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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

Insignifiance désespérante

Les Noces rebelles

 

Titre original : Revolutionary Road

 

Un film de Sam Mendes (2008) avec Leonardo DiCaprio, Kate Winslet, Kathy Bates

Résumé AllôCiné : Dans l'Amérique des années 50, Frank et April Wheeler se considèrent comme des êtres à part, des gens spéciaux, différents des autres. Ils ont toujours voulu fonder leur existence sur des idéaux élevés. Lorsqu'ils emménagent dans leur nouvelle maison sur Revolutionary Road, ils proclament fièrement leur indépendance. Jamais ils ne se conformeront à l'inertie banlieusarde qui les entoure, jamais ils ne se feront piéger par les conventions sociales. Pourtant, malgré leur charme et leur insolence, les Wheeler deviennent exactement ce qu'ils ne voulaient pas : un homme coincé dans un emploi sans intérêt ; une ménagère qui rêve de passion et d'une existence trépidante. Une famille américaine ordinaire ayant perdu ses rêves et ses illusions. Décidée à changer de vie, April imagine un plan audacieux pour tout recommencer, quitter leur petite routine confortable dans le Connecticut pour aller vivre à Paris...

 

Il arrive qu’on ne sache pas trop quoi penser d’un film. Surtout à la sortie, lorsque les spectateurs s’emmitouflent déjà dans leur manteau et se préparent à affronter les pièges obscurs d’un soir d’hiver, le froid mordant et cette chape de silence qui, parfois, accompagne longtemps après le générique de fin  ceux qui ont été touchés par l’œuvre. On sait qu’on a quelque chose à dire mais les mots ne viennent pas aisément, se bousculent à la lisière de la conscience et tardent à s’assembler en phrases cohérentes ; on ouvre la bouche et nos réflexions prennent voix, mais elles ne traduisent qu’imparfaitement la tension, l’inconfort patent et la douleur qu’on a subis. Alors on se tait, on regarde la route qui défile devant le pinceau des phares, ou on observe le ciel, guettant l’étoile à travers les nuages. Et puis ça revient, on s’exprime, on n’ose faire face à l’interlocuteur mais on dit les mots, car ils déversent en leur flot mal contrôlé un peu de baume dans nos esprits troublés, libérant les doutes et les angoisses accumulés. Dans ces moments, on n’attend aucune réponse mais on écoute patiemment l’interlocuteur, tout en se retenant de ne pas relancer la litanie cathartique : quand bien même l’autre serait d’accord, on s’aperçoit que, jalousement, on s’est approprié le film et qu’on a bien du mal à partager l’émotion qu’il a suscité…

 

Les Noces rebelles est un film long et désespérant. Formellement, il est construit de manière très sobre, cédant rarement aux mouvements de caméra opportuns (quelques travellings portés et nerveux) ou tendance. Tout, de son sujet à son cadrage, et jusqu’à son interprétation, rappelle ces drames parfois poignants que distillaient les productions des années 60 : une distribution resserrée, quelques rares lieux, un score fondé sur des notes lancinantes et une lumière terne. Les plans privilégient la personne et étouffent l’atmosphère, magnifient les corps et transcendent les visages. Sam Mendes, le réalisateur de l’excellent quoique retors American Beauty, signe un métrage austère et élégant, bavard et ambitieux. Ambitieux car il s’applique, en adaptant un roman célèbre qui avait engendré de nombreux débats, à porter à l’écran une réflexion sur le couple moderne, réflexion âpre et stridente, à l’image des scènes de ménage aussi violentes que furieusement réalistes qui opposent Frank et April. Et cette réflexion fait mal, faisant écho aux doutes et aux espoirs malheureux que chacun porte en soi.

 

Frank et April, beaux, superbes, forment un couple envié et magique. Leurs voisins et amis les dévorent des yeux, leur réputation, portée par la doyenne de la banlieue tranquille où ils se sont installés, éclabousse leur entourage : ils sont gentils, ils sont prometteurs et tout leur sourit. Lui, comme il a de l’allure dans son beau costume lorsqu’il prend sa voiture pour se rendre à son travail ! Et elle, quelle classe dans sa petite robe de soirée !

