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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

[critique] El Club : bienvenue au purgatoire

[critique] El Club : bienvenue au purgatoire

Grand Prix du Jury à la Berlinale 2015, le dernier film de Pablo Larrain orientait le réalisateur chilien sur une autre voie que la dénonciation stylée des excès du régime de Pinochet dont il était devenu, l'espace de trois films multi-récompensés (Tony Manero, et Santiago 73 : No Post-Mortem), le porte-étendard. Tout en demeurant fermement attaché à sa mère patrie, le metteur en scène et co-scénariste déplace cette fois son attention sur l'Eglise romaine, avec une histoire qui pourrait tout aussi bien se situer dans tout autre pays où la religion catholique a fait souche.

Si je ne connais Larrain que par sa réputation, les excellentes (mais rares) critiques recueillies dans le cadre du Palmarès Interblogs 2015 avaient su attirer mon attention sur ce film qui aurait dû figurer dans le top 10 (sa moyenne le plaçait dans les roues de Mustang) mais manquait encore de quelques notes pour y avoir droit. C'est donc chose faite avec moi, car El Club fait à mon sens partie des grands films de l'an passé.

Le 23 mars 2016, chacun d'entre vous aura donc la possibilité de goûter au style particulier que propose le cinéaste sud-américain, autant esthète que dramaturge, qui introduit son film par une séquence quasi-muette où un groupe d'hommes disparates, à l'allure fatiguée mais décidée, déambulent sur une plage baignée par les lueurs dorées d'une aube tranquille et font sprinter un lévrier dont ils chronomètrent les performances. Le cadrage délicat, l'éclairage subtil peuvent à ce moment laisser penser à une oeuvre poétique à l'ambiance fuligineuse, pétrie de symboles et d'images signifiantes. Les protagonistes s'expriment peu et la phase d'exposition nous présente un environnement serein, presqu'idyllique dans lequel la quiétude semble être le maître-mot. Ces petits vieux au regard encore alerte s'émeuvent discrètement de la réussite de leur chien, Rayo, qu'une femme un peu plus jeune et totalement dévouée à leur service s'occupe d'aligner dans les courses locales. En dehors de ces promenades, nous ne savons rien de ces individus, sinon qu'ils vivent ensemble dans ce qui pourrait être une pension de famille. 

C'est là que survient la rupture. Un jour, un prêtre arrive de la capitale, accompagné d'un autre qu'il propose de venir partager la résidence de nos lascars. Ces derniers ne semblent pas très chaud mais les faibles protestations qu'ils opposent n'y feront rien : c'est à ce moment qu'on découvre qu'ils sont eux-mêmes des membres de l'Eglise, mis au ban pour des raisons obscures et sommés de se repentir dans cette pension de famille sous la surveillance bienveillante de Mère Monica, elle-même chargée d'un lourd passé. Les gentils pépères sont donc des reclus, qui ont choisi une autre voie que la morigénation perpétuelle et l'affliction et sont parvenus à trouver ensemble une forme d'équilibre dans cet endroit hors du temps et de la pression des grandes cités. Seulement, cet équilibre n'est pas du goût de tous. Le Père Lazcano, leur nouveau compagnon imposé, ne semble pas éprouver la moindre sympathie à l'égard de ces ex-prêtres dont il ne désire pas partager le statut, mais son passé le rattrape en la personne de Sandokan, un marginal qui vient hurler sous leurs toits sa souffrance passée, lorsqu'il était un enfant de choeur et a été longuement abusé par les curés de sa paroisse. Confronté à ses propres peurs et/ou sa culpabilité, Lazcano commet l'irréparable et préfère se suicider. Un envoyé du Vatican survient sur ces entrefaites, chargé non seulement d'éclaircir l'affaire, mais aussi d'en finir avec cette communauté qui s'est détournée de Dieu.

- Pourquoi tous vos personnages sont-ils des anti-héros ?

- Parce que les héros sont à Hollywood.

El Club évoque donc la pédophilie et autres vices auxquels les clercs se sont adonnés sous couvert de leur mission divine, mais le fait par un biais qui peut interpeller, en soignant constamment les images tout en insérant quelques touches d'humour décalé qui viennent tempérer la cruauté de certains propos. Il est clair que le spectateur prend vite le parti de ces vicaires renégats, gentils vieux qui ne font de mal à personne et n'ambitionnent que de remporter quelques courses avec leur chien. Seulement comment supporter le fait qu'ils soient ici pour des crimes (car c'en sont, à n'en pas douter) qu'ils n'acceptent pas d'avouer et encore moins de regretter ? C'est tout le singulier cheminement auquel nous convie Larrain, dans une oeuvre qui sera sans doute moins forte, moins expressément puissante que ses précédents films plus politisés, mais qui a su me toucher par sa luminosité et son traitement inhabituel. Les comédiens, extraordinaires de naturel (que dire d'Antonia Zerges qui campe une Mère Monica à deux visages, douce et attentive au premier abord mais dont la détermination à préserver l'harmonie du "Club" la rendra capable des pires extrémités !), réussissent l'exploit de rendre profondément sympathiques leurs personnages par cette façon qu'ils ont de commuer leur pénitence en gentil épicurisme, mais ne cessent de nous interroger sur la manière coupable dont la hiérarchie diocésaine les a mis à l'écart sans pour autant les inculper, les sommant à mi-voix d'assumer leurs actes vils sans jamais assumer sa propre responsabilité.

L'Eglise a plus peur des médias que de l'Enfer.

On a donc droit à des dialogues particulièrement savoureux, entre le questionnement inquisiteur du père Garcia, "technocrate du Vatican" menant une enquête minutieuse sur les circonstances de la mort de Lazcano - mais soucieux de préserver son image - et les réponses de chacun, qu'on sent hanté par un passé inavouable bien que désireux avant tout de goûter aux derniers plaisirs simples qu'offre ce purgatoire.

Parfois beau à en pleurer, parfois d'une âpreté insoupçonnée, El Club ne condamne ni ne pardonne mais jette un regard sincèrement ému sur le sort de ces êtres qui se sont fourvoyés et ont abandonné tout espoir de rédemption, n'attendant rien d'autre qu'une mort tranquille loin du regard accusateur de la société civile.

NB. Toutes les citations sont tirées d'un entretien accordé par Pablo Larrain à l'éditeur vidéo Wild Side.

 

 

Titre original

El Club

Mise en scène 

Pablo Larrain

Date de sortie France 

18 novembre 2015 avec Wild Bunch

Scénario 

Guillermo Calderon, Daniel Villalobos & Pablo Larrain

Distribution 

Alfredo Castro, Roberto Farias & Antonia Zegers

Musique

 

Photographie

Sergio Armstrong

Support & durée

DVD Wild Side (2016) zone 2 en 2.35:1 / 93 min

 

Résumé : Dans un petit village côtier du Chili, une maison accueille un groupe de personnages particuliers, se tenant à l'écart de la population qui vit de la pêche et se réjouit parfois au moment des courses de lévriers : ce sont d'anciens prêtres marginalisés par l'Eglise et qui ont trouvé une sorte d'équilibre jusqu'à ce qu'un nouvel arrivant change l'ordre établi...

L'Eglise a plus peur des médias que de l'Enfer.

Pablo Larrain

- Pourquoi tous vos personnages sont-ils des anti-héros ?

- Parce que les héros sont à Hollywood.

Pablo Larrain

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