20th Century Fox |
Date de sortie en vidéo |
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Photographie |
Hoyte Van Hoytema |
Musique |
Max Richter |
Support & durée |
35 mm en 2.39:1 / 124 min |