 

Mais ces atours ne sont qu’une façade, à l’image de ces jolies maisonnettes de bois et de ces jardinets qui pullulent dans ce faubourg de New-York : April est une actrice ratée et Frank végète dans les bureaux d’une firme où son propre père a travaillé plus de vingt ans sans que le patron ait pris connaissance de son nom. Quel contraste avec les saines et légitimes aspirations qu’ils affichaient lorsqu’ils se sont rencontrés ! Désillusion, quand tu nous tiens… Et justement, cette désillusion réveille les rancœurs, nourrit la frustration et enflamme les tensions, au point que les répliques fusent comme autant de gifles, parfois cohérents, parfois incompréhensibles : les amants d’hier deviennent des étrangers amers et violents, se heurtant sur des mots, sur des détails insignifiants qui représentent autant de mondes en collision.

 

Pour s’en sortir, deux possibilités majeures : nier l’évidence, ou tout bouleverser. Malgré les efforts disparates de Frank, il n’y a pas d’avenir dans le dialogue : mettre tout à plat, c’est repousser l’échéance ; faire des concessions revient à se sacrifier, à nier son ego et à s’enterrer sous les apparats frivoles et superflus d’une famille modèle et sans histoire. Les mœurs changent, les conventions demeurent.

 

Leonardo DiCaprio montre combien son jeu a mûri : il a le registre le plus étendu, du petit banlieusard sans avenir se contentant de ce que lui rapporte cette vie minable au jeune homme plein d’entrain et d’ambition, visant haut et loin et perpétuellement insatisfait. Il nie l’évidence de son embourgeoisement, même lorsqu’un aliéné la lui assène en plein face mais se morfond pour sa femme qu’il comprend de moins en moins. A chacune des crises irrationnelles qui la font exploser de rage, il répond avec retard et incrédulité, constamment dans l’interrogation. Bien qu’il refuse de l’accepter, il ne domine pas son sujet et n’est jamais le moteur du couple. C’est bien elle, après tout, confrontée à l’insignifiance désespérante de leur vie, qui prend le taureau par les cornes et décide de tout quitter pour Paris afin que son homme puisse enfin se conformer à ses rêves de gosse et faire ce qu’il a envie de faire. Elle est prête à trouver un travail pour qu’il soit heureux, se contentant d’un bonheur par procuration. Mais les hésitations et reculades de Frank achèvent de briser sa carapace de femme au foyer : ni l’alcool ni les (très nombreuses) cigarettes ne calmeront son désir frustré d’accomplissement et elle se rebelle, frappant là où ça fait mal, remettant en cause les capacités de son mari à affronter la vie, à être un homme (quelques sous-entendus peuvent laisser croire qu’en outre elle n’est pas heureuse au lit). Les disputes atteignent des sommets de férocité verbale et Kate Winslet brille comme jamais dans ce rôle douloureux d’une femme qui se plie aux conventions tout en les refusant. Ce qui fait mal aussi, c’est justement que leur amour n’est jamais remis en cause – quoiqu’elle en dise – tant ils cherchent à satisfaire l’autre sans pour autant à s’entendre sur la manière. Certes, le projet parisien était quasiment irréaliste et puéril, mais il avait le mérite d’exister : lorsque Frank se voit proposer un meilleur poste dans l’entreprise qu’il haïssait, il se voit confronté à deux avenirs, l’un incertain mais qui relancerait leur couple, l’autre concret et facile mais qui clouerait leurs ambitions sur l’autel du confort et des convenances.

 

Difficile. Eprouvant. Bavard. Sublime.

 

Au final, les rares couples qu’on a croisés se retrouvent face au même dilemme : pour s’en sortir, là où chacun d’entre eux prônait la Vérité, seul le mensonge est salvateur. Les amis des Wheeler préfèreront nier l’existence même de ceux qu’ils adulaient, et leur ancienne bienfaitrice racontera à son mari stupéfait tout le mal qu’elle pensait de ces gens qu’elle plaçait naguère sur un piédestal. L’oubli, parfois, permet de vivre… même mal, même médiocrement, mais vivre.  

