Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Bien que pas encore diffusée sur l’un de nos nombreux réseaux télévisés, la série américano-britannique Harlots, lancée sur ITV Encore puis sur Hulu en 2017, a rencontré un franc succès outre-Manche, si bien que, sitôt la seconde saison achevée, une troisième est déjà en cours de production avec un casting qui se pare de nouvelles vedettes, comme Liv Tyler. C’est Koba Films qui dispose pour l’Hexagone des droits de distribution en vidéo ; la saison 1 sera d’ailleurs commercialisée dès le 20 mars 2019.
Officiellement inspirée de l’ouvrage the Covent Garden Ladies d’Hallie Rubenhold, le feuilleton semble récupérer plusieurs des choix de production de Maison close, la série Canal + de 2010. Le cœur de l’histoire se situe ici un peu plus tôt dans la chronologie, à la fin du XVIIIe siècle dans un Londres en plein essor économique où la place de la femme est comptée : pour s’en sortir dans cet univers impitoyablement mâle, une femme n’avait d’autre choix que de faire un bon mariage… ou de se prostituer. Les bordels, s’ils n’ont pas vraiment pignon sur rue, sont monnaie courante, et les mères maquerelles redoublent d’audace et d’efforts pour tenter de se hausser un peu au-dessus de la mêlée, tout en essayant d’éviter les foudres d’une Justice aveugle (mais aisément corruptible) et en essuyant avec plus ou moins d’indifférence la vindicte des associations vertueuses militant pour la suppression de ces lieux de débauche.
En 1763, deux tenancières se distinguent plus particulièrement. L’une est Lydia Quigley, confortablement installée dans la haute-bourgeoisie géorgienne, dont la maison de plaisir est fréquentée par les aristocrates et les membres des plus hautes sphères de l’Etat. Bien que ne pratiquant pas autre chose que la prostitution, elle a pris soin d’accumuler suffisamment d’informations sur ses clients pour être à l’abri de la moindre descente de police, et elle a su adroitement détourner l’ire des prêcheuses contre ses adversaires en les manipulant tout aussi machiavéliquement. Son établissement propose raffinements et extases de toutes sortes dans un décor soigné, des dorures, des soieries et du taffetas dans les tons pastel avec de jeunes femmes parées comme des princesses.
Pourtant, malgré son côté intouchable, Madame Quigley s’inquiète de la notoriété grandissante de Margaret Wells, qui s’adjuge le titre de rivale officielle, quand bien même elle officierait dans les ruelles sordides de Soho. Margaret est en effet une de ses anciennes harlots, une fille de joie qu’elle a vu s’épanouir et qui l’a quittée pour élever ses deux filles, Charlotte et Lucy, deux beautés en devenir. A présent, Margaret Wells, dont le bordel devient de plus en plus couru (au point d’être mentionnée dans le Harris’s List, un véritable guide officiel des maisons de passe), est sur le point d’emménager à Greek Street : son aînée est maquée avec un futur membre du Parlement, sir George Howard, qui en a fait sa maîtresse officielle, succombant aux charmes de cette Charlotte qui passe pour la courtisane la plus séduisante de la City. Un contrat lui permet d’obtenir presque assez d’argent pour quitter son boui-boui et acquérir une nouvelle exposition qui lui ferait gagner une clientèle nettement plus dispendieuse (et respectable). Reste à caser sa cadette, Lucy, jeune oie blanche qui se méfie encore du mâle mais dont elle va mettre la vertu sur le marché, afin de la céder au plus offrant (dans une situation qui rappellera le début de Mémoires d’une geisha). Il n’y a guère d’autre choix pour Margaret qui ne peut pour l’heure lutter à armes égales avec la mère Quigley, redoutable mégère qui lui causera les pires maux. La Wells se retrouvera ainsi harcelée par une religieuse qui se charge de lui faire la pire des réputations ainsi que par le Juge Cunliffe qui lui fait comprendre qu’elle sera surveillée de près.
Reconstitution soignée, casting convaincant, Harlots a tout pour séduire, avec ce petit côté piquant qui accompagne toute histoire liée à ces dames de petite vertu qui savent procurer tout le plaisir que les hommes recherchent, ainsi que l’avoue un constable à son entremetteuse préférée : « Il y a des hommes qui viennent chercher le plaisir qu’ils n’ont pas chez eux, et ceux qui viennent y retrouver celui qu’ils n’ont plus. » En dehors de Nancy Birch, une veille amie de Margaret adepte de la flagellation, toutes les femmes, jeunes ou âgées, offrent une vue imprenable sur leur décolleté pigeonnant, engoncées dans des corsets improbables et sous des tonnes de froufrous. C’est l’époque où les nobles se poudraient et portaient perruques et où le summum du chic et de la débauche provenait automatiquement de France (d’où le succès de Marie-Louis d’Aubigne, une catin française logée chez la mère Quigley – dont l’interprète vous arrachera quelques sourires par sa prononciation hésitante de l’anglais).
Tournée en Angleterre, notamment à Kings Langley et quelques lieux précis dans Londres, la série offre un point de vue particulièrement acéré sur cette époque de bouleversements socio-économiques ; le connaisseur trouvera qu’on y aperçoit bien davantage de portions de rues que dans la pourtant excellente Penny Dreadful, ce qui contribue à une meilleure immersion. Samantha Morton est méconnaissable et vraiment impressionnante en Margaret Wells : exit la precog éthérée de Minority Report, elle excelle en matrone ambitieuse, protectrice envers ses ouailles mais capable de vendre les charmes de ses propres filles pour parvenir à ses fins. Lesley Manville est idéalement détestable dans la (vieille) peau poudrée de Madame Quigley et la voix de gorge de Jessica Brown Findlay a autant de magnétisme que les appas de Charlotte Wells. La bande son est aussi soignée que la photo et on aura l’agréable surprise de dénicher, outre la critique aiguë de la condition féminine, quelques sous-intrigues intéressantes sur le pouvoir, la corruption et l’esclavage : un groupe de puissants, nommé les Spartiates, ne trouve rien de mieux pour se divertir que de sacrifier de jeunes vierges pour le recrutement desquelles il a mis en place un réseau passant par le Juge et Madame Quigley. Qui se cache derrière ces Intouchables ? La perfide matrone se fera une joie de tenter de le découvrir afin de garantir sa sécurité.
Une série surprenante, haute en couleurs, dotée de personnages forts, de situations sordides et d’une petite étincelle d’espoir vite balayée sous la pression d’un Régime inéquitable, d’une Justice déviante et de potentats pervers.
Titre original |
Harlots – season 1 |
Créateurs |
Moira Bufini & Allison Newman |
Format |
1 saison de 8 épisodes de 45 min |
Date de 1e diffusion |
27 mars 2017 sur ITV Encore (Royaume-Uni) |
Date de 1e diffusion française |
inconnue |
Date de sortie en vidéo |
20 mars 2019 avec Koba Films |
Photographie |
Simon Archer, Hubert Taczanowski & Ollie Downey |
Musique |
Rael Jones |
Support & durée |
DVD Koba (2019) zone 2 en 1.78 :1 /360 min environ |