Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Avec Marseille, Kad Merad signe une belle déclaration d’amour à la cité phocéenne et à ses habitants, maladroite mais surtout sincère. Tout sauf moqueur, le film commence comme une comédie hilarante avant de peu à peu changer de ton, et de devenir réellement émouvant. Une œuvre touchante.
Etant marseillais, vous pouvez être certains que si Kad Merad avait foiré son film, je n’aurais pas hésité à lui passer un savon (désolé, il fallait que je la fasse) ! Donc vous pouvez nous faire confiance lorsque l’on vous dit que Marseille est une réussite, aussi étonnant que cela puisse paraître compte-tenu de la forte ressemblance du projet avec le médiocre – quoique passablement divertissant - Bienvenue Chez Les Chtis. Les points communs avec l’immense succès de Dany Boon sont évidents, à commencer bien entendu par son acteur vedette ou par l’aspect communautaire d’un récit vantant les charmes d’une belle région. Ne vous fiez pas à son affiche copiée-collée (deux gars qui s’esclaffent de rire), car Marseille est en réalité plus que ce film « Herta » (le goût des choses simples, tout ça...) tant attendu.
Autant dire que si vous espérez voir une pantalonnade où les personnages passent leur temps à s’engatser à base de « Zou », « Tié fada ! » et autre « je crains dégun », vous risquez de déchanter aussi rapidement qu’une cigale au premier coup de vent. Car Kad Merad, en amoureux de la ville, entend bien nous faire comprendre que la cité phocéenne n’est ni ce que l’on veut bien nous montrer dans Plus Belle La Vie, ni un vivier à tocards pour télé-réalité. Toutefois le co-inventeur du Kamoulox est conscient de l’image que renvoie Marseille à ceux qui ne la connaissent pas, tout comme il est conscient de sa propre image aux yeux des spectateurs. Et il va jouer habilement avec les préjugés des uns et des autres afin de mieux les faire voler en éclat tout le long de son long-métrage, qui en surprendra, positivement, beaucoup.
Marseille commence ainsi comme une comédie classique, jouant sur l’opposition des cultures. Le personnage de Kad Merad, un expatrié vivant au Canada, doit revenir aussi rapidement que possible à la demande de son frère (interprété par Patrick Bosso) dans sa ville natale, qu’il a quittée il y a 25 ans. Accompagné de son fils, qui n’a jamais mis les pieds en France, il va se heurter au choc des civilisations. Habitué au calme et à la sérénité de ses parties de pêches sur de grands lacs en pleine nature canadienne, il va se retrouver confronté à l’effervescence et à l’exubérance des autochtones sur le Vieux Port.
Gentiment caricatural, le réalisateur profite de son introduction pour y placer un maximum de clichés. Le tout, of course, avé l’accent ! Qu’il s’agisse de la voix du conducteur de TGV, de la rencontre entre les deux jeunes cousins (Brad Pitt dans Snatch, à côté, on le comprend de longue), ou bien encore de la scène déjà culte de l’excellent Eric Fraticelli (que les Corses et les Marseillais reconnaîtront, l’acteur étant l’un des membres du duo d’humoristes Tzek et Pido) racontant Gravity et expliquant en quoi le gras du figatelli ce n’est pas du vrai gras, tout est fait pour amplifier le décalage culturel, aussi absurde que drôle.
Et ça fonctionne complètement ! Tout sauf moqueur, le film est d'abord hilarant avec des personnages hauts en couleur. Cependant la chaleur, la générosité, l’engouement et les embrassades des Marseillais se font presqu’étouffants. Le pastaga si rafraîchissant lorsque siroté en terrasse commence à taper en plein cagnard. Comme si le besoin de rire et de hausser la voix pour tout et n’importe quoi masquait un réel mal-être. Car les Marseillais sont peut-être connus pour leurs exagérations et leur éloquence, il n’en demeure pas moins qu’ils peuvent aussi avoir des difficultés à se confier. C’est ce que cherche à raconter Kad Merad, dont le film change peu à peu de ton. Après avoir vécu son retour comme un dépaysement total, entre folklore et amusement, son personnage va devoir faire face à une réalité qu’il avait trop longtemps réprimée. Non, son frère n’est pas qu’un simple imbécile heureux, par exemple. C’est d’ailleurs le formidable Patrick Bosso (épatant de subtilité) qui interprète le personnage le plus représentatif du message du film, un homme digne cachant ses faiblesses derrière une apparence désinvolte et guillerette. Il est le symbole de la ville. Il représente toute la complexité de la cité phocéenne, qui se déteste autant qu’elle s’aime, affaiblie par un contexte économique particulièrement éprouvant mais gardant continuellement son optimisme pour faire face à toutes les difficultés. Non, elle n’est pas plus belle la vie à Marseille, mais ses habitants font en revanche vraiment tout pour qu’elle puisse l’être. C’est ce que va découvrir le personnage central. Tout va alors lui revenir : ce pour quoi il a quitté son pays, sa famille, ses amis, mais également, en quelque sorte, son égoïsme et sa lâcheté. Et en se reconnectant avec son passé, il va apprendre à retrouver sa place. Car malgré sa situation confortable au Canada, ce dernier ressent un manque. Une nécessité vitale, sans qu’il ne puisse mettre le doigt dessus. Néanmoins il sait qu’il n’est pas totalement dans son élément, comme il souhaiterait le faire croire (ses chemises à carreaux de bûcherons ne tromperont pas son frère), notamment lorsqu’il part taquiner la truite avec son fils et que tous deux, revenus bredouilles, sont obligés de manger des Knackis. Il lui faut quitter ces paysages sauvages, ces immenses forêts, pour renouer, à l’autre bout de la Terre, avec ses racines. Marseille devient alors une œuvre plus personnelle, sur la remontée en mémoire des sensations et des souvenirs et sur le rattrapage du temps perdu.
C’est le propos même du film, qui oscille entre nostalgie (un ancien joueur de foot apparait, un clip de IAM enregistré sur VHS) et regard tourné vers le futur (la résolution d’un enjeu se fera grâce aux nouvelles technologies). Le rire fait place à l’émotion et à la bienveillance, Kad Merad ayant le bon sens de savoir quand couper son récit. On notera quelques maladresses en termes d’écriture et une morale un peu naïve. Mais avec Marseille, Kad Merad signe une belle déclaration d’amour à la ville et à ses habitants, sincère et touchante.
Un très beau film.
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Titre original |
Marseille |
Mise en scène |
Kad Merad |
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Date de sortie |
16/03/2016 avec Pathé Distribution |
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Scénario |
Kad Merad, Patrick Bosso & Judith El Zein |
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Distribution |
Kad Merad, Patrick Bosso, Judith El Zein, Venantino Venantini & Anne Charrier |
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Photographie |
Gordon Spooner |
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Musique |
Hervé Rakotofiringa |
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Support & durée |
1.85 : 1 / 100 minutes |
Synopsis : Devant l'insistance de son frère Joseph, qu'il n'a pas revu depuis 25 ans, Paolo se résout à abandonner quelques jours sa vie calme et harmonieuse au Canada, pour revenir à Marseille au chevet de son père accidenté. Il part donc, son fils sous le bras, bien décidé à ne pas s'attarder dans cette ville qu'il a fui, des années plus tôt, à la suite d'un drame. Il n'imagine pas que l'affection de sa famille retrouvée, sa rencontre amoureuse avec une jeune femme et la solidarité joyeuse et simple des Marseillais le réconcilieront avec cette ville qu'il n'aurait jamais voulu quitter... Marseille.