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V
Non, pas bizarre. Dans un film avec un tel duo, c'est compréhensible. Je n'ai pas eu cette impression-là, j'avais au contraire la sensation que les amis semblaient impressionnés par Frank et April.
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N
Je trouve que tous les acteurs secondaires ont tendance à surjouer, et sont en décalage avec le couple. Bizarre ça non ? 
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V
@ nico : pour en revenir à la réalisation (parce qu'il est évident que le jeu des acteurs emporte l'adhésion), je suis aussi un peu sur la retenue. Sans doute parce que Mendes aime ses comédiens, et surtout parce qu'il est l'époux (ou le compagnon, que sais-je ?) de Kate Winslet : le film entier repose sur leurs épaules, comme ces comédies dramatiques des années 50, très sombres, très resserrées sur les personnages. On a très vite une impression d'étouffement, de claustrophobie. La lumière est terne, les couleurs sont ternes malgré un environnement qui, chez un Burton par exemple, aurait eu mille éclats. La caméra est peu mobile, sauf pour certaines scènes bien précises (quand April s'enfuit dans la forêt toute proche). C'est long, lent, lancinant, languissant... et douloureux. L'état d'esprit ne prête pas au sourire ni à l'espoir.En ce sens, le film est réussi, parce qu'il fait mal.
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V
Sans doute. Tout ce que tu dis est compréhensible et cohérent. Mais abandonner, c'est aussi ne pas faire l'effort de se relever, n'est-ce pas ? Il y a inévitablement ce dilemme qui se pose : on continue, mais il faut faire l'effort de changer (changer d'attitude, de principe, de priorité, d'objectif) avec le maigre espoir de parvenir à quelque chose de neuf, de fertile sur lequel on pourra reconstruire ou on laisse tomber pour redémarrer ailleurs, avec quelqu'un d'autre. C'est à dire que l'on s'évite des peines qui n'aboutiront peut-être à rien en se prenant une grosse claque. C'est bien le poids des conventions qui dans cette situation met un frein aux aspirations de chacun : dans les années 50, leur projet se présente au mieux comme une entre prise pusillanime et irréaliste, un peu romantique ; aujourd'hui, il serait sans doute mieux accepté, quoique... Que diraient les familles ? Tu as raison aussi d'évoquer la "reculade" de Frank : c'est un aveu d'impuissance flagrant, donc la reconnaissance d'un échec qu'il refuse de s'attribuer. Comme beaucoup d'hommes, par peur des représailles, il tarde à en parler, repousse l'inévitable, se réfugie dans le confort de l'immédiat en espérant un événement qui viendrait atténuer le choc de la révélation. Mais leur décision était pourtant prise, il avait dit oui ! Là où Mendes a été habile, c'est au travers de la jeune fille de ce couple : elle qui pleurait déjà la perte de ses amis avait fini par se faire à l'idée de cette aventure - et lorsque sa mère, dans une scène silencieuse derrière une vitre, lui apprend finalement qu'ils vont rester, elle la rejette. Le mal est fait.Merci Satine
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S
Ce qui fait mal dans ce film c'est qu'il reflète tristement la réalité. Oui au bout d'un moment le couple vit des moments difficiles et oui il faut beaucoup d'ardeur et d'amour pour le remettre sur le bon chemin. La vie à deux n'a jamais été facile et nul ne le prétend. Bien au contraire la réussite ne dépend que du bon vouloir des deux partis. Il faut se remettre en cause faire des compromis, accepter que l'autre soit différent et c'est un travail de longue haleine. C'est selon moi ce que le film nous montre et c'est pour cela qu'il perturbe. Il nous balance ce que l'on essaie peut-être de se cacher.Je ne dis pas que la vie à deux est impossible et que la rupture est inévitable, non je ne le crois pas. Je pense simplement que les deux personnes sont les piliers du couple et que si l'un s'écroule, la fondation, l'union ne peut que se démollir.On voit bien que Kate Winslet est malheureuse. Elle a vécu l'échec de son rêve d'actrice, elle doit se cantonner à son rôle de femme au foyer et elle le vit mal. Léonardo Di Caprio subit le même sort que son père, être un pion dans une entreprise et faire un métier qu'il déteste. Aucun des deux ne vit un épanouissement. Leur seul moment de bonheur, ils le vivent avec leurs amis. On ne les voit jamais vivre quelque chose de bien ensemble, ils ne partagent rien.Kate Winslet se rend compte de cela. Elle sent que leur couple est peut-être mort et est prête à tout tenter pour les relancer. Je pense sincèrement que c'est au départ pour qu'il soit heureux et fasse enfin un métier qu'il aime, qu'il sorte de sa monotonie. C'est donc par amour qu'elle lui propose cela. Elle est même disposée à aller travailler, à nourrir sa famille à sa place, à boulerverser les moeurs. On a l'impression qu'elle a aussi envie de se réaliser, d'être quelqu'un. A partir du moment où ce projet est accepté, on les retrouve, souriants, enfin vivants et ça fait du bien, une lueur d'espoir qu'on attendait.Mais voilà, il va la poignarder. Finies les illusions, écrasons ce rêve, éteignons la lumière et repartons au plus profond de la tristesse, déjà un pied dans la tombe. Elle lui en veut. Tout foutre en l'air pour une augmentation, ne penser qu'à soi, être égoïste (ou réaliste ?) Sam Mendes a tourné cette scène plutôt dans le sens de l'égoïsme à mon avis et c'est ce qui justifiera les scènes de ménage suivantes. IL ne lui parle même pas de son augmentation, elle l'apprend sur la plage en présence de leur couple d'amis, une reculade, un enfantillage, une peur de révéler son manque de courage. IL prend la décision, IL ne veut plus aller à Paris, IL a accepté son nouveau poste et elle n'a rien à dire, c'est comme ça. IL l'a mise enceinte par manque d'attention et elle doit garder cet enfant alors qu'elle n'en veut clairement pas. Non seulement elle n'est qu'une femme au foyer mais en plus elle n'a pas son mot à dire, elle doit obéir. Normal qu'elle lui en veuille d'autant plus qu'il lui avoue l'avoir trompée à plusieurs reprises, bref c'est le glas de leur couple, il n'y a plus rien à sauver.Pourtant elle fait un dernier efffort, elle essaie de lui sourire et de revenir à une vie normale mais c'est tout bonnement impossible. C'est trop lourd, trop douloureux et cette scène est définitivement la plus pénible. Cette prise de conscience que tout effort est vain et qu'il ne peut y avoir qu'une chute.Oui j'ai eu mal et oui ça m'a rappelé de mauvais souvenirs. J'ai compris totalement le personnage de Kate Winslet, j'ai partagé sa douleur mais je suis une femme d'aujourd'hui, pas celle des anées 60 qui devait être au service de sa famille, se mettre à l'écart. Ce film pour moi montre bien qu'à un certain moment il faut voir la réalité en face et accepter la fin du couple. Je ne dis pas qu'il prône la séparation mais il l'explique et lui donne une justification, un sens honorable. Ils sont tout deux si malheureux, qu'il était vain d'espérer encore une réconciliation. Se mentir n'est pas une solution comme le montrent les deux autres couples du film. Paris les aurait peut-être sauvés qui sait. Ils auraient peut-être été de bons amis s'ils s'étaient séparés. Mais continuer sur cette voie, refuser l'échec, faire comme si, emprisonner l'autre, se mentir à soi-même...ne pouvaient les mener nulle part, il fallait jeter l'éponge pour éviter le pire.
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V
Over-blog t'aime bien ;o)C'est un peu pareil pour moi. Mais on en reparlera, je file manger au resto puis voir le Che avec mes parents.
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N
oups, je ne sais pas ce qu'il y a eu avec mon commentaire .... 
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N
Oui, en VO. J'étais plus allé au ciné depuis wall.e, mais pour celui ci il fallait absolument que je le vois, surtout à cause de son casting (mythique selon moi, je suis un fan de Titanic, fan absolu ....). Mais mis à part le jeu de ces deux acteurs, je suis pas convaincu de la réalisation ....  
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N
Oui, en VO. J'étais plus allé au ciné depuis wall.e, mais pour celui ci il fallait absolument que je le vois, surtout à cause de son casting (mythique selon moi, je suis un fan de Titanic, fan absolu ....). Mais mis à part le jeu de ces deux acteurs, je suis pas convaincu de la réalisation ....  
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N
Oui, en VO. J'étais plus allé au ciné depuis wall.e, mais pour celui ci il fallait absolument que je le vois, surtout à cause de son casting (mythique selon moi, je suis un fan de Titanic, fan absolu ....). Mais mis à part le jeu de ces deux acteurs, je suis pas convaincu de la réalisation ....  